► Quels sont les faits ?

Le 21 juin 2019, Evaëlle, 11 ans, s’est suicidée à son domicile d’Herblay dans le Val-d’Oise. Le dossier a été confié à une juge d’instruction qui, le 20 mars dernier, a décidé de renvoyer devant le tribunal correctionnel, comme l’ont révélé Le Monde puis Le Parisien, l’ancienne professeure de français de la jeune fille pour harcèlement moral sur cette élève, l’enquête ayant montré qu’elle l’humiliait régulièrement devant la classe.

La magistrate a aussi renvoyé devant un juge pour enfants deux élèves du collège d’Evaëlle, toujours pour harcèlement. Un troisième jeune, lui aussi poursuivi, a bénéficié d’un non-lieu. « Ces trois garçons étaient poursuivis pour des faits commis entre septembre 2018 et février 2019 au sein d’un collège qu’Evaëlle a alors quitté pour un autre établissement. Elle s’est donné la mort quatre mois plus tard sans jamais avoir revu ces trois jeunes », précise Me Marion Ménage, qui défend le garçon ayant bénéficié d’un non-lieu.

De fait, l’enquête n’a pas établi de liens entre ces faits de harcèlement et le suicide d’Evaëlle. L’enseignante et les deux anciens collégiens seront donc jugés juste pour avoir, via ce harcèlement, « causé une dégradation des conditions de vie altérant la santé de la jeune fille».

► Qu’en est-il du discernement à l’âge de 11 ans ?

C’est une question centrale dans ce dossier. En effet, les deux collégiens poursuivis avaient 11 ans lors des faits. Un âge où il existe une « présomption de non-discernement » en matière de responsabilité pénale. Cette présomption a été instaurée pour tous les moins de 13 ans dans le nouveau code pénal des mