Entretien

K-Maro : “'Femme Like U' n'est plus une chanson ringarde aujourd'hui”

20 ans après l'incroyable succès de “Femme Like U”, Cyril Kamar alias K-Maro retrace son parcours dans une émouvante autobiographie, Renaissances.
K. Maro  “'Femme Like U' n'est plus une chanson ringarde aujourd'hui”
Cyril Kamar alias K-Maro© Charlotte Steppé

Les tubes, les vrais, ceux qui subsistent sans se détériorer, ont cette qualité rare de servir de repères dans le temps. Les entendre suffit à ranimer chez tout un chacun une multitude de souvenirs, de moments d'exaltation ou de mélancolie profonde, qu'on pensait perdus à tout jamais dans la vastitude de la mémoire. Lorsque retentissent les premières notes de “Femme Like U” de K-Maro, on se souvient, plus ou moins, de ce qu'on faisait en mai 2004 ou de ce qui se passait à cette époque-là. Il faisait chaud, assurément, puisqu'une vague de chaleur s'apprêtait à déferler sur la France. Quentin Tarantino allait enfiler le costume de président du jury lors du 57e Festival de Cannes. Après dix années de bons et loyaux services, les héros de la série Friends rendaient les clés de leur appartement de Greenwich Village.

K-Maro aura été le personnage façonné par un jeune artiste canado-libanais nommé Cyril Kamar. Incarnation vivante du mâle alpha, porte-étendard d'un mode de vie bling-bling qui ne s'en excuse pas, le chanteur a vu sa vie basculer à 24 ans grâce à un morceau mariant, avec un charme improbable pour l'époque, R'n'B et riffs de guitare enflammés. “Femme Like U”, écoulé à plus d'un million d'exemplaires au temps où on achetait encore des CD, a fait le bonheur des radios et métamorphosé son interprète en superstar. Il a aussi offert à K-Maro un ticket pour l'éternité puisque le titre continue d'engendrer, 20 ans après sa sortie, plusieurs millions de streams chaque mois sur les plateformes musicales.

Comme beaucoup, on s'est demandé ce qu'il était advenu à K-Maro. Reparti dans ses terres canadiennes, désormais marié et père de deux enfants, Cyril Kamar publie aux éditions Faces Cachées une autobiographie intitulée Renaissances. L'artiste et entrepreneur de 44 ans revient en quelque 200 pages sur sa jeunesse au Liban, son ascension musicale mais aussi le surmenage dont il a été victime, épuisé par le star-system, et comment il a trouvé un nouveau souffle dans l'ombre de l'industrie, en tant que producteur ou consultant pour des maisons de disques. De passage à Paris pour raconter la genèse de cet ouvrage, Cyril Kamar, à peine descendu de son avion, a accordé un entretien à GQ.

GQ : Qu’est-ce qui a fait naître en vous l’envie d’écrire une autobiographie ?
Cyril Kamar (K-Maro) : C’est une bonne question, qui est large. C’est inquiétant de dire que l’idée est venue de soi parce que c’est assez égocentrique comme démarche. Mais je pense que ça vient de plusieurs personnes, notamment de mes parents, qui me disaient depuis plusieurs années que ça pourrait être quelque chose d’utile. Ç'a été un long parcours, très difficile. J’ai toujours eu l’impression que l’autobiographie sonnait l’heure du bilan, que ça vieillissait les gens…

Quand une autobiographie est publiée, il y a souvent cette idée que c’est la fin des belles choses…
Oui, puis c’est très centré sur soi-même. J’ai beaucoup réfléchi à ce projet, même si je savais que mes proches avaient raison et que ça pouvait être un bel ouvrage sur une vie particulière, la mienne. Je n’ai pas écrit ce livre dans une démarche nombriliste. Au contraire, j’y suis allé en totale humilité. Il y a des choses que je raconte dedans et que j’aurais aimé ne pas vivre. Mais je voulais m’entourer des bonnes personnes. Fut un temps, on m’a parlé d’un documentaire avec un acteur qui me jouerait, et moi qui aurais écrit le scénario, mais je ne me sentais pas trop à l’aise avec l'idée. J’ai rencontré des maisons d’édition qui étaient super mais qui n’étaient peut-être pas dans ma culture ou n’avaient pas la même façon d’aborder les choses. Écrire un livre pour écrire un livre m’a alors paru encore plus mercantile. J’ai mis ça de côté et plus je vivais des choses, plus je sentais l’envie renaître…

