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Pascal Praud dans le JDD : « Aya Nakamura aux JO, et alors ? »

C'est frivole, c'est sensuel, c'est rigolo : notre chroniqueur a trouvé la mélodie “Djadja” réussie. Et verrait bien son interprète chanter du Piaf pour la cérémonie d'ouverture des Jeux olympiques de Paris.

Pascal Praud , Mis à jour le
Pascal Praud
Pascal Praud © Augustin Detienne / CNEWS

Je ne connaissais pas Aya Nakamura. J’ignorais qu’elle était la chanteuse francophone la plus écoutée au monde. Je ne connaissais pas sa musique ni ses chansons, mélange d’afro-zouk et de R’N’B m’ont expliqué les spécialistes.

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J’ai écouté quelques titres notamment Djadja, tube mondial sorti en 2018 dont le clip a dépassé le milliard de vues. Djadjaraconte l’histoire d’une femme qu’on devine jeune qui a passé une nuit avec un homme qu’on imagine vieux. Le monsieur indélicat crie sur tous les toits sa bonne fortune. La femme déplore sa vantardise.

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Je vous résume Djadja en français de tous les jours.

Chez Aya Nakamura, ça donne « Hello papi, que pasa […] T’façon, Nakamoura, je l’ai couchée. […] J’suis pas ta catin, Djadja, genre, en catchana baby, tu dead ça. » J’ai demandé la signification de catchana. La vox populi explique qu’il s’agit d’une levrette.

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Au risque de surprendre ceux qui imaginent que je suis entre Charles Martel et Charles Maurras et de désespérer ceux qui regrettent que je ne le sois pas, j’ai trouvé la mélodie de Djadja réussie, les paroles malignes et le texte drôle. Je n’ai perçu aucune vulgarité dans Djadja ni dans les autres chansons que j’ai écoutées. Les paroliers (ils sont quatre) s’amusent. Ils jouent avec la situation « À c’qu’il paraît, j’te cours après ? » comme avec les mots : « Le jour où on se croise, faut pas tchouffer. » Tchouffer rime avec flipper.

Nous ne sommes pas des Allemands qui réfléchissent avec des neurones lestés du poids de l’enclume

On ne dit plus argot de nos jours mais c’est la même chose. C’est la langue qu’on nommait hier de la rue qui prend aujourd’hui le RER B, passe par les cités et traverse la banlieue. À la différence que cette langue est réinventée, revisitée, romancée. Djadja oscille entre sérieux et légèreté – l’esprit français. Nous ne sommes pas des Allemands qui réfléchissent avec des neurones lestés du poids de l’enclume. C’est frivole, c’est sensuel, c’est rigolo.

Tir de barrage

Il est facile de discréditer le texte d’une chanson. On prend le ton d’un enfant de 5 ans. On récite mot à mot. On proteste : « Ce n’est pas du français ! » J’ai entendu cet exercice ici ou là. Ça n’a pas de sens. Djadja est une chanson écrite au XXIe siècle. « Tu parles sur moi, y a R/Crache encore, y a R. » Il existe des références, des codes, des clins d’yeux que les auteurs ont voulu. R ici signifie rien. Je ne vous dis pas que Djadja finira dans La Pléiade. Je dis que c’est une chanson plutôt bien écrite, plutôt bien composée et plutôt bien chantée.

Jouer avec les mots traverse l’esprit des paroliers depuis qu’ils écrivent des chansons. Boby Lapointe est entré dans la légende quand sa Katie l’a quitté. Il est vrai que sa gloire est devenue plus grande une fois mort que vivant. Si vous voulez être admiré, un conseil, mourez vite ! Les Français aiment les chrysanthèmes jusqu’à Emmanuel Macron qui commémore tout ce qui ne bouge plus. Tout le monde trouve aujourd’hui génial Boby Lapointe qui au train où vont les choses n’est pas loin de la rue Soufflot et du Panthéon.

Michel Audiard a sublimé un français de comptoir qui n’existait pas. Ventura, Gabin ou Belmondo parlaient dans les films comme personne ne cause au bistrot. Ce serait trop simple. Audiard a idéalisé une langue de tous les jours, celle des traîne-patins, des demi-sel, des cloportes. Il y a derrière cette réplique : « Les producteurs de films ont tous des Rolls-Royce parce que dans le métro, il faut payer comptant », il y a derrière cette phrase, un monde. Et ce monde porte un nom : le talent ! Le talent d’Audiard, génie inspiré par la vie, par les hommes et par les mots.

Je vais me faire des amis ! Nakamura, Lapointe, Audiard, Céline dans le même bateau !

Toutes choses égales par ailleurs, Aya Nakamura recherche ce même but : créer sa propre langue. Francis Cabrel, Georges Brassens et tant d’autres possèdent une signature que le public identifie dès les premières notes. C’est du Cabrel ! C’est du Brassens ! Un artiste, c’est un style ; un écrivain, un chanteur, c’est une langue. Lisez trois lignes du Voyage au bout de la nuit et vous savez que Louis-Ferdinand Céline tient le crayon.

Je vais me faire des amis ! Nakamura, Lapointe, Audiard, Céline dans le même bateau ! J’aurais pu rappeler que Serge Gainsbourg a chanté La Marseillaise en reggae. Et je n’ai pas convoqué Raymond Devos : « L’oie oit. Elle oit, l’oie ! » Moralité ? « Mais ça va pas ? Mais t’es taré, oh ouais. » Djadjam’ensorcelle !

Quand l’inconscient parle

Alors pourquoi ces attaques ? La vérité, chacun la devine. Aya Nakamura est noire. Aya Nakamura est née au Mali. Aya Nakamura porte le drapeau de l’Afrique comme une robe du soir. « Aimer la France, c’est aussi aimer tout ce qui n’est pas la France », a dit je ne sais plus qui. Aya Nakamura vient de loin. Si elle s’appelait Sophie de Brecheville, personne ne crierait au scandale qu’elle fut choisie pour incarner la France quand celle-ci est regardée en mondovision.

Les anti-Nakamura iront chez le psy pour analyser leur inconscient. Ils ont entendu le prénom Aya ; ils ont tourné vinaigre. Damned ! Emmanuel Macron réalisait la prophétie du grand remplacement. Les anti-Nakamura se trompent de sujet. Je déplore l’immigration massive, je constate l’insécurité dans les quartiers, je regrette l’islamisation des esprits, mais que je sache, Aya Nakamura ne conduit pas les affaires du pays depuis 40 ans.

Elle n’illustre pas non plus un changement de couleur sur le sol de la métropole, pas davantage que Yannick Noah hier ou Gims aujourd’hui. Beaucoup de Français ont des parents ou des grands-parents nés en Afrique. Allez demander des comptes à Napoléon III et ses successeurs si vous regrettez ce qui fut hier l’empire colonial.

L’icône d’une jeunesse chantera donc Piaf et L’Hymne à l’amour le vendredi 26 juillet. « Elle est l’artiste la plus streamé sur la planète », a dit le président dans ce franglais que Jean-Marie Rouart, fauteuil numéro 26 sous la Coupole, guerroie en habit vert. Elle ne sera pas la seule à représenter le pays si j’ai bien compris les mots d’Emmanuel Macron il y a quelques jours. Elle sera une, parmi d’autres. Il n’est pas question qu’Aya Nakamura éclipse les artistes de France. Il est question que le monde découvre des talents différents, talents qui sont la France d’aujourd’hui et que le public a plébiscités. Nakamura a sa place parmi ce florilège. Dès lors, quel est le problème ? Ou comme dirait Aya Nakamura : « Ma chérie, tu dead ça ? » ​​

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