Intégrer l’ensemble des défis d’une commande publique responsable dans les achats (1) semble encore hors de portée des collectivités. C’est ce que révèle l’étude « Les achats responsables d’équipements et de mobiliers dans les collectivités locales », réalisée par Infopro Digital études pour « La Gazette », Manutan collectivités, les papeteries Pichon et Casal sport.
Approche classique
Les sondés reconnaissent en effet que les enjeux environnementaux et sociaux ne sont pas prioritaires à leurs yeux. En effet, 67 % d’entre eux considèrent que le rapport qualité-prix reste le critère le plus important, même dans le cadre d’un marché responsable (voir le graphique n° 1). Les autres facettes des achats responsables n’arrivent qu’ensuite (lieu de fabrication, labels, matériaux recyclés, insertions sociales…).
Selon Jérôme Michon, président de l’Institut de la commande publique et professeur en droit des marchés publics et privés à l’Ecole spéciale des travaux publics, du bâtiment et de l’industrie, cela montre que les collectivités ont encore « une approche classique et ancestrale des marchés publics à travers le rapport qualité-prix. Elles ne maîtrisent pas toutes les caractéristiques des achats responsables ». Il note également que la démarche « RSE » (responsabilité sociale des entreprises) est citée par à peine 20 % des collectivités. « C’est significatif de la tendance actuelle dans laquelle les enjeux environnementaux ont pris le dessus sur les défis sociaux. » A la question « quelles sont les motivations de votre collectivité à privilégier les achats responsables ? », la réponse qui arrive en tête (56 %) est « participer au développement économique et social du territoire ».
Dimension budgétaire
Dans l’esprit de ces répondants, « la commande publique durable se fond donc avec la volonté de faire de l’achat local », remarque Yannick Tissier-Ferrer, le directeur de la commande publique d’Antony (Hauts-de-Seine) et expert pour l’Association des acheteurs publics. La deuxième motivation (55 %) pour faire de l’achat responsable est le respect des obligations réglementaires.
Il ressort également de l’étude que la dimension budgétaire reste majeure pour les collectivités territoriales. D’après 41 % des agents et élus locaux interrogés, « gérer les comptes publics en phase avec les enjeux sociétaux » est l’une des motivations pour effectuer des achats responsables. « Réaliser des économies (grâce aux achats reconditionnés / de seconde main) » en est une, selon 38 % d’entre eux.
Mise en œuvre compliquée
A l’inverse, le budget peut aussi être un frein à la mise en place de marchés responsables. C’est même le principal pour 59 % des sondés (voir le graphique n° 2). Ils sont 42 % à estimer que les fournisseurs ne sont pas suffisamment prêts, quand 40 % pointent le manque de ressources (qu’elles soient financières ou juridiques).
Autant d’éléments qui expliquent les difficultés des collectivités à appliquer la loi antigaspillage pour une économie circulaire, dite « Agec », du 10 février 2020. Les répondants estiment à 55 % que la mise en œuvre de cette loi est compliquée. La première explication qu’ils donnent est « le manque de connaissance des fournisseurs et prestataires (46 %) » (voir le graphique n° 3). « La loi “Agec” se heurte aussi à un défaut d’offre performante de la part de fournisseurs. C’est également un enjeu d’innovation. Sur certains segments d’achats, il faut que les collectivités se regroupent, afin de mutualiser leurs volumes et susciter de la recherche et développement de la part des opérateurs économiques », estime Jérôme Michon. Les autres raisons évoquées sont la difficulté d’identifier les produits répondant à la loi « Agec » (43 %), le coût élevé de ces produits (42 %) ou encore le manque d’informations sur le texte.
Besoin de formation
Des résultats décevants, qui montrent que « la mise en œuvre d’achats responsables est vécue comme une contrainte réglementaire, et non comme une plus forte efficience de la commande publique. Une large majorité des acheteurs se sent démunie et a besoin de formation », synthétise Jérôme Michon.
Il est évident qu’il existe de fortes disparités dans les pratiques entre les différents niveaux de collectivités. « Les plus petites communes ne passent que très peu de marchés publics. Beaucoup de collectivités ne maîtrisent pas totalement la dimension économique des achats. Alors, c’est délicat de se positionner sur la dimension responsable. Les grandes collectivités ont pris de l’avance, mais pour nombre d’entre nous, c’est encore très compliqué. Il reste pas mal de choses que nous ne savons pas faire. Et les fournisseurs ne sont pas prêts sur tous les segments», explique Yannick Tissier-Ferrer.
Domaines juridiques
Notes
Note 01 D’après la définition de l’Observatoire des achats responsables, un achat responsable est « un achat intégrant, dans un esprit d’équilibre entre parties prenantes, des exigences, spécifications et critères en faveur de la protection et de la mise en valeur de l’environnement, du progrès social et du développement économique ». Retour au texte