Y a-t-il eu un déclic au bout d’un moment ?
Quand j’ai rencontré mes éditeurs d’aujourd’hui, qui sont liés à une personne que je connais très bien de l’industrie musicale. Je me suis tout de suite senti à la maison. On a parlé basketball, culture américaine, racisme, rap, K-Maro… Ce n’est pas rien K-Maro, et je dis ça sans fanfaronner, mais ça a animé des débats pendant longtemps ! Des gens trouvaient ça super, d’autres détestaient. Débattre de ça quand il s’agit de soi-même, il faut vraiment le faire avec des gens de sa culture parce qu’au moins on rigole. Les mecs me racontaient les rumeurs qui courraient sur moi à l’époque dans leur quartier, comme quoi j’étais milliardaire ou que j’étais un baron de la drogue… Des trucs fous !

Vous parlez de K-Maro comme d'une entité distincte…
Ouais, c’est un mauvais pli ! [Rires] Pendant un moment, j’ai essayé de faire la part des choses. J’ai voulu distinguer mon personnage et Kamar, mon vrai nom de famille. Kamar, c’est d’ailleurs aussi mon nom d’artiste où je travaille sur des projets plus introspectifs, qui mélangent l’art contemporain, les arts visuels… C’est un peu une antichambre de K-Maro.

Combien y a-t-il d’incarnations de Cyril Kamar maintenant ?
Ah, c’est fini ! Je pense que je suis tellement bien dans mes baskets aujourd’hui, dans mon rôle de K-Maro. De l’eau a coulé sous les ponts et ce livre vient tourner une page, me fait passer le cap de la quarantaine plus sereinement. Ça règle aussi quelques comptes sur certaines mauvaises perceptions ou incompréhensions qu’il y a pu avoir autour de mon personnage et de moi-même. Je clarifie aussi certaines choses liées au rap, que j’ai pu agresser à l’époque. J’étais un peu persuadé que j’étais validé et que je pouvais faire ce que je voulais, sans comprendre que j’étais surtout validé chez moi, au Canada.

Oui, on sent que le livre tourne vraiment autour des incompréhensions que vous avez suscitées tout au long de votre carrière.
Oui, c’est une incompréhension très large car elle est aussi sociale et politique. C’est pour ça que j’ai eu envie d’écrire le livre. On aborde le succès de “Femme Like U”, qui a changé ma vie dans le bon et dans le mauvais sens, mais on parle aussi du choc que j’ai vécu lorsque je suis arrivé en France. Je me suis intéressé dès mon plus jeune à la politique et pourtant, en arrivant ici, j’ai découvert à quel point je n’étais pas éduqué. L’Amérique m’a inculqué ce nombrilisme absolu où rien ne compte à part ce qu’on apprend là-bas. J’arrive en France, je pense qu’il y a des Démocrates et des Républicains, que je suis un peu au milieu de tout ça. Et en fait le clivage est d’une violence absolue et je comprends que mon personnage a servi comme dans un jeu d’échec.

Vous avez été rattaché à une idéologie bling-bling, à Nicolas Sarkozy
Complètement ! Alors que je cultivais aussi une âme sociale. De toute façon, ça aurait été fou que je ne possède pas cette fibre-là, sachant d’où je venais. Mais je ne voulais pas non plus abandonner mon libéralisme. Je voulais continuer à encourager la jeunesse, être le plus autonome possible… C’est cool de gagner de l’argent quand on a du talent et qu’on a pris des risques ! Le risque, ça se rémunère. Je connais des gens de gauche qui partagent leurs richesses mais qui ne se cachent pas de rémunérer leurs risques.

© Charlotte Steppé

Dans le livre, vous dites que le problème en France n’est pas la richesse mais la manière dont on l’affiche.
Exact.

Vous l'affirmez toujours ?
La France a affiné ma façon de penser là-dessus. Maintenant, je dis que je suis originaire de l’Atlantique : je cumule deux cultures, américaine et européenne. Je suis dans un juste milieu. Avec l’âge, je pense qu’on a moins besoin d'exposer sa richesse. Mais chacun montre comme il veut, après tout. Si ça fait sens avec le reste de sa vie et de sa personnalité, que c’est vrai et qu’on ne se moque pas des gens, ça me va. Par contre, j’ai réalisé que j’ai un problème avec ceux qui veulent empêcher les autres, comme si c'était un droit révocable de célébrer son succès, le travail de ses équipes…

À qui pensez-vous ?
Je pense à des mentalités conservatrices un peu anciennes, la Vieille Europe, que je trouve hypocrites. Mais encore une fois, je ne veux pas généraliser et mettre tout le monde dans le même panier. Je trouve juste que la jeune génération d'aujourd’hui peine à s’épanouir véritablement.

Dans le livre, vous racontez que le côté bling-bling de K-Maro dérangeait beaucoup mais que c’est presque devenu la norme aujourd’hui dans le rap.
C’est vrai !

Quel regard portez-vous sur la musique actuelle ? On répète souvent que le rap est désormais la musique la plus écoutée en France
Il a fallu qu’il y en ait certains qui en prennent plein la gueule à une époque pour qu’on arrive à décloisonner le paysage musical, et je pense que j’en fais partie. J’ai toujours respecté ma culture. Je me suis octroyé des libertés musicales mais je n’ai jamais manqué de respect. Quand on regarde dans mes clips, qui sont aujourd’hui assez drôles, tu retrouves le Hummer, les maillots de basket, le bling… C’étaient les codes de l’époque. Et il y avait un cahier des charges à remplir, il fallait s’assurer que tous les symboles soient présents dans les clips. Ce que je trouve agréable aujourd’hui, c’est qu’une vraie variété existe dans la musique. Je ne me permettrais pas de commenter ce que je préfère ou non. J’ai vieilli, donc je m’intéresse plus à l’écriture et la prise de risque. Plus jeune, je crois que j’aurais beaucoup apprécié un Soprano, qui n'a pas peur d'ouvrir ses horizons. C’est ce que j’ai aussi essayé de faire à mon époque sans comprendre que les gens ne connaissaient pas mon parcours d’avant et ne me permettraient peut-être pas que je prenne cette initiative…

Le mélange d’anglais et de français a aussi fait grincer des dents…
Ça, j'ai presque mal pris que ça devienne une blague parce que c’est culturel au Canada ! Tous les rappeurs et beatmakers, qui adorent aller à Montréal pour travailler en studio, savent qu’on le fait pour de vrai. Parfois, c’est un mot sur deux en anglais ou dix minutes totalement en anglais.

Vous considérez-vous comme un artiste ou un entrepreneur ?
Je me considère comme un artiste qui a été obligé de gérer ses affaires. Je me suis fait avoir deux fois de suite alors que je n’avais même pas 20 ans. Mon père m’a appris de très belles valeurs, et surtout à compter. Je me suis dit que j'allais m’en servir. Je suis devenu entrepreneur par obligation. Il faut arrêter avec le mythe selon lequel j’ai grandi avec la fibre start-up…

