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Lifestyle - La Mode

Dans « Ce sera le bonheur », Nathalie Rykiel consigne les éclats d’une vie à l’ombre de Sonia

Surtout ne pas oublier. Enfiler cette robe de la mémoire, « moulante, sachante » et rendue presque transparente par l’usure et l’usage. Accepter la perte de la jeunesse comme une invitation à la liberté. « D’avoir eu tout cela, quand je meurs, ce sera le bonheur », écrit Nathalie Rykiel dans son septième roman. Elle nous en dit davantage.

Dans « Ce sera le bonheur », Nathalie Rykiel consigne les éclats d’une vie à l’ombre de Sonia

Nathalie Rykiel et sa mère Sonia en janvier 2006. François Guillot / AFP

Ce sera le bonheur. Le septième livre de Nathalie Rykiel, publié aux éditions JC Lattès, est sans doute le plus inclassable d’une entreprise d’écriture commencée en 2010 avec Tu seras une femme, ma fille. Malgré une tentative de suivre des études de médecine pour faire plaisir à son père, Nathalie Rykiel est profondément littéraire. Elle aurait même voulu faire du cinéma, ce que la mode, aux côtés de sa mère Sonia Rykiel, lui aura offert à travers la mise en scène des défilés. Elle aura été de bout en bout le bras droit de cette icône parisienne entre toutes, tant et si bien que quand il n’y eut plus d’après, à Saint-Germain-des-Près, elle jouait encore les prolongations, multipliant jusqu’au bout les ouvertures de boutiques avec ces vitrines toujours rythmées de livres. Parce que Paris, parce que Saint-Germain, parce que lire et écrire est une tradition familiale. Nathalie Rykiel raconte les cinq sœurs Flis, « les cinq doigts de la main » dont Sonia, l’aînée, était en quelque sorte la matriarche. Elle évoque aussi la petite jalousie presque naturelle envers sa tante Muriel, née quand Sonia n’avait que 18 ans et dont elle a toujours rêvé d’être la fille. Elle raconte son père Sam Rykiel, à l’origine de cette grande aventure et dont toutes ont voulu porter le nom à la suite de Sonia. Sa relation un peu manquée avec ce père mort à 48 ans. Son frère qui n’a jamais ouvert les yeux après un accident de couveuse les premiers jours de sa naissance. Le fabuleux talent de pianiste de ce dernier et sa force d’adaptation.

Inlassablement, de livre en livre, celle qui a toujours tenu un journal intime va explorer les angles et les mécanismes d’une vie au final exceptionnelle, entre relations familiales et transmissions. Tout cela est écrit d’une encre à la fois dense et légère. Ce sera le bonheur ne fait pas exception, avec ses courts chapitres qui suivent le fil aléatoire de la mémoire, rythmés par des photos en noir et blanc, des documents et des légendes écrites à la main. Un « scrapbook » qui s’ouvre sur une photo de Nathalie Rykiel, vacances, lunettes et chapeau de paille, assise sur une chaise de metteur en scène au dos de laquelle on peut lire « Le bar de l’Oubli ». Et cette légende : « Au bar de l’oubli, ne pas céder à la Mélancolie ». La majuscule n’est pas là où elle devrait être. L’oubli n’est plus un nom propre. La mélancolie l’est. L’un est une évidence, le moteur de ce livre qui défie la mémoire et l’effacement. L’autre est une sorte d’amie, elle a un prénom. Le livre est aussi semé d’objets-supports de mémoire. Certains sont des rescapés, comme le faux sac Hermès de Sonia dont la créatrice ne se doutait peut-être pas qu’il était faux, mais qu’elle a porté jusqu’à l’usure. Comme aussi le fauteuil crapaud tendu de bleu, qui a perdu son repose-pied. L’un et l’autre disparaîtront un jour, mais comme tout ce qui est consigné dans Ce sera le bonheur, bénéficieront sans doute d’un long sursis. Nathalie Rykiel a accepté de se prêter avec nous au jeu des questions. Voici ses réponses.

Le livre de Nathalie Rykiel vient de paraître en librairie.

« Ce sera le bonheur » est votre septième livre. Pratiquement tous vos ouvrages sont consacrés à votre famille et votre héritage maternel. Vous sentez-vous, depuis « Tu seras une femme, ma fille », publié en 2010, investie de la responsabilité de témoigner, de raconter ?

Pas particulièrement investie de cette responsabilité, non. C’est une nécessité, qui ne concerne que moi, d’écrire. Et j’écris sur ce que je connais, ce qui m’intéresse, me passionne. La filiation, pas seulement maternelle (j’ai écrit un ouvrage sur mon père Sam Rykiel chez Stock), la transmission, la famille en général et en particulier. Ce dernier livre, Ce sera le bonheur, est le plus personnel, il y a l’inquiétude de la perte de mémoire, il y a les étapes de la vie, l’enfance, la jeunesse et le regard sur « vivre maintenant ».

Vous évoquez la sororie de Sonia, qui pousse l’identification avec elle jusqu’à adopter le patronyme de votre père. Si vous aviez eu le choix, auriez-vous préféré porter, pour votre part, le nom de Flis, nom de jeune fille de votre mère ?

Jamais de la vie ! Je suis très fière de porter le nom de mon père.

Sonia et Sam Rykiel entourant leurs enfants Nathalie et Jean-Philippe. Photo extraite du livre « Ce sera le bonheur »

Qu’y avait-il, selon vous, de si immense en Sonia Rykiel que son statut de « reine du tricot » fasse d’elle en même temps une actrice fondamentale de la mode et de la culture française ?

Sa liberté, ses intuitions, son talent, son génie de l’époque. Elle a été pionnière, et pas seulement dans sa mode, dans sa façon d’être femme, dans ses engagements, dans sa façon totalement innovante de faire côtoyer mode et littérature, mode et engagement. Dans son attitude, son identité, son image de « rock star ». Dans sa faculté d’avancer toujours, quoi qu’il arrive, quels que soient les aléas de la vie. Sa force. Son narcissisme aussi. Elle était l’incarnation de Saint-Germain-des-Prés. Elle est devenue une icône.

Alors que vous étiez, au-delà de son bras droit, son « autre », qu’est-ce qui vous a fait baisser les bras après son départ et choisir de vous consacrer à l’écriture plutôt qu’à la pérennité de sa maison ?

Pardon de corriger. Elle n’est jamais partie, elle est tombée gravement malade. Je n’ai jamais « baissé les bras », au contraire, j’ai décidé de vendre l’affaire au moment où faire perdurer une affaire familiale entièrement autofinancée devenait économiquement impossible avec comme « concurrents », non pas d’autres maisons de mode, mais de grands groupes dont l’envergure financière était incomparable à la nôtre. Je crois avoir pris, au contraire, la seule décision responsable à l’époque pour tenter de préserver la marque, c’est-à-dire : la vendre pour tenter de la pérenniser. Par ailleurs, sans elle à mes côtés, l’aventure était devenue moins excitante. J’ai toujours écrit, c’est alors que j’ai commencé à me consacrer pleinement à l’écriture.

Nathalie et Jean-Philippe enfants. Photo extraite du livre « Ce sera le bonheur »

L’histoire du faux Birkin est à la fois désopilante et intrigante. Qu’est-ce qui a pu pousser Sonia Rykiel à porter jusqu’à l’usure un faux sac Hermès, elle qui avait tant de respect pour les droits d’auteur au sens large ?

Ce qui est drôle dans votre question, c’est que je laisse planer le doute sur le fait qu’elle ne se doutait probablement pas que c’était un faux.

Qu’est-ce qui a fait le succès et qu’est-ce qui a provoqué la faillite et la fermeture de Sonia Rykiel ? Est-ce uniquement le décès de la créatrice ? Peut-on dire que c’est le changement d’époque ?

Elle était effectivement une incarnation de l’époque. Un exemple pour les femmes dans sa liberté, son excentricité, son côté « qui m’aime me suive », une pionnière. La faillite et la fermeture de l’affaire par la suite n’ont rien à voir avec elle, mais avec la gestion calamiteuse des repreneurs.

Pour mémoire

La célèbre maison Sonia Rykiel, liquidée en juillet, va être relancée

Vous êtes à l’initiative du sex-toy Sonia Rykiel, et même de sa glamourisation en jouet haute couture. Cette capsule lancée en 2003 a connu un énorme succès et provoqué une large fréquentation des boutiques. Était-ce facile, à l’époque, de réclamer son sex-toy ?

C’est en 2002 que j’ai lancé les sex-toys chez Rykiel et dans l’univers de la mode. C’était une intuition forte que j’ai eue, et la façon de le faire était, je crois, juste. Déshabillés de leur vulgarité, rhabillés de satin de strass, chics, drôles et glamour, et puis, pas hypocrites, assurant le plaisir ! Décoiffant et pionnier, pile dans les codes de la marque. Cette authenticité a été l’une des clefs du succès, je pense.

Êtes-vous toujours habitée par la mode ? Vous arrive-t-il d’imaginer, par exemple, ce que Sonia Rykiel aurait conçu pour les saisons 2025 ?

Je n’ai jamais été habitée par la mode. J’étais habitée par le travail, la création à chaque instant, le sentiment de raconter une histoire et de la vendre en même temps, la chance incroyable de suivre mon instinct, d’être totalement libre dans ce que je faisais et d’avoir une partenaire merveilleuse. Les vêtements comptaient moins que ces sentiments qui m’habitaient.

Je n’ai pas besoin d’imaginer ce que ma mère dessinerait si elle était encore là. Je le sais.

Ce sera le bonheur. Le septième livre de Nathalie Rykiel, publié aux éditions JC Lattès, est sans doute le plus inclassable d’une entreprise d’écriture commencée en 2010 avec Tu seras une femme, ma fille. Malgré une tentative de suivre des études de médecine pour faire plaisir à son père, Nathalie Rykiel est profondément littéraire. Elle aurait même voulu faire du cinéma,...

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