French actor Christian Clavier attends 'Dios Mio, �Pero Que Nos Has Hecho?' premiere at the Verdi cinema on July 12, 2022 in Madrid, Spain.  (Photo by Oscar Gonzalez/NurPhoto) (Photo by Oscar Gonzalez / NurPhoto / NurPhoto via AFP)

Christian Clavier en 2022, à Madrid.

NurPhoto via AFP

Un lundi soir maussade de décembre. A l’Assemblée nationale, une motion de rejet vient de frapper le projet de loi sur l’immigration, nul ne sait s’il peut encore être sauvé ni à quelles conditions, la crise couve entre la Macronie et la droite. A l’Elysée, l’atmosphère est tout autre. Emmanuel Macron dont on dit le second quinquennat en panne d’inspiration, en manque de majorité et de projets, s’accorde une pause. Loin des régularisations par le travail, des OQTF et autre AME, il remet à Christian Clavier les insignes d’officier de la Légion d’honneur. "Vous avez été le grand et le gueux, splendide et misérable, corse et versaillais, tous les âges et tous les visages de la France", lance le président de la République au comédien devant Thierry Lhermitte, Marie-Anne Chazel et quelques autres figures du divertissement hexagonal.

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D’une phrase, Emmanuel Macron a résumé le personnage. De ses premières apparitions dans Les Bronzés à la fin des années 1970 jusqu’à Cocorico, son dernier film réalisé par Julien Hervé, en salles le 7 février, Christian Clavier est, depuis quarante ans, l’idole de la France qui s’amuse. Une France d’hier et d’aujourd’hui, une France d’ici ou d’ailleurs aux contours mouvants. Une France populaire qui adore son cinéma aux décors bourgeois de province. Une France qui rit pour oublier le dramatique de l’actualité. Lorsqu’en avril 2022, TF1 écourte, pour la première fois de son histoire, sa soirée électorale au premier tour de l’élection présidentielle, elle diffuse Les Visiteurs. Toutes époques confondues, Christian Clavier est le seul à avoir tourné dans quatre films ayant dépassé les dix millions d’entrées : Les Visiteurs, Astérix et Obélix. Mission Cléopâtre, Les Bronzés 3 et Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? Mieux que Louis de Funès, Bourvil ou Dany Boon.

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Certains adorent Les Visiteurs, d’autres ont un attachement particulier au moins connu Mes meilleurs copains, flop à sa sortie, mais resté mythique pour sa tendre bande de mecs et cette phrase "mais y a pas mort d’homme". Certains connaissent ses répliques par cœur ou l’imitent à merveille, d’autres n’ont qu’une vague connaissance de ses films. Peu importe, qu’on l’aime ou qu’on le déteste, qu’on le trouve grossier ou à mourir de rire, qu’il séduise ou agace, Christian Clavier fait partie du panthéon de la comédie française. "Il a eu des succès assez espacés pour toucher toutes les générations. Et il est dans la plupart des comédies cultes. Enfin, il a joué Astérix, le héros français, le héros populaire par excellence", note Chloé Delaporte, professeure en études cinématographiques à l’université Paul-Valéry de Montpellier.

L’identification marche à plein. Quand un Dany Boon incarne un Français tendre, poétique et un peu lunaire, Christian Clavier en représente la version râleuse, teigneuse et rentre-dedans. "Le premier, c’est le Français au grand cœur, le second est le vachard, un peu de mauvaise foi", résume Gilles Botineau, auteur de la seule biographie de Christian Clavier, Splendid carrière ! (Ed. Christian Navarro). Un rôle archétypal qui fait son succès. La tragédie ne lui sied pas. Quand il a essayé de passer du registre comique au sérieux en interprétant, pour la télévision, Thénardier dans Les Misérables ou Napoléon, le succès n’a pas été au rendez-vous.

Jean Reno et Christian Clavier dans Les Visiteurs 3

Les Visiteurs vont marquer plusieurs générations de Français. (ici, le troisième opus avec Jean Reno et Christian Clavier) (FilmsActu/YouTube)

© / (FilmsActu/YouTube)

Christian Clavier embrasse plus volontiers le rôle du bourgeois ayant réussi. Déjà, dans Les Visiteurs, il jouait Jacquart, le pendant snob de Jacquouille. Dans Cocorico, il endosse le costume du père de famille noble, sa fille et son futur gendre lui offrent un test ADN qui va l’amener à découvrir ses véritables origines. L’acteur, issu d’un milieu aisé - il a grandi à Neuilly mais a quitté Sciences Po au bout de six mois pour "faire l’acteur" - n’en finit plus d’y revenir. "La France de Christian Clavier est très nettement celle des artisans, commerçants et chefs d’entreprise, auxquels on peut ajouter les professions libérales, une France mieux dotée en capital économique qu’en capital culturel pour reprendre la typologie de Bourdieu", explique Jean Latreille, auteur de Cinoche et société. Les intuitions sociologiques du cinéma populaire (L’Harmattan).

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Mais cela ne suffit pas à résumer son auditoire. Parce qu’en choisissant des rôles d’homme un peu ridicule, un peu lâche mais au grand cœur, de Français moyen, un brin prétentieux, un peu réac mais sympa quand même, il touche au-delà de ses seules frontières personnelles. "Il est facile de s’identifier à ses personnages qui préfèrent la province au Quartier latin, le Club Méditerranée aux palaces étoilés", reprend Jean Latreille. "Il attire un public divers avec son personnage de bourgeois râleur. Le public aime se moquer des dominants un peu ridicules et les voir dans cette posture, mais il incarne aussi la contestation, ce qui est un trait très partagé en France, les spectateurs s’y retrouvent", complète Laurent Le Forestier, professeur en histoire et esthétique du cinéma à l’université de Lausanne. Souvent comparé à Louis de Funès pour son succès, ses grimaces et les personnages qu’il incarne, il emprunte également à Bourvil ou à Fernandel lorsqu’il devient le souffre-douleur, le valet de son maître, comme Jacquouille la Fripouille dans Les Visiteurs.

Splendid, les Nuls, la "bande à Fifi"… il passe de l’une à l’autre

Pour élargir son public, Christian Clavier a su épouser les bandes comiques des différentes époques. Le Splendid bien sûr, puis Les Nuls à l’occasion de son duo avec Chantal Lauby dans Le bon Dieu. Plus récemment, il s’est associé avec l’homme des succès du moment, Philippe Lacheau et sa "bande à Fifi" dans Babysitting 2. Enfin, Cocorico est réalisé par Julien Hervé, un scénariste des Tuche. Les fans des uns ne sont pas les publics des autres, certains sont plus jeunes, d’autres plus pointus, Christian Clavier n’apparaît parfois qu’au second plan, mais par petites touches et glissements successifs, il s’invite dans des univers qui ne sont pas les siens et, à 71 ans, séduit même parmi les plus jeunes.

Le réalisateur Patrice Leconte, les comédiens Gérard Jugnot, Christian Clavier, Josiane Balasko, Michel Blanc, Marie-Anne Chazel, et Thierry Lhermitte le 23 janvier 2006 à Paris

La bande du Splendid dans laquelle Christian Clavier a connu ses premiers succès. Ici, le réalisateur Patrice Leconte, les comédiens Gérard Jugnot, Christian Clavier, Josiane Balasko, Michel Blanc, Marie-Anne Chazel, et Thierry Lhermitte le 23 janvier 2006 à Paris.

