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L'industrie de la mode britannique a perdu des plumes avec le Brexit

Les exportations de vêtement du Royaume-Uni vers l'Europe ont dégringolé après le Brexit. [Keystone/AP Photo - Matt Dunham]
L'industrie de la mode britannique brille moins depuis le Brexit / Tout un monde / 6 min. / le 11 avril 2024
L'industrie de la mode britannique a été fortement impactée par le Brexit, malgré la conclusion d'un accord commercial en 2021. Les contrôles douaniers, les formalités bureaucratiques et les taxes ont entraîné une chute des exportations de vêtements du Royaume-Uni vers l'Union européenne, mettant en péril un secteur crucial pour l'économie britannique. 

Le secteur de la mode, véritable emblème pour le Royaume-Uni, représentait en 2019 pas moins de 39 milliards de francs de contribution au PIB et 900'0000 emplois. Mais avec le Brexit, le secteur a été pris de court.

"Au moment du Brexit, j'ai reçu un tsunami de courriels horrifiés. Je n'en reçois plus à l'heure actuelle. Aujourd'hui, les gens essaient juste de s'en sortir. Ils ont soit délocalisé leurs activités vers l'Europe continentale, soit cessé de vendre en Europe pour les petites entreprises. Et certains ont malheureusement fermé boutique", explique Tamara Cincik, qui dirige la Fashion RoundTable, un think tank dédié à l'industrie britannique de la mode, jeudi dans l'émission Tout un monde.

Perte de 95% des commandes

La pandémie de Covid-19, fin 2020, a ajouté une couche de complexité à une situation déjà délicate. Un visa de travail pour faire venir du personnel qualifié d'Europe de l'Est est demandé, des marchandises bouchonnent à la douane à cause des contrôles et les ateliers de confection peinent à recruter. Pour beaucoup d'entreprises, c'est la panique. "L'industrie de la mode au Royaume-Uni, ce sont essentiellement des PME et des micro-entreprises", précise Tamara Cincik.

Pour toutes ces petites marques, le surcoût n'est tout simplement pas tenable. Il faut développer des stratégies pour ne pas sombrer. Maïna Cissé est Française. Elle a lancé sa marque de lingerie depuis le Royaume-Uni en 2018. Au moment du Brexit, c'est la dégringolade, raconte-t-elle au micro de la RTS. "Le marché européen, pour nous, représentait un tiers de notre chiffre d'affaires, si ce n'est plus à l'époque. Et du jour au lendemain, après le Brexit, on a perdu 95% de nos commandes. Donc 2020 a été une catastrophe, un deuxième coup de massue".

Barrières à l'importation

L'entrepreneuse fait fabriquer ses produits à Madagascar, qui bénéficie d'un accord de libre échange avec l'UE, mais pas avec le Royaume-Uni. A partir de 2021, ces articles sont donc contrôlés et taxés au moment de l'importation vers la Grande-Bretagne, puis à nouveau soumis à la TVA lors de l'exportation vers le marché européen pour réduire ses frais. 

Maïna décide alors de rapatrier sa production en France. Les sous-vêtements de la marque deviennent alors des produits européens et bénéficient d'une exemption de frais à l'importation. Mais c'est un pis-aller.

"On s'est retrouvé à avoir en vérité deux entreprises, une en France et une en Angleterre, deux comptabilités et deux entrepôts. Le stock a décuplé. Il y a beaucoup de choses à gérer et énormément de coûts qui n'étaient pas spécialement prévus", raconte-t-elle.

Les professionnels de la mode s'exilent eux aussi

La créatrice n'exclut pas de délocaliser bientôt ses opérations aux Etats-Unis pour échapper à ces complications, car c'est là qu'elle réalise le plus gros de ses ventes. Si les marques s'en vont, les professionnels de la mode s'exilent eux aussi. Londres a subi et subit encore ce qu'on pourrait appeler une fuite de talents. Une tendance difficile à chiffrer, mais que tous les interlocuteurs interrogés par la RTS ont confirmé. Pourtant, la ville a longtemps agi comme un aimant pour ceux qui voulaient percer dans le milieu. 

Londres est l'une des villes les moins chères d'Europe pour faire des shootings photo. Comme c'est une ville très libérale avec peu de taxes, tous les tarifs sont plus bas

Guillaume, photographe indépendant

Guillaume, photographe belge indépendant, a vécu treize ans à Londres. "C'est l'une des villes les moins chères d'Europe pour faire des shootings photo. Comme c'est une ville très libérale avec peu de taxes, tous les tarifs sont plus bas. Faire un shooting à Londres était donc beaucoup moins cher que le faire à Paris", explique-t-il. 

Le Brexit, un point de non-retour

Mais ça, c'était avant. Désormais, la photo de mode coûte beaucoup plus cher. La production européenne s'est donc rabattue sur d'autres destinations de la zone euro, notamment Paris. 

Le coût de la vie particulièrement élevé à Londres joue également un rôle pour une qualité de vie pas forcément au rendez-vous. Pour certains travailleurs précaires de la mode, le Brexit a été un point de non-retour. Le travail s'est raréfié et les salaires ont baissé. Alors, après avoir serré les dents en début de carrière, certains se retrouvent à la case départ avec peu d'espoir de voir leur situation s'améliorer. Pour ceux qui le peuvent, s'installer ailleurs est leur meilleur espoir de quitter la précarité.

Beaucoup d'initiatives entrepreneuriales

Tous les créateurs n'ont toutefois pas quitté le pays. Certains ont même décidé de rapatrier leur production, créant des emplois et améliorant au passage le bilan carbone de leurs produits. Au-delà du Brexit, l'un des grands défis pour la mode, c'est de réduire son impact environnemental. Et sur ce point, le Royaume-Uni est plutôt bien positionné, explique Tamara Cincik.

Là où l'industrie de la mode britannique a une occasion à saisir, c'est au niveau du leadership intellectuel

 Tamara Cincik, qui dirige la Fashion Round Table

"Là où l'industrie de la mode britannique a une occasion à saisir, c'est au niveau du leadership intellectuel. Dans le monde académique comme dans le business, il y a beaucoup d'initiatives entrepreneuriales et d'innovations passionnantes autour de la durabilité et de ce que l'industrie de la mode durable doit devenir. Je pense qu'il s'agit là de domaines d'exploration intéressants qui sont autant d'opportunités commerciales s'ils sont abordés de la bonne manière".

Sujet radio: Catherine Rüttiman

Texte web: hkr

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