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Baccalauréat, parcoursup, formation, programmes, etc.. Pourquoi les réformes dans l’éducation nationale menacent-elles nos humanités ?

Rappel des faits L’« école de la confiance » de Jean-Michel Blanquer se fissure de toutes parts. Le 9 mai, les personnels étaient fortement mobilisés.

Une réforme, un café et l’addition

Les profs sont contre toutes les réformes, c’est bien connu. Ils préfèrent tenir que courir et ne prendront jamais le risque d’améliorer le système dans lequel ils travaillent si cela doit bousculer leurs habitudes. Bref, ce sont des conservateurs qui font passer leurs intérêts avant ceux de leurs élèves. Heureusement qu’il y a des ministres courageux !

Voilà le discours qui sera tenu, ad nauseam, aux élèves, à leurs parents et à l’ensemble des citoyens. On le connaît, c’est du réchauffé. Mais ça pourrait fonctionner.

Cependant, une autre explication est possible : les enseignants sont contre cette réforme et les précédentes, parce que c’est, peu ou prou, la même réforme qui se poursuit, tranche par tranche, depuis des années, jusqu’à celle-ci, plus destructrice encore que les précédentes. Certes, l’emballage change, la Rue de Grenelle fait des efforts sur la cosmétique, mais ceux qui vivent le système de l’intérieur ne sont pas dupes. Démonstration.

Le système éducatif français est classé dernier, parmi les pays de l’OCDE, sur un critère précis et non des moindres : la réussite des enfants de milieux modestes. C’est donc dans notre beau pays des droits de l’homme qu’un enfant pauvre a le moins de chance de faire de bonnes études. Quel enseignant peut bien se satisfaire de ça ? Nous n’en connaissons pas ! Alors cette réforme va-t-elle améliorer, empirer ou bien maintenir le statu quo sur ce point précis, ô combien important pour un système républicain ?

Le ministre déclare à l’encan que sa réforme va permettre plus de choix pour les élèves. Vive la liberté ! Ainsi, dès la fin de la seconde, leur sera proposé de choisir trois « enseignements de spécialité », parmi douze possibles. Fini les filières. Place au lycée à la carte. Ma foi, si nous étions parents, nous serions séduits. Voyons cela de plus près…

En fait, trois choix parmi douze proposés, cela correspond à 220 triplettes possibles. Pour les non-initiés, quelques précisions : les élèves continueront, une petite partie de leur temps, d’avoir cours en classes entières, bourrées à 35, puisque toutes ces classes seront complètement interchangeables. Puis ils se disperseront dans ces fameux « enseignements de spécialité », au gré de leurs choix. Pourvu qu’ils ne se perdent pas !

Reste qu’aucun proviseur ne sera capable de faire des emplois du temps qui permettront réellement de proposer ces 220 « bouquets » possibles. Nous mettons au défi n’importe quel proviseur d’y arriver. D’ailleurs le ministre lui-même n’y croit pas non plus, puisqu’il a reconnu que, sur les douze spécialités possibles, sept seulement, jugées importantes, devront être obligatoirement proposées aux élèves (ça fait encore, mine de rien, 35 triplettes), mais pas par établissement. Par « bassin ». La nuance est capitale.

Qu’est-ce qu’un « bassin » ? Le terme n’a aucune réalité administrative, mais on peut raisonnablement penser que c’est une zone géographique regroupant plusieurs lycées. Et c’est là que tout se joue. Les grands lycées de centre-ville pourront éventuellement s’en sortir : ils ont assez d’enseignants pour proposer les « enseignements de spécialité » principaux (toutes les combinaisons ne seront néanmoins pas possibles), mais qu’en sera-t-il des petits lycées de villes moyennes de province ? Ceux-là seront à la portion congrue. Bien sûr, dans les grandes villes, on pourra toujours faire naviguer les élèves d’établissement en établissement (ne pas se louper quand même sur l’organisation d’une telle transhumance). Il suffirait de décider que telle matinée ou tel après-midi, tous les établissements d’un même « bassin » proposent les fameux « enseignements de spécialité ». Mais, dans le département de l’Ariège, par exemple, il n’y a que quatre lycées dans quatre villes différentes, distantes de plusieurs dizaines de kilomètres !

