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"L’honneur d’être une cible" : au Sénat, Moscovici assume d’avoir retardé le rapport sur l'immigration irrégulière
Auditionné au Sénat, Pierre Moscovici assume d'avoir reporté un rapport de la Cour des comptes sur l'immigration illégale, en janvier.
Lionel VADAM/MAXPPP

"L’honneur d’être une cible" : au Sénat, Moscovici assume d’avoir retardé le rapport sur l'immigration irrégulière

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Trois mois après la sortie d’un rapport de la Cour des comptes sur l’immigration irrégulière, son Premier président était auditionné par la commission des lois du Sénat ce mercredi 10 avril. Invité pour parler du fond, il est revenu de lui-même sur sa décision controversée d’en reporter la publication.

Accusé de basse manœuvre politique, il a tenté de la jouer « hauteur de vue ». Auditionné au palais du Luxembourg, ce matin du mercredi 10 avril, Pierre Moscovici est revenu d’entrée sur la tempête provoquée début janvier par son choix de reporter la publication d’un rapport à fort enjeu sur l'immigration illégale : « La Cour a fait l’objet de critiques à mon sens infondées au sujet de la décision prise collégialement de reporter la publication de ce rapport, de peu de jours, en fait. »

À sa sortie le 4 janvier, il était apparu que sa publication, initialement prévue le 13 décembre, avait été reportée quinze jours après la fin du débat parlementaire volcanique sur la loi immigration du gouvernement. « Je suis persuadé que ceux qui nous ont fait des reproches nous en auraient fait de dix fois plus grands si l’on s’était immiscé dans le débat parlementaire », soutient Pierre Moscovici. Débat qui, prétend-il, « ne nous regardait pas ».

Et d’avancer un tout autre argument, bien éloigné des considérations politiques, comme s’il doutait des justifications apportées : « Il n’échappera à personne qu’entretemps il y avait par ailleurs quinze jours de congés ». « Cette décision, poursuit-il, ne méritait pas l'excès d’opprobre dont j’ai été personnellement couvert». Avant d’oser, bravache : « C’est toujours, comme disait Cyrano, un grand honneur que d'être une cible, donc je l’ai vécu avec une impavidité absolue ».

Procès en manigance

Le Premier président de la Cour des comptes avait été vertement critiqué à la sortie de ce rapport, le 4 janvier. Plusieurs responsables politiques, surtout à droite de l'échiquier politique mais aussi à gauche, étaient montés au créneau pour dénoncer la liberté prise par le chef d’une institution dont le rôle est précisément d’assister le Parlement dans sa mission. Le chef de file de la droite sénatoriale, Bruno Retailleau, avait notamment reproché à l’ancien ministre socialiste de « s’être comporté en responsable politique et non en haut fonctionnaire, au service du Parlement et du gouvernement ». Laurent Wauquiez, président LR du conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes, s’était quant à lui indigné d’un « manquement grave à notre démocratie et aux obligations constitutionnelles les plus élémentaires qui s’imposent à la Cour des comptes ».

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À gauche, le député de La France Insoumise (LFI) Thomas Portes avait estimé que « la démocratie française mérite mieux que ces magouilles d’un autre âge ». Au-delà de la sphère politique, le directeur de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (Ofii), Didier Leschi, s’était ému de ce contretemps au micro de Sud Radio : « L'avantage des rapports de la Cour des comptes, c'est qu'ils éclairent le débat public. Il est un peu dommage que ce rapport arrive trop près ou après le débat public. Entre reculer et avancer, il y avait peut-être un choix intermédiaire ».

Pierre Moscovici s’était alors défendu une première fois, le 5 janvier, au lendemain de la publication du rapport. « C'est une initiative que j'ai prise personnellement et que j'assume totalement, déclarait-il sur LCI. Comme nous étions dans une crise politique, dans un moment où les arguments rationnels se faisaient peu entendre, je n'ai pas voulu que ce rapport soit déformé, utilisé, ni interférer avec un vote sous pression du Parlement ». Notons que, en trois mois, on est donc passé de « décision prise personnellement » à « décision prise collégialement ». Quel Moscovici croire ?

"100 % d'OQTF exécutées, un slogan"

Sur le fond, le rapport établissait la défaillance de l’État dans la lutte contre l’immigration irrégulière, capable de n’expulser qu’une « petite minorité » des étrangers visés par une obligation de quitter le territoire français (OQTF), un sur dix environ. « Ce découplage entre le nombre de mesures d’éloignement prononcées et leur exécution effective démontre les difficultés de l’État à faire appliquer, y compris sous la contrainte, ses décisions particulièrement nombreuses, cinglaient les sages de la rue Cambon. Il envoie un mauvais signal : s’il est difficile de prouver que des éloignements plus nombreux conduiraient à réduire le flux entrant d’immigration, il existe en revanche une corrélation nette entre le volume des éloignements forcés et le volume des retours "aide" et volontaires ». Entre autres préconisations, la Cour des comptes recommandait de « centraliser la procédure de demande de laissez-passer consulaires, sauf exception, pour améliorer les relations avec les consulats et le taux de succès des demandes ».

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Lors de son audition au Sénat, Pierre Moscovici a détaillé le contenu du rapport. Rappelant que, « sur les 7 millions d’immigrés en France dénombrés par l'Insee en 2022, la très grande majorité était en situation régulière », il s'est étendu sur le « phénomène difficile à appréhender » de l’immigration illégale. Au cœur de l’impasse actuelle, la lourdeur des services de l’État : « La lutte contre l’immigration irrégulière mobilise de nombreuses administrations et c’est un des défis de sa mise en œuvre, un des problèmes aussi». Pierre Moscovici a également pointé l’inefficacité de l’inflation normative. Selon lui, « le cadre législatif a fait l’objet de 133 modifications entre 2010 et 2019 ». La place Beauvau en prend aussi pour son grade : « Le ministère de l’Intérieur publie en parallèle de nombreuses circulaires pour réaffirmer ses priorités dès qu’une actualité dramatique concerne un étranger en situation irrégulière sans pour autant, disons-le, que ces circulaires constituent une stratégie globale ».

L’auditionné ne s’est non plus privé de railler, sans le citer, Emmanuel Macron et l’une de ses promesses datant d’un entretien à Valeurs actuelles en 2019. « 100% d’OQTF exécutées, c’est un slogan que je laisserai à certains, je ne suis pas persuadé qu’il soit extrêmement réaliste ». En résumé, contre l’immigration illégale, c’est tout le dispositif qu’il faut revoir.





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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne