Publicité

Plus qu’un sport, le cricket en Inde est un enjeu de pouvoir

Les élections législatives débutent vendredi pour six semaines, mais le parti nationaliste BJP du premier ministre Modi se serait déjà assuré la victoire en contrôlant ce sport extrêmement populaire pour écarter ses adversaires du jeu

Des supporters de l’équipe des Royal Challengers Bengaluru, le 25 mars 2024 à Bangalore. Le cricket est le sport le plus populaire en Inde. — © Aijaz Rahi / keystone-sda.ch
Des supporters de l’équipe des Royal Challengers Bengaluru, le 25 mars 2024 à Bangalore. Le cricket est le sport le plus populaire en Inde. — © Aijaz Rahi / keystone-sda.ch

Dans une Inde folle de cricket, ce sport catalyse des enjeux aussi bien politiques que financiers. Et à l’approche des élections, le parti de Narendra Modi est accusé de tirer profit de ses liens étroits avec l’ultra-riche instance dirigeante de cette puissante fédération.

Les élections législatives indiennes débutent vendredi pour six semaines, mais le parti nationaliste hindou Bharatiya Janata (BJP) du premier ministre Modi a déjà remporté la partie, selon les analystes. Ce parti étant étroitement lié au riche et puissant Conseil de contrôle du cricket en Inde, le BCCI, des commentateurs affirment qu’il a récupéré ce sport extrêmement populaire pour écarter ses adversaires du jeu.

Selon Sharda Ugra, une journaliste qui fait autorité en matière de cricket, le BJP se sert de ce sport «pour véhiculer un nationalisme musclé». «Le contrôle s’exerce non seulement grâce à de hauts responsables liés au parti au pouvoir, mais aussi à l’utilisation du cricket indien pour diffuser leur message politique», explique-t-elle à l’AFP. Le gouvernement de M. Modi n’est pas le premier à se servir du cricket à des fins politiques en Inde, mais son parti populiste a encore plus resserré les liens avec l’instance dirigeante, selon Mme Ugra.

Lire aussi: L’Inde rêve d’un Usain Bolt des rizières

Le chef du BCCI, Jay Shah, n’est autre que le fils du ministre de l’Intérieur Amit Shah, bras droit de M. Modi et lui-même ancien président du Conseil de contrôle du cricket de l’Etat du Gujarat. Et le président de la très lucrative Premier League de cricket indienne, Arun Dhumal, est le frère du ministre des Sports Anurag Thakur, également ancien patron du BCCI. «L’actuel BCCI est la première administration indienne du cricket sous la coupe d’un seul parti politique, et non d’un groupe de divers politiciens», ajoute la journaliste.

Stades rebaptisés

Pour Gideon Haigh, journaliste australien spécialiste du cricket, le BJP a récupéré le cricket «sans vergogne dans son propre intérêt. Le cricket n’est qu’une des nombreuses institutions qu’il s’est arrogées, même si c’est celle qui compte le plus pour le plus grand nombre».

Le premier ministre indien Narendra Modi et le président américain Donald Trump, le 24 février 2020 au Patel Stadium de Motera, près d’Ahmedabad. — © MANDEL NGAN / AFP
Le premier ministre indien Narendra Modi et le président américain Donald Trump, le 24 février 2020 au Patel Stadium de Motera, près d’Ahmedabad. — © MANDEL NGAN / AFP

Ainsi, après que le BJP a remporté les élections de l’Etat du Rajasthan en décembre dernier, le fils d’un ministre a été nommé à la tête de l’instance dirigeante du cricket. A New Delhi, le stade de la capitale a été rebaptisé en 2019 en l’honneur du défunt ministre des Finances Arun Jaitley, un pilier du BJP. Et lorsque l’Inde a accueilli la Coupe du monde ODI l’an dernier, M. Modi a assisté à la finale dans le plus grand stade de cricket du monde, qui porte son nom à Ahmedabad.

M. Modi avait inauguré ce stade de 132 000 places en 2020 lors d’un méga-rassemblement à l’occasion d’une visite du président américain de l’époque, Donald Trump. Une victoire de l’Inde aurait sans aucun doute encore plus galvanisé la fibre nationaliste avant les élections, mais elle a perdu, et le premier ministre s’est rendu dans les vestiaires pour féliciter l’équipe indienne, accompagné de caméras. «Cela arrive, a-t-il dit aux joueurs. Gardez le sourire, le pays vous admire.»

Lire aussi: «L’Inde aux vastes régions montagneuses inexploitées peut être l’avenir des sports d’hiver»

Plus de revenus que Bollywood

Le cricket est si lucratif dans ce pays de 1,4 milliard d’habitants, le plus peuplé du monde, qu’il générerait en moyenne plus de revenus que l’industrie cinématographique de Bollywood. La Ligue indienne de cricket (IPL) est la plus riche au monde et la fortune du BCCI s’est encore étoffée avec la vente des droits de diffusion du tournoi T20 2023-27 pour 6,2 milliards de dollars. Certains commentateurs affirment que la richesse et la puissance du BCCI lui permettent de tirer les ficelles au sein de l’instance dirigeante mondiale du cricket, l’International Cricket Council (ICC).

Plus de 90% du milliard de fans de ce sport dans le monde se trouvent dans le sous-continent indien, selon une étude de l’ICC de 2018. Dans d’autres pays, comme le Zimbabwe ou le Sri Lanka, l’ICC a suspendu des instances dirigeantes en raison d’ingérences politiques. Ses règles stipulent que les instances nationales doivent gérer leurs affaires de manière «autonome» et «veiller à ce qu’il n’y ait aucune ingérence du gouvernement». L’ICC a refusé de commenter le cas de l’Inde.

Lire aussi: Aux échecs, des jeunes joueurs asiatiques veulent renverser le plateau