Marchés publics intéressés, élus et assureurs enthousiastes: l'artisanat de la pierre sèche reconquiert le cœur de la Dracénie
La collectivité et les particuliers font preuve d’un intérêt croissant pour la pierre sèche. Au travers de la Fédération française des professionnels de cette filière (FFPPS), ses membres tentent de se structurer et de se professionnaliser pour gagner en crédibilité.
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Arnaud CiaravinoPublié le 16/04/2024 à 17:00, mis à jour le 16/04/2024 à 17:00
Son omniprésence l’a faite, paradoxalement, disparaître du paysage. Ne se rappelant à notre mémoire que lorsqu’elle s’effondre sur le bord des routes, usée par le temps.
La pierre sèche – technique de maçonnerie millénaire visant à assembler des dalles sans mortier – a depuis longtemps laissé place aux structures bétonnées du BTP.
"Le savoir-faire se perd, avec le risque de le voir disparaître", déplore Stéphanie Dahan, responsable du pôle musée et patrimoine à Dracénie Provence Verdon agglomération (DPVA). Les trous laissés béants dans les ouvrages – ni restaurés ou préservés – parlent d’eux-mêmes…
Une décrépitude irréversible? "Loin de là", soutient-on. Ce serait même tout le contraire. Un vent nouveau semble souffler sur la filière: "La pierre sèche est un secteur en pleine mutation", assure Arnaud Autric, murailler à Draguignan.
Depuis 2012, une partie des pratiquants de cet art de la construction se sont noyautés – à la demande du ministère de l’Ecologie et du Développement durable – autour de la Fédération française des professionnels de la pierre sèche (FFPPS).
"D’artisans éparpillés dans la campagne, sans aucun lien entre eux, ils ont pu se structurer en un vrai groupe identifiable", s’enthousiasme le muretier – l’autre nom de ce métier.
Loin d’être inactive, la FFPPS communique intensivement auprès des collectivités et cherche à crédibiliser, encore aujourd’hui, son image: "On souhaite sortir de cette vision purement patrimoniale – voire romanisée – de cet artisanat, pour devenir un précieux allié des travaux publics", explique Arnaud Autric, qui y voit une alternative réaliste à la maçonnerie moderne.
Pour consolider leur ambition, des ingénieurs en construction réalisent moult thèses sur les techniques d’ouvrage. "Les murs de soutènement [...] ont fait l’objet d’études de résistance mécanique", illustre en guise d’exemple la FFPPS, dans son guide de présentation.
Étape essentielle pour mettre en commun les connaissances et unifier les pratiques, prérequis à une réelle professionnalisation de la filière.
"Cela a abouti à la création (en 2008, Ndlr), d’un guide des bonnes pratiques de construction [...] en pierre sèche, avec le concours de la confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb)", détaille Arnaud Autric.
Près de 160 pages agrémentées d’analyses scientifiques, photographies et graphiques destinées à tous ceux qui souhaitent se lancer dans "l’art de bâtir à sec".
Le retour en grâce de la pierre sèche connaît un sérieux frein: l’assurance. "Nous sommes souvent oubliés alors que notre présence est inévitable. Notamment dans le cadre des marchés publics", soulève Olivier Audibert-Troin, agent général MMA à Draguignan. Or, le secteur se montre encore frileux…
"La filière étant très récente, la pierre sèche – au statut encore flou – demeure largement inconnue des assureurs, poursuit-il. Et nous n’aimons pas assurer ce que l’on ne connaît pas." Mais les choses évoluent.
La pierre sèche n’a certes pas de Document technique unifié (DTU) – charte définissant les règles de l’art et les bonnes pratiques dans le BTP – mais certaines assurances acceptent de s’appuyer sur le guide des bonnes pratiques édité par la Capeb.
"Entre cet ouvrage sérieux, les formations professionnalisantes comme le CQP, et la vingtaine de constructions surveillées en France par l’association Artisans bâtisseurs en pierres sèches (ABPS) pour faire un retour d’expérience, les choses semblent évoluer dans le bon sens", constate Olivier Audibert-Troin.
Et, lentement, des assurances décennales commencent à être fournies au compte-goutte à certains professionnels. "Notre but n’est pas de bloquer le développement de la filière", assure-t-on.
Un travail qui porte ses fruits
Dans la décennie suivante, un Certificat de qualification professionnelle (CQP) "ouvrier professionnel en pierre sèche" voit le jour dans les Cévennes (Massif central), et la technique est inscrite sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité (Unesco) en novembre 2018. Une grande victoire!
Mais ce n’est qu’en 2024 – après plus d’une décennie d’effort – que ce palmarès commence à réellement porter ses fruits. DPVA devient ainsi le premier territoire varois à associer la formation pierre sèche à destination de ses techniciens et de ses élus.
"À terme, nous souhaitons protéger et bâtir avec ce savoir-faire", lance Stéphanie Dahan. Voire accorder des marchés publics, lorsque nécessaire, à la profession: soutènement routier, calades, réfection d’ouvrages, etc.
L’intérêt patrimonial et écologique de la pierre sèche – celle-ci se veut, entre autres, quasi neutre en carbone et respectueuse de la biodiversité – en fait le matériau de choix pour l’agglomération, soucieuse d’avancer sur sa labellisation "Pays d’art et histoire" ainsi que sur son Plan climat air énergie territoire (PCAET).
Ou comment revenir aux pratiques ancestrales pour répondre aux enjeux du XXIe siècle.
Une formation pour les techniciens
Une portion de la Vigne à vélo – reliant Trans-en-Provence à Draguignan – s’est transformée, ce mercredi 3 avril 2024, en salle de classe à ciel ouvert.
"La pierre sèche n’est pas un travail pour les perfectionnistes, prévient Arnaud Autric face à la dizaine de techniciens de DPVA présents pour l’occasion. Les murs présentent toujours des imperfections. Le plus important est qu’ils soient stables…"
À côté d’eux, un talus terreux longé quotidiennement par 700 promeneurs devra, en deux jours, revêtir son habit minéral au fil des conseils du murailler.
L’intérêt de ce "chantier-école"? Permettre aux équipes de l’agglomération "d’être capables de réparer un mur en pierre sèche, voire d’en édifier un", anticipe Célia Reynier-Auclair, directrice du tourisme et des affaires culturelles à DPVA.
Sur le long terme
Gage que cette formation n’est pas un "one shot" sans lendemain, le Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE) du Var "propose de mettre en place une formation pour les techniciens du territoire de la Dracénie sur plusieurs sessions, afin que toutes les communes puissent former [les leurs] dans un délai de trois ans."
Trans et Draguignan se portent déjà volontaires pour y participer. Leurs élus auront, eux aussi, droit à un stage de sensibilisation en novembre. "Une première sur le département", s’enorgueillit la collectivité.
Qu’en pensent les techniciens-étudiants? Le regard posé sur le fil assurant la bonne position du futur mur, Thierry Marques, technicien en service voirie, confie: "Ça fait du bien d’apprendre d’autres techniques, ne pas travailler seulement le béton et le ciment."
L’expérience personnelle – toujours utile – prime: "J’ai un terrain chez moi, ça peut servir dans la vie de tous les jours", se réjouit Jérôme Mariani, au service espaces verts à la Ville de Draguignan.
En à peine plus d’une heure, la base du muret prend déjà forme. Les usagers de la Vigne à vélo peuvent se rassurer, leur itinéraire est entre de bonnes mains.
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