Et pourtant, vous racontez dans le livre que, dès l’âge de 15 ans, vous commencez à vous intéresser aux droits musicaux, au fonctionnement de l’industrie…
Oui, pour comprendre comme ça marche. Comme si c’était prémonitoire et que je sentais qu’on allait m’avoir ! [Rires] Je me suis toujours intéressé à l’envers du décor, dans les domaines qui m’intéressent. Pour avoir un mental fort dans une discipline, il faut en comprendre les mécanismes. Ayant fait beaucoup de sport dans ma vie, j'ai compris que ça se jouait souvent au mental. C’est comme un mec qui n’a jamais boxé. Il peut monter sur un ring, il va s’en prendre une et se relever mais il ne peut pas arriver en disant “je vais niquer la Terre entière”. C’est impossible parce qu’il ne sait pas où il met les pieds.

C’était la mentalité que vous aviez quand vous êtes arrivé dans l’industrie musicale avec K-Maro ?
Oui, mais entre moi et moi-même. Je l’explique dans le livre, mais j’ai mis plusieurs années à trouver la bonne formule. Je me suis fâché avec le rap pour des raisons qui gravitaient autour de la musique. J’avais l’impression de devoir faire le voyou en permanence, de décevoir ma mère, juste pour que ça marche dans ma clique.

Vous expliquez dans Renaissances avoir mal vécu de devoir devenir un people, quelqu’un d’un peu “idiot”…
Je pense que c’est la starification, tout simplement. J’étais très fier au commencement. J’étais un petit gars de Montréal à qui on répétait à quel point je cartonnais. Des gens m’attendaient à l’aéroport avec des pancartes, je trouvais ça génial au début. Je n’avais jamais rêvé de ça. Au football, je voulais être milieu de terrain, pour distribuer le jeu plus que pour marquer des buts. Puis je me suis remis en question. J’ai compris que j’avais eu une revanche sur la vie à prendre, des choses à me prouver à moi-même. “Femme Like U” a provoqué tellement de débats, et ce avant même que la chanson sorte ! Des gens ont arrêté de me fréquenter à cause de ce titre parce qu’ils ne voulaient pas y être associés.

Vous avez vécu des concerts en France où des gens venaient vous insulter
Tous ! Ils ont pratiquement tous mal terminé.

Ces incidents n’ont pas développé chez vous une forme de rancœur vis-à-vis de la France ?
Non car, en même temps, j’ai vendu un million de singles avec “Femme Like U”. C’est impensable aujourd’hui. Si on devait le transformer aujourd’hui en digital, ça ferait quelque chose comme un milliard de streams. Sur un titre qui ne fait soi-disant pas l’unanimité, c’est pas mal !

En 2019, la chanson enregistrait encore un million de streams par mois. C’est toujours le cas, cinq ans plus tard ?
C’est plus maintenant ! [Rires] Beaucoup plus.

Est-ce que vous gagnez votre vie grâce à cette chanson ?
Je ne gagne pas ma vie avec “Femme Like U”. Enfin, je pourrais tout arrêter et vivre correctement avec ce morceau-là. Mais je suis assez actif, j’ai un certain nombre de projets que j’ai envie de mener. Je suis extrêmement privilégié parce que ce n’est pas le cas pour 99,5% des artistes. Même parfois pour des chanteurs qui ont eu un énorme hit, qui ne l’est plus aujourd’hui. Et en plus de cela, “Femme Like U” n’est plus un titre ringard aujourd’hui. Il a été repris par des artistes de qualité, il est apparu dans la série Hippocrate… On l’entend aussi bien à la Foire aux spaghettis que dans les soirées branchées parisiennes…

Mais vous n’avez pas l’impression que cette chanson vous a figé dans une époque ?
Si, mais qui revient aujourd’hui ! Encore une fois, j’ai perdu tellement d’énergie à réfléchir, pour savoir si j'étais toujours cool ou non... Au bout d’un moment, quand on fait une chanson, on se laisse porter par elle. Ça devient le titre des gens plus que le mien. Aujourd’hui, je prends les choses comme elles viennent. J’estime aussi avoir énormément préservé ce titre puisque j’en suis propriétaire. J'en gère la pérennité.