© / afp.com/JEAN AYISSI

Jusqu’à quand ? Hier, le Splendid se moquait des normes dominantes dans des comédies grinçantes réunissant un large spectre. Dans Le Père Noël est une ordure, on riait de la charité bien ordonnée mais bien peu sincère des bourgeois. Dans Les Bronzés, du mode de vie des classes moyennes aisées. Aujourd’hui, il n’est plus question que de comédies à l’équilibre soigneusement pesé et trop peu féroces. Dans Les Bronzés font du ski, la scène du pique-nique en montagne où les participants jettent leurs ordures derrière eux tout en vantant la propreté de la montagne portait un regard tendre et novateur sur la préservation de la nature. Dans Qu’est-ce qu’on a tous fait au bon Dieu ? les moqueries qui visent les végans renvoient à une société conservatrice. Quand Les Tuche, autre récent succès, font une apologie transgressive du droit à la paresse (dans le premier), critiquent le mode de vie américain (dans le deuxième) et le fonctionnement de la démocratie (dans le troisième), Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? s’attaque à un sujet brûlant (les mariages mixtes) mais s’emploie à donner raison à toutes les positions au point qu’on ne sait plus très bien quel message le film porte. A trop vouloir séduire, les films de Clavier ont fini par perdre les plus caustiques des spectateurs. Et à moins affoler le box-office.

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Le comédien est aussi victime de ses propres choix. Il apparaît de plus en plus clivant. Certains l’ont toujours détesté. D’autres l’ont apprécié il y a longtemps, dans Les Bronzés ou Les Visiteurs mais le supportent mal depuis Le bon Dieu. Ils ont fait partie de sa France et ne s’y reconnaissent plus. Ils ont même parfois un peu honte de l’avoir défendu. Ils sont souvent les plus féroces à son égard. Ringard, incapable de se renouveler, les jugements sont sévères. En décembre 2023, dans le dernier classement des personnalités préférées des Français publié par Le Journal du dimanche, il n’apparaît qu’en 40e position, loin d’Omar Sy (4e), de Dany Boon (9e), mais aussi derrière Jean Reno, Jean Dujardin, Alain Chabat, Kad Merad, Gad Elmaleh ou Franck Dubosc. Méthode du classement, absence récente du box-office… les explications sont nombreuses, mais cette 40e place paraît bien faible au regard de son succès.

Sarkozy, films à l’humour douteux… Il y perd des fans

Sans doute paie-t-il encore ces années 2000 au cours desquelles il a affiché son amitié avec Nicolas Sarkozy. Parti habiter à Londres puis en Belgique où la fiscalité est plus avantageuse, empêtré dans l’histoire de sa villa corse qui, occupée par des nationalistes, a valu à un préfet d’être limogé, Christian Clavier s’éloigne alors de l’image de ses débuts avec le Splendid. Nombreux seront ceux à ne pas lui pardonner. La sortie, en 2017, du film A bras ouverts, dans lequel il joue un intellectuel de gauche contraint d’accueillir une famille de Roms, aux caricatures douteuses, lui vaudra une nouvelle salve de critiques, même si le film engrange tout de même plus d’un million d’entrées.

Le Ministre de l'Economie et des Finances, Nicolas Sarkozy (G), plaisante, le 11 septembre 2004 dans les rues de Porto-Vecchio (Corse du Sud), avec l'acteur Christian Clavier (C), en compagnie du pr�sident  de l'Assembl�e de Corse, Camille de Rocca Serra

En affichant son amitié avec Nicolas Sarkozy, Christian Clavier s'est attiré les critiques. Ici, en 2004, dans les rues de Porto-Vecchio (Corse du Sud) (AFP).

© / L'Express

Il reste, en effet, suffisamment de fans pour conforter son statut d’acteur bankable. "Il est l’un des rares acteurs à ne pas avoir caché son engagement auprès de Nicolas Sarkozy. Des gens se sont reconnus en lui : il incarne une sorte de contre-icône du cinéma français. Aujourd’hui, alors qu’une partie des Français critiquent les gens de gauche qui font du cinéma d’auteur sur fonds publics, lui incarne un autre cinéma, plus populaire et pas ou peu subventionné", reprend Chloé Delaporte. Il est notamment le héros de ce tiers de Français qui ne vont pas dans les salles obscures mais regardent les films sur le petit écran. Aujourd’hui encore, chacune des rediffusions de ses films à la télévision réalise un carton d’audience. Près de cinq millions de personnes derrière les Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? les Astérix ou Les Bronzés en 2023 et 2024, selon Médiamétrie. Seules La Grande Vadrouille ou la trilogie de La 7e compagnie parviennent à suivre le même rythme. Christian Clavier s’invite dans le salon de ses concitoyens pour des dimanches soir en famille et ça lui réussit. "Ça contribue à le rendre proche des Français, il construit sa carrière là-dessus. A l’inverse, la télévision est un média un peu méprisé par les élites", ajoute Chloé Delaporte.

Aux critiques, il répond : succès public et nombre d’entrées

Contrairement à Michel Blanc ou Josiane Balasko qui ont cherché une reconnaissance critique, Christian Clavier feint de n’en avoir cure. Face à une France et à des journalistes qu’il décrit volontiers comme intellectuels et élitistes, il rétorque à propos de ses engagements politiques qu’il n’a jamais fait de prosélytisme et qu’il a simplement soutenu un ami. Quant aux critiques qui visent les productions dans lesquelles il joue, il répond "nombre de spectateurs", "succès public". A ceux qui lui disent que Les Bronzés 3 n’ont pas été appréciés, il assène : "Vous trouvez que 10 millions d’entrées, ce n’est pas être apprécié ?". Déjà en 1983, Papy fait de la résistance avait été étrillé par la critique mais avait enregistré plus de 4 millions d’entrées. Clavier revendique le pouvoir de la comédie sur les films plus sérieux. "Beaucoup pensent encore que ce genre (la comédie) permet aux spectateurs de sortir des salles heureux et sans se poser de questions. De mon point de vue, c’est exactement le contraire", détaillait-il au moment où Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? était accusé de mettre en valeur un discours raciste tout en prétendant le dénoncer.

Quelques épisodes montrent qu’il n’est pas aussi indifférent qu’il le prétend aux regards portés sur lui. En 2020, l’académie des Césars décide de changer les règles d’attribution du césar du public. Elle ne récompense pas, comme les années précédentes, le film ayant fait le plus d’entrées au cours des douze derniers mois, Qu’est-ce qu’on a encore fait au bon Dieu ? mais Les Misérables. Le choix fait polémique et relance le débat sur le mépris avec lequel le milieu traite les comédies populaires. L’année suivante, lorsque l’académie des Césars décide d’attribuer un trophée d’anniversaire à la troupe du Splendid, Christian Clavier montre qu’il n’est pas dupe. Il reconnaît que c’est "un honneur", mais fait remarquer qu’ils sont invités "l’année où il n’y a personne" pour des raisons de Covid.

L’acteur est connu pour ferrailler avec les journalistes et pour ne pas être un client facile. Il n’hésite pas à dire ce qu’il pense comme à ce journaliste du Monde qui lui demande s’il ne trouve pas les interviews de promotion ennuyeuses : "Pas avec vous justement, puisque ordinairement, vous nous abreuvez d’injures, donc c’est plutôt bien qu’on soit là pour en parler." Nous sommes en 2019, Christian Clavier joue alors pour Bertrand Blier dans Convoi exceptionnel. L’une de ses rares incursions hors de la comédie. Le film restera confidentiel. Depuis, il s’est cantonné à l’humour. Mais il l’avoue : s’il pouvait réaliser son rêve, ce serait de jouer dans une série d’espionnage. En particulier dans Fauda, la série israélienne sur une équipe d’agents infiltrés dans les territoires palestiniens. On peine à l’imaginer dans le rôle. A moins que ça ne soit une ultime facétie (ou provocation) d’un homme capable d’attirer des millions de personnes dans les salles obscures sur son seul nom. Et qui estime n’avoir plus rien à prouver. Okayyyy ?

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