Autre chose et non des moindres : les filières chassées par la porte vont revenir par la fenêtre, puisqu’il y a fort à parier que les lycées vont se spécialiser en fonction des « bouquets » de disciplines qu’ils vont pouvoir proposer.

Cela ne coûte rien de proposer des choix théoriques. On pourrait d’ailleurs en rajouter, afin de faire plus riche encore : pourquoi pas un « enseignement de spécialité » musiques du monde et poterie ? Cela ferait exotique, avant-gardiste et, surtout, ne coûterait rien, puisque, dans la pratique, il ne serait pas proposé. Bien sûr, il se trouverait peut-être, quelque part en France, un lycée où un enseignant, rare autant qu’improbable, qui pourrait faire vivre cette trouvaille ministérielle. Reste que dans 99 % des établissements cette spécialité resterait lettre morte ! En somme, sur le papier, les élèves ont un vrai choix à faire. La palette est bien jolie. Dans la réalité, l’inégalité des chances va être amplifiée. Finalement, le lycée à la carte du ministre ressemblera à un restaurant : y mangeront à la carte ceux qui en ont les moyens et qui trouvent le menu peu séduisant. Les autres se contenteront du menu proposé, d’ailleurs passablement « allégé » par la réforme, en comparaison de ce qui leur était proposé auparavant.

Quant à la philosophie, que nous connaissons bien pour l’enseigner depuis de nombreuses années, que devient-elle dans cette réforme ? On pourrait dire bien des choses, mais elles dépasseraient les limites d’un simple article de presse et peut-être aussi la patience du lecteur. Aussi, considérons la chose suivante : en terminale, certains élèves (ceux qui n’ont pas pris l’enseignement de spécialité humanités, littérature, philosophie) découvriront cette matière complètement nouvelle pour eux. Mais il faudra leur faire cours (dans l’enseignement de « tronc commun », hors spécialité), avec des élèves qui auront déjà fait un an de philosophie (l’année précédente).

Tout va bien si ce que l’on a fait en première n’est pas de la philosophie. Mais, alors, que nous aura-t-on demandé d’enseigner en première, nous, les professeurs de philosophie ? Peut-être l’histoire des idées, mais est-ce vraiment notre métier ? Si, en revanche, c’est bien de la philosophie que nous enseignerons en première (malheureusement peu probable, compte tenu du projet actuel), comment gérer ces classes où certains auront un an d’avance sur les autres ? Vu des bureaux de la Rue de Grenelle, cela peut sembler anodin, mais il est vrai que la rue de Grenelle est bien loin de l’Ariège !

Monsieur Blanquer, vous mentez !

Vous n’avez de cesse de répéter que vos réformes visent à renforcer l’école publique, et recueillent l’adhésion des parents et des enseignant.e.s. C’est un mensonge ! Vos réformes sont passées contre l’avis du Conseil supérieur de l’éducation, contre l’avis des organisations syndicales, contre l’avis des fédérations de parents, contre l’avis des associations disciplinaires (Apses, APHG…).

Vos réformes suscitent le rejet d’une grande partie des personnels et des parents. Depuis plusieurs mois, les actions se multiplient sur l’ensemble du territoire : mouvements lycéens, réunions d’information, nuits des établissements, pique-niques revendicatifs, journées de mobilisation, grèves reconductibles… Vous avez d’emblée cherché à déconsidérer ce mouvement, prétendant que les personnes mobilisées mentent ou interprètent mal votre loi. Aux critiques et à la contestation, vous opposez des pratiques d’intimidation et de répression choquantes vis-à-vis des personnels, mais aussi des parents. Pourtant, les alertes se multiplient : les formateurs Espe ou la Ligue des droits de l’homme dénoncent les méfaits programmés de vos réformes.