Ça ne crée pas un vertige d’avoir créé un morceau aussi populaire ? Comment vivez-vous de l’entendre, 20 ans après ?
Je l’apprécie toujours autant. J’ai tellement de bienveillance pour l’artiste que j’étais à ce moment-là. Cette chanson me rend nostalgique, comme chez d’autres personnes. Puis j’apprécie aussi de chanter les autres chansons. “Femme Like U” a éclipsé les “Sous l’œil de l’ange”, “Qu’est-ce que ça te fout” ou “Strip Club”. D’ailleurs, dans d’autres pays, il y a des chansons qui sont plus populaires que “Femme Like U”, même si ça reste un tube. Mais je ne souffre d’aucun jeunisme aujourd’hui. Je suis très à l’aise dans les baskets que je porte désormais. Ça me rend d’autant plus heureux de le partager avec le public.

Vous êtes plus heureux à 40 ans qu’à 20 ans ?
Sans l’ombre d’un doute. Je ne dis pas que j’étais malheureux avant. Je profitais d’un bonheur un peu éphémère, plastique. J’étais en train de me venger de plein de choses. Je voulais trouver des solutions à tout.

Vous évoquez dans un des chapitres le sujet du surmenage, qui est souvent mis sous le tapis dans le monde de la musique. Est-ce qu’il vous a fallu du recul pour mettre des mots dessus ?
J’ai eu la chance, entre guillemets, de connaître l’effet donc je me suis effondré. À une période, j’ai abusé, plus que les autres, entre les fêtes et les tournées… Le rythme était fou et j’ai fini par tomber. Ce qui a forcément amené l’heure du bilan et le moment où on m’a dit concrètement que je n’allais pas bien. Certains artistes ne vivent pas cette prise de conscience car il ne se passe pas quelque chose d’assez violent sur le plan physique pour les alarmer. Il m’a surtout fallu du temps pour comprendre les proportions anormales que mon succès avait pris. Pourtant je croisais des artistes avec du succès, mais pourquoi le mien était devenu aussi passionnel ? Il y avait des gens qui pouvaient se disputer très fort juste en prononçant le nom de K-Maro. Comme si j’avais agressé leur père. Je pense que c’est ça qui a provoqué plus rapidement mon état de fatigue avancé.

Mais vous avez appris de cette expérience-là. Dans le livre, vous racontez avoir presque empêché Shy’m de partir en tournée au début de sa carrière, pour qu’elle ne soit pas trop éprouvée par l’expérience.
Bien sûr, j’étais le seul pessimiste de la bande. Et ce n’était pas parce que je n’étais pas content, elle savait que je savourais son succès autant qu’elle. Mais après le premier Bercy qu’elle a fait, avec 16.000 personnes qui criaient “on t’aime”, j’ai tout de suite compris qu’il fallait qu’on prenne la situation en main, immédiatement. Tout le monde voulait célébrer, lui sauter dessus, mais je ne pouvais pas m’empêcher de tirer la gueule. Elle avait la vingtaine et je voulais qu’elle prenne la fuite, comme si je savais que tout ce qui allait arriver derrière allait la déborder. On a tous nos démons, qui peuvent ressortir avec des doutes ou de la fatigue, et j’avais peur qu’elle soit affectée. Ce sont des leçons que j’ai gardées en tant qu’artiste et quand les gens me ressemblent ou partagent les mêmes valeurs que moi, notamment en ce qui concerne la sur-starification, j’essaye de les aider. Il y a des gens qui adorent devenir des people, et si c’est dans ta nature, ta façon d’être, il n’y a pas de problème. Il n’y a pas de problème à faire partie de la culture du vide.

