De la tonte des moutons aux chaussettes… Ces Varois raniment une filière laine française

A Sillans-la-Cascade, l’association Enlainez-vous s’active pour faire renaître une filière laine française, décimée par les délocalisations en Chine et l'avènement des vêtements en fibres synthétiques. De la tonte des moutons d'éleveurs varois jusqu’à la réalisation de chaussettes et bonnets, teints avec des cueillettes locales, récit d’une renaissance en forme de lutte pour une mode durable.

Aurélie Selvi - aselvi@nicematin.fr Publié le 01/04/2024 à 18:15, mis à jour le 01/04/2024 à 18:15

C’est l’histoire d’un démantèlement. Celui de la laine Made in France. "Jusqu’aux années 70, la France était un des leaders européens en matière d’industrie textile et de valorisation des cuirs", lit-on, noir sur blanc, dans un récent rapport du ministère de l’Agriculture se penchant sur la valorisation de la laine.

Mais ça, c’était avant… l'avènement des vêtements en fibres synthétiques, la fermeture des usines textiles françaises, la délocalisation massive de l’industrie vers des horizons lointains et low-cost. En 2021, selon l’Agence de la transition écologique, la matière première la plus produite au monde était le polyester, un dérivé du pétrole.

C’est justement pour faire machine arrière qu’une bande d’irréductibles Varois s’activent en cette matinée de printemps. A Sillans-la-cascade, dans l’étable de Sylvain Apostolo, Nicolas et Guillaume Dreyer, c’est jour de tonte pour les 300 brebis Lacaune de l’élevage. Et de tri pour la dizaine de bénévoles de l’association Enlainez-vous, créée en 2022.

"On en avait marre de voir la laine finir sur le tas de fumier!", Doriane Spruyt, compagne d'éleveur et co-fondatrice d’Enlainez-vous

"Mon compagnon est éleveur et avec Catherine, ma belle-mère, on en avait marre de voir la laine finir sur le tas de fumier après les tontes", explique Doriane Spruyt, prof de théâtre, qui partage la vie et la ferme de Sylvain Apostolo.

Depuis une réglementation européenne datant de 2003, la laine est en effet considérée comme un sous-déchet agricole à éliminer. "Les négociants ne ramassent plus que la laine Mérinos [très présente en Paca] entre 80cts et 1€ le kg, puis ils l’envoient en Chine. Pour les éleveurs, ce prix dérisoire paye à peine le coût de la tonte, qui doit être assurée par des professionnels", explique Catherine Apostolo.

Alors, avec un collectif de femmes du coin d’abord, les deux Varoises se sont formées au tri de laine, à la réalisation de colorations naturelles, renseignées sur les dernières unités artisanales qui la valorisent en France…

Les gestes sont aujourd’hui rodés: une fois la brebis déshabillée de sa laine par Flora, tondeuse professionnelle, la toison est lancée d’un coup franc pour retomber dépliée sur une table de tri ajourée, bricolée par la bande et dressée à même l’étable.

Pour apprendre les gestes techniques du tri de la laine (dont le jeter de toison), les bénévoles d'Enlainez-vous se sont formés. Photo Franck Fernandes.

Les mains bénévoles s’activent ensuite au tri. Il y a les fils les plus longs et résistants, de qualité A, qui pourront être tissés et donner de jolis bonnets, des gants, des pelotes… Les moins longs, qui finiront en feutre; les plus fragiles qui revivront en isolants. Seule la laine trop souillée ou abimée s’échoue sur le sol paillé pour finir en compost.

La renaissance d’une filière française

Ludo, les deux pieds dans un ballot, tasse la précieuse récolte, avant son départ. Car, pour être transformée, un petit périple hexagonal l’attend.

Lavage dans la dernière unité du pays en Haute Loire, puis dispatchage dans les ateliers voisins de Saugues pour les nappes et les chaussons, et dans une filature des Hautes-Alpes où Enlainez-vous a réussi l’exploit de tirer des pelotes de sa laine Lacaune, réputée plutôt difficile à travailler. Puis tricotage en chaussettes, bonnets et autres mitaines dans le petit atelier de Liliane, dans l’Indre.

Après la tonte, la laine est mise en ballots puis transportée dans les dernières unités de lavages et de filage de France. Photos DR.

"En France, il ne reste qu’une poignée de gens qui se sont transmis ce savoir-faire datant du temps où la laine était valorisée. A la Confédération paysanne, on a monté un groupe laine national pour qu’elle retrouve son statut de produit agricole, ses lettres de noblesse", expose Catherine Apostolo.

"Il faudrait que tout ça soit réappris dans les lycées agricoles, que les jeunes éleveurs qui s’installent puissent intégrer la laine dans leurs projets professionnels, faire de la sélection génétique sur les troupeaux pour en améliorer la qualité..."

De retour dans la campagne varoise, les textiles sont ensuite colorés naturellement par la joyeuse bande d’Enlainez-vous. "De la peau d’avocat pour le rose, du romarin pour le vert Anis, des pelures d’oignons pour le jaune…", égraine Edwige, habitante du coin qui n’a pas hésité à s’engager. "Parce que c’est une telle hérésie que la laine française parte en Chine et qu’on s’habille en synthétique!", lance-t-elle.

Une fois filée, la laine est teinte grâce à des pigments naturels par les bénévoles d'Enlainez-vous. Photos DR.

Des produits vendus en circuit court

A Sillans, l’équipe d’Enlainez-vous a étendu ses récoltes à d’autres troupeaux du coin: la laine Mérinos d’une ferme de Bauduen, les brebis sardes d’un éleveur d’Esparron de Pallières…

Et la tonne récoltée en 2022-2023 a donné une belle moisson: un millier de paires de chaussettes, 200 bonnets, une centaine de mitaines, de jolis bandeaux, paires de chaussons, nappes et pas mal de pelotes colorées… Le tout écoulé sur les marchés varois ou en ligne.

"Notre rêve, c’est que tout le monde s’habille en laine!", lance Doriane, qui attend son deuxième bébé en songeant déjà à une petite collection "enfants"...

Bonnets, bandeaux, mitaines ou pelotes de laine de l'association varoise sont vendus sur les marchés locaux et en ligne. Photos DR.

Recréer des outils de production locaux

Bien plus qu’un hobby, la transformation de laine, certes en quantité anecdotique, est aussi et surtout un militantisme chez Enlainez-vous. "Des éleveurs ont leur laine en stock depuis 4 ans car ils n’arrivent pas à l'écouler", déplore Catherine Apostolo, qui plaide pour la renaissance de réseau de traitement et de valorisation locaux.

"L’idéal serait d’avoir une petite réindustrialisation régionale avec localement, une unité de lavage, des débouchés, une réflexion, notamment autour d’une utilisation raisonnée de l’eau. Faire de l’isolant, par exemple, réclame des machines…", égraine-t-elle.

Objectif: faire grandir le mouvement. "Le tonnage traité par les petits groupes comme le nôtre qui existent ça et là en France, c’est peanuts. Dommage car c’est une matière renouvelable, qui repousse sans cesse!", poursuit Catherine.

Alors, l'association travaille aussi d’arrache pied à retisser un réseau. "On veut fédérer un groupe Sud-Est. Depuis octobre 2023, 3 réunions ont déjà eu lieu, avec notamment des éleveurs de brebis brigasques de La Roya." Un projet de société, plus durable… et douillet.

Les bénévoles d'Enlainez-vous espèrent recréer un réseau laine dans le Sud-Est. Photo Franck Fernandes.

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Var-Matin

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