Vous continuez de rester sourd et maintenez l’essentiel de vos projets. Vous vous contentez d’effets d’annonce qui ne sont pas des modifications effectives, ni des engagements concrets. Vous vous accommodez très bien des modifications faites par le Sénat, qui vont dans le sens d’un renforcement de l’autorité hiérarchique sur les personnels.

Nous continuons d’affirmer que l’ensemble de vos réformes (loi Blanquer, réformes des lycées, Parcoursup) visent à affaiblir le service public d’éducation et à renforcer l’emprise du privé. Nous continuons d’affirmer que vos réformes vont accentuer les inégalités sociales et territoriales, à l’encontre du projet éducatif républicain. Nous continuons d’affirmer que vos réformes représentent une dégradation sans précédent des conditions de travail des personnels, et une généralisation du travail précaire. Soucieux de dialogue, les personnels grévistes de Vaulx-en-Velin vous invitent à venir en débattre publiquement avec eux. Il n’est pas possible que seule la parole gouvernementale soit relayée dans l’espace médiatique.

Quand le nouveau monde recycle une philosophie périmée

Avec Macron et son ministre Blanquer, c’est un grand vent de régression qui est en train de souffler sur l’enseignement de la philosophie. La mise à l’équerre de toutes les sections en terminale a scellé le destin de cette institution plus que séculaire qu’était la « classe de philosophie ». Celle-ci, avec un horaire conséquent (8 heures), donnait les moyens aux élèves comme à leurs professeurs de faire un travail approfondi, le temps de la réflexion permettant l’acquisition par les jeunes d’un véritable esprit critique. « On n’est jamais trop jeune pour commencer à penser librement », disait déjà François Leizour, professeur de philosophie et maire communiste de Guingamp. C’est un vrai pilier de notre tradition universitaire qui est ainsi mis à mal.

Certes, le gouvernement allègue que l’ancienneté ne saurait faire autorité, que la dissertation est un exercice pensé en son temps pour une petite élite socialement favorisée, que, depuis les recommandations d’Anatole de Monzie (premier inspecteur général), des événements majeurs ont eu lieu : massification de l’enseignement, mutation profonde du rapport des jeunes à la culture, irruption des nouvelles technologies et du numérique, Nul ne conteste qu’il fallait tenir compte de ces évolutions. Peut-être aussi fallait-il tenir tête à certaines. Certes, le ministère souligne qu’il y aura des contreparties : et d’abord l’introduction, réclamée depuis très longtemps, d’une initiation à la philosophie en classe de première. Mais elle se fait sous la forme diluée d’un enseignement assuré conjointement avec les professeurs de français, d’une sorte de mixte à fil conducteur vaguement historique, centré sur la parole et ses usages, les représentations du monde, la question du moi et l’interrogation de l’humanité sur son devenir : quatre thèmes extraordinairement flous qui font la part belle à la notion de sujet et qu’on ne voit pas comment relier à la constitution de savoirs objectifs. Comme le dit férocement l’Association professionnelle des professeurs de philosophie (Apep) : « L’absence de rigueur historique de ce programme n’en fait certes pas un programme d’histoire ; mais cela ne suffit pas à en faire un programme de philosophie. »

Au rang des contreparties encore, le gain horaire dans toutes les terminales. C’est vrai, et c’est un acquis quantitatif. Mais qu’en est-il au plan qualitatif, qui est tout de même l’essentiel ? Eh bien, on se frotte les yeux. C’est un retour à l’ancien monde. Cela commence par une rubrique « métaphysique » : le ton est donné ! Sous cette rubrique, quatre chapitres : « le corps et l’esprit » (opposition qu’on pouvait croire rangée au magasin des antiquités).