Parfois on a l’impression que certains artistes cherchent plus à être connus qu’à briller dans leur discipline…
Ça existe partout ! Ça me fascine parfois de croiser des gens, que mes neveux ou cousins adorent, sans que je ne sache ce qu'ils font. On peut aimer ou pas ce que quelqu’un fait, on peut le comprendre aussi. Il y a des gens qui n’aiment pas les artistes peintres, mais on sait quand même qu’ils sont artistes, créatifs ou entrepreneurs… Aujourd'hui, il y a des gens mis en avant, je ne sais même pas ce qu'ils font. Je les vois à la télé ou sur les réseaux et je ne sais pas.

Vous passez beaucoup de temps sur les réseaux sociaux ?
Je m’oblige à faire des veilles sur les sujets d’actualité, la technologie, la musique… Après, pour la musique, je crois que je suis victime des algorithmes.

Vous écoutez quoi actuellement ?
En ce moment, je dissèque par curiosité le dernier album de Beyoncé, Cowboy Carter. Je trouve ce courant de country dans la pop assez fascinant. La pop a été influencée par plein de courants successifs, certains ont duré plus que d’autres, l’électro, la dance, le rap… Et je me pose des questions sur la place de la country dans la pop culture, qui revient assez régulièrement. Je veux comprendre comment elle a fait, qui elle a été cherchée…

On retrouve votre goût pour le mélange des genres !
Oui et Beyoncé fait partie des artistes que j’ai toujours respectés, comme will.i.am et les Black Eyed Peas. Ce sont des gens qui ont une connaissance aiguë de la culture qu’ils explorent.

K-Maro et Shy'm sur la scène de l'Olympia en 2007.© Raphael Gaillarde/Getty Images

Vous consacrez un beau chapitre à Shy’m mais vous rendez aussi hommage à votre mère et votre femme, qui ont eu des places très importantes dans votre vie. Est-ce que, derrière le personnage de bad boy que vous avez incarné, vous êtes un personnage plus sentimental qu’on ne le croit ?
[Rires] En fait, je crois que j’ai toujours eu un gros caractère. Je ne savais pas le maîtriser quand j’étais jeune. J’ai été banalisé par le violence dès le plus jeune âge, ce qui a fait que, quand je me chauffais et que ça partait en sucette, ça ne me faisait pas peur. C’était plus mon caractère qui débordait, je n’avais pas besoin d’être un bad boy. Je n’avais pas de quartier à défendre ou encore moins d’affiliation quelconque à une famille de la rue. Mais l’éducation de ma mère, une femme extrêmement érudite, a été très importante. J’ai toujours dit qu'elle était une bourgeoise de cœur qui aurait mérité d’avoir la fortune qui allait avec ses connaissances. Et je pense qu’en vieillissant et en ayant deux enfants, dont une fille, ça change beaucoup. Il y a peu d’hommes qui osent l’avouer mais quand tu as une fille, tout change.

Qu’est-ce que ça a changé concrètement dans votre vie ?
C’est difficile à expliquer. Ma fille est le parfait mélange entre ma mère et ma femme, deux femmes extrêmement importantes dans ma vie. C’est comme si ça m’avait rendu très conscient de l’importance de notre relation. Pour ma fille, je suis son héros quoi.

Vous êtes un père plutôt protecteur ?
Grave ! J’ai une relation très atypique avec ma fille et j’ai l’impression que ça a été un accélérateur de prises de conscience sur plein de choses. Ainsi qu’une manière de fêler ma carapace. Je pense aussi que la naissance de ma fille a accéléré l’écriture de ce livre. Même si j’ai trouvé la bonne équipe et l’envie de le faire, ça m’a appris à maîtriser une sensibilité en tant que “bonhomme”. J’ai réalisé que j’avais une image de la masculinité qui était peut-être différente de celle que j’avais plus jeune, quand je pensais qu’être un homme, c’était avoir des couilles, ne jamais pleurer…

Ce que vous avez représenté avec K-Maro…
Ouais, je pense.

