Autisme : « Permis de tuer sur France 2 »<!-- --> | Atlantico.fr
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France 2 a diffusé le téléfilm "Tu ne tueras point".
France 2 a diffusé le téléfilm "Tu ne tueras point".
©FTV / François Lefebvre / DR

Service public

Sos autisme France a décidé de saisir l’Arcom après la diffusion sur France 2 du téléfilm "Tu ne tueras point".

Olivia Cattan

Olivia Cattan est écrivaine, journaliste, présidente de Paroles de Femmes et de SOS autisme.
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Hier soir, en regardant France 2, j’avais la nausée.

Les familles sont en détresse. Nous le savons mieux que personne puisque nous le vivons dans notre chair. Nous l’avons dénoncé fortement, appelant l’État au secours depuis des années. Mais sous prétexte de parler de notre souffrance, France 2 a organisé une soirée débat sur l’autisme en diffusant le film : « Tu ne tueras point ».

Évoquant le meurtre d’une mère qui a tué sa fille lourdement handicapée, tout est fait dans ce film pour éprouver de la compassion pour la mère et invisibiliser l’enfant en situation de handicap.

Malgré l’alerte lancée par deux associations de personnes autistes, Clé autistes et Neurodiversité France, le service public s’est entêté à diffuser ce film au lendemain de la journée de l’autisme et à le lier à un débat sur la détresse des parents.

France 2 n’a pas mesuré la gravité de cette diffusion et les conséquences que ce film pouvait avoir sur la fragilité des familles qui se trouvent dans des situations très difficiles.

France 2 a visiblement ignoré les chiffres de l’Inspection générale des affaires sociales montrant qu' « un enfant est tué par l’un de ses parents tous les 5 jours en France ». Une initiative saluée et soutenue par le gouvernement avec la présence au débat du délégué interministériel aux troubles du neurodéveloppement, Etienne Pot.

La mère est victimisée à outrance et présentée comme « isolée », « divorcée » « en rupture », « en repli ». Une maman fragile, qui s’est arrêtée de travailler, qui n’a pas trouvé de structure, et qui a lancé des appels à son ex-mari qui n’aurait rien entendu. De nombreuses mamans vivent cette situation et bien peu de choses ont été mises en place ces dernières années pour améliorer l'accompagnement des personnes autistes présentant les plus grandes difficultés ainsi que leurs proches. Sont-elles toutes pour autant de possibles meurtrières ? Beaucoup de mères célibataires font face à la situation avec force et courage. Faire passer les femmes comme de pauvres créatures fragiles qui auraient nécessairement besoin d’aide est d’un sexisme rétrograde insupportable.

Passons à la petite fille handicapée décrite avec insistance avec un autisme « lourd », « sévère ». Tout au long du film, cette enfant qui va devenir une victime, est invisibilisée. On l’aperçoit simplement sur un journal. Tout est fait pour la déshumaniser puisque nous ne voyons ni son regard, ni son sourire, ni des moments heureux partagés entre une mère et son enfant. Rien. On voudrait nous faire croire que ces enfants n’ont pas d’émotions, de sentiments, et de bonheur à vivre, malgré leur handicap.

Plus insidieux encore, la méconnaissance de l’autisme dans ce film est manifeste. L’automutilation de la petite-fille et son anorexie, le fait de retirer son cathéter seraient la manifestation d’une « souffrance » extrême, d’après l’avocat de la mère qui l’interprète comme une volonté de mourir : « Que cherchait-elle à dire ? quelle souffrait énormément. Elle refusait de manger, ça n’envoie pas un message clair ? » sont une façon de prouver que la mère n’a fait qu’écouter et suivre la volonté de mourir de sa fille. Elle ne l’a donc pas tuée, elle aurait "abrégé ses souffrances" et aurait en quelque sortez accompli et  "respecté la dernière volonté de sa fille" sur une simple interprétation de ses troubles.

L’automutilation chez une personne autiste n’exprime pas forcément une volonté de se faire mal et peut être attribuée à divers facteurs, tels que les troubles sensoriels ou le déficit de communication. Quant à l’anorexie, de nombreux autistes ont des troubles alimentaires qui peuvent varier en intensité et par périodes. De là à y voir la manifestation d’une envie de mourir, il y a un gouffre que les réalisateurs de ce téléfilm n'ont pourtant pas hésité à enjamber, au mépris des connaissances actuelles . A aucun moment, il n'est fait mention de la possibilité que l'enfant puisse arracher son cathéter à plusieurs reprises, non pas parce qu'elle aurait envie d' "en finir" ,mais simplement en raison de troubles sensoriels.

Le film a donc encore véhiculé des contre vérités médicales, bien loin de ce que l'on serait en droit d'attendre sur le thème d'une soirée d' "information" sur les troubles du neurodéveloppement.

La phrase prononcée , non pas une mais deux fois par l’avocate de la partie adverse : « l’euthanasie est interdite dans notre pays » ne vient-elle pas à point avec la proposition d’une loi sur la fin de vie que le gouvernement Macron doit mener dans quelques semaines ? Même si le ministère des solidarités nous répète que les personnes handicapées ne seront pas concernées, ces mots répétés successivement résonnent tout de même curieusement au lendemain de la journée de l’autisme.

De plus, l’avocat nous explique que cette mère a tué son enfant handicapée par « amour ». Une vieille méthode utilisée aussi dans le cadre des violences faites aux femmes pour alléger la peine du mari violent.

A la fin du film, la mère écope d’ailleurs d’une peine clémente : 5 ans avec 3 ans de sursis. 2 ans fermes pour avoir ôté la vie d’un enfant.

Voici ce que l'on promeut, sur notre service public.

Un permis de tuer des enfants handicapés au prétexte qu'ils ont des troubles lourds qu'ils s’automutilent, qu'ils sont épileptiques, anorexiques etc.

Il nous faut éprouver de la compassion nous dit Samuel le Bihan dans le film comme dans les émissions, passant de la scène à la vie réelle dans un mélange des genres, dangereux. Mais éprouver de la compassion pour une criminelle, se mettre dans sa peau et essayer de la comprendre, n’est-ce pas déjà légitimer son passage à l'acte? Ne pas mettre un visage sur la victime, la déshumaniser tout au long de ce film, n’est-ce pas déjà porter atteinte à sa dignité et à son intégrité ?

Les capacités ou simplement l’envie de vivre des personnes en situation de handicap sont pourtant bien visibles lorsque l’on prend le temps de les accompagner.

Les cafés joyeux ou la société Andros qui font travailler des personnes en situation de handicap, aux troubles parfois lourds, montrent à quel point ces personnes sont capables de s’accomplir et de réaliser des choses. Les structures d'accompagnement qui offrent des activités à des personnes handicapées voient dans les yeux de ces enfants, adolescents et adultes à quel point ils apprécient de faire du cheval, écouter de la musique, se promener sur la plage et sentir les rayons de soleil sur leurs peaux.

Mais pour le savoir, il faut les regarder au-delà de leur handicap, les considérer comme des citoyens avec des droits, et les aimer pour ce qu’ils nous apportent : Un autre regard sur le monde et un supplément d’âme. La vie d’une personne autiste n’est pas mineure. 

La compassion doit aller du côté de la victime et non du bourreau. Pas dans cette tentative de manipulation de l'opinion publique consistant à légitimer le meutre d'un enfant en raison de son handicap. 

Voilà comment la France célèbre la journée de l’autisme en France.

Sos autisme France a donc décidé avec son avocat de saisir l’Arcom dans un premier temps. Nous demandons à être reçus par la direction de France télévision et par l’actuelle ministre du handicap Fadila Khattabi et son délégué, Etienne Pot.

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