Ensuite « le désir » (mettre le désir dans la métaphysique revient à l’amputer de toute dimension proprement anthropologique, et cela va de pair avec la disparition du chapitre sur l’inconscient – concession à la Manif pour tous ?). Puis « l’existence et le temps » : problématisation beaucoup trop restreinte, qui elle aussi préjuge de l’essentiel et tire la question du temps, de façon dogmatique, vers une approche subjectiviste. Enfin, last but not least, « l’idée de dieu » (on notera la très laïque minuscule !) – alors qu’il y a plus loin un chapitre sur la religion…

Deuxième rubrique : « l’épistémologie ». En apparence, il y a moins à dire : d’abord un chapitre sur le langage, qui permet une approche plus positive de ce qui aura été unilatéralement approché comme « parole » l’année précédente. Les choses se gâtent bientôt : « raison et vérité », ce qui appelle à une approche purement métaphysique de ces notions. Puis « science et expérience », ce qui n’est pas mal, avec même l’invitation à l’étude d’un concept scientifique. C’est tout de même un peu court en l’absence de tout questionnement sur les mathématiques, la connaissance du vivant, des sciences humaines… Enfin, un intitulé embrouillé sur « la technique ou/et les techniques et technologies ». Il faut aborder la question de la technique, mais est-ce bien le lieu ? Il est vrai que réduire la réflexion sur le produire et le faire humain, ce que Marx appelle la Tätigkeit, à une question d’épistémologie, c’est ne pas lui donner sa dimension sociale et politique.

Et tel est, semble-t-il, le but recherché, quand on regarde le contenu de la troisième rubrique, intitulée comme au bon vieux temps « morale et politique ». « La liberté » est placée en tête, ce qui par contre n’est pas classique : tout se passe comme si, assimilée au libéralisme, elle devait irriguer le reste. Ensuite « l’État, le droit, la société » – la société n’a qu’à bien se tenir, avec l’État libéral et son droit en surplomb ! Puis « la justice » : il en faut tout de même un peu ! Enfin, « la responsabilité », notion toute nouvelle, qui vient boucler la boucle : pas de liberté sans responsabilité. Sarkozy ne disait pas autre chose. Les contestataires en puissance sont avertis de ce qui les attend.

La dernière rubrique, « anthropologie », offre un mélange assez curieux : d’abord « nature et culture », ce qui est bien tardif, beaucoup d’enseignants ayant l’habitude, non sans fortes raisons, de commencer l’année par ce chapitre-là. Mais le choix a été fait en haut lieu de commencer par la métaphysique… Ensuite, « l’art » : on a tout simplement escamoté « le travail », notion anthropologique pourtant structurante. Ensuite, « la religion », soigneusement éloignée, par « l’art » interposé, de tout contenu véritablement anthropologique et social.

Enfin, assez curieusement, « l’histoire », abordée non plus en tant que discipline à vocation scientifique mais en tant qu’horizon quelque peu indéterminé de la condition humaine… Qu’on ne s’y trompe pas, une idéologie à destination des jeunes et des autres peut se lire ici en filigrane, et c’est une idéologie réactionnaire : l’Homme (pensé bien entendu sur le modèle masculin) est d’abord un esprit, sujet en quête de sens et même de transcendance. Il peut connaître, il peut agir, mais il doit surtout faire un bon usage de sa liberté, garantie par l’État, en se montrant responsable. En contrepartie de quoi il pourra s’épanouir dans l’art et la religion, sans jamais oublier la dimension relative des choses… Tel qu’il est, ce programme permet aux professeurs de ne jamais parler ni de Marx ni de Freud. Certes, l’apport de ces penseurs ne se réduit pas, comme on l’a trop souvent dit, à une réflexion de l’un sur le travail et de l’autre sur l’inconscient. Mais il faudrait être bien naïf pour ne pas voir dans la suppression de ces deux chapitres un signe fort envoyé, au-delà même de la philosophie, à l’opinion publique.

Ainsi se profile une philosophie officielle. On est un petit peu sidéré de voir ces vieilleries ressorties au nom du « nouveau monde ». À sa manière, ce triste programme dit la vérité du macronisme. Ceux de nos collègues qui ont à cœur, comme disait Diderot, de « rendre la philosophie populaire » ou même simplement une conception exigeante de leur métier ne l’entendront certainement pas de cette oreille.

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