Vous en êtes un peu revenu de ça ?
Je ne sais pas si j’en suis revenu. L’Amérique aggrave ce problème, j’ai envie de dire. Les bagnoles, le pognon, Trump… [Rires]

Qu’est-ce qui fait que vous vivez encore en Amérique alors ?
C’est long à expliquer mais je suis très fâché contre l’Europe. Je trouve fou que le vieux continent, qui s’est longtemps moqué de l’Amérique, rame sur des sujets de culture moderne. Je pense à l’immigration, aux frontières, à la démocratie… Je vais avoir un discours un peu naïf, ça va être mon moment culture du vide à moi aussi. Mais il y a un cocktail européen compliqué, autour de l’acceptation de soi, des règlements de compte avec le passé, du rapport à l’argent et bien d’autres choses… J’ai appris à le comprendre et je le comprends bien maintenant. C’était peut-être mieux quand je ne le comprenais pas tant que ça. Je trouve qu’on vit dans un monde qui manque de repères, d’attaches, qui est devenu assez fou. Tout ça fait que j’ai estimé que je ne voulais pas vivre en Europe avec mes enfants aujourd’hui. On pourra me rétorquer que je préfère les emmener sur un continent où des tueries de masse ont lieu… Je répondrais que je ne vis pas aux États-Unis mais au Canada, c’est une distinction importante. Le Canada est vraiment un pays différent.

Vous commencez votre livre en parlant de votre jeunesse au Liban, en pleine guerre civile. Quel regard portez-vous sur votre pays d’origine, qui se retrouve aux premières loges des tensions au Moyen-Orient ? Êtes-vous inquiet ?
Je suis toujours très inquiet. C’est la terre de mes parents, la mienne aussi. Je me suis souvent posé avec mon père pour mieux comprendre ces sujets. C’est un peuple qui a toujours réussi à surmonter ses déchirements. Je ne vais pas me permettre de faire une analyse politique, je ne maîtrise pas assez le sujet pour donner les tenants et les aboutissants, mais j’y réfléchis beaucoup quand même.

Pensez-vous que le Liban trouvera un jour la paix ?
J’ai l’impression que c’est pire que jamais, en ce moment. Là, je me demande, en tant que Libanais expatrié, si ce pays n’est pas condamné à subir cette situation en permanence. Il y a des périodes où les choses vont mieux mais les sujets de tension persistent.

Vous êtes censé faire un concert là-bas au mois de mai. Est-ce toujours d’actualité ?
Je suis censé le faire depuis novembre, je crois. Si je peux y aller, j’y serai. Mais si je ne peux pas… J’en sais rien, c’est compliqué.

Que peut-on vous souhaiter pour l’avenir ?
J’aimerais rester sur ma voie, continuer à développer les grands axes de ma vie que je décris dans le livre. S’il pouvait y avoir un peu moins de turbulence que dans la première phase, ce serait génial ! J'ai envie de me sentir plus apaisé, plus utile…

Comment pourriez-vous être plus utile ?
En partageant les réponses que je vais chercher dans ma vie. C’est super de vendre beaucoup de disques, d’être hyper connu, mais à part procurer du bonheur aux gens… On ne sauve pas des vies. Il y aura toujours quelques personnes qui diront qu’on leur a sauvé la vie parce qu’ils ont affronté des expériences très violentes, mais on n’est pas médecins. Il y a plein de choses que j’ai envie de faire, désormais. Je parle de mon programme “Education is cool” dans le livre, ça me tient toujours à cœur. Et j’espère rester inspiré, contribuer à la rencontre des arts. Je veux rester bien dans mon époque sans jouer le gamin qui veut être aussi cool que ceux qui ont 20 ans, et sans non plus devenir le mec aigri et réac qui a mal vieilli. Si j’arrive à rester accroché à mon époque, c’est bien.

Renaissances de Cyril Kamar, publié aux éditions Faces Cachées, sera disponible à partir du 18 avril en librairie.
K-Maro se produira le 30 mai 2024 au Casino de Paris (9e arrondissement). Informations et billets disponibles à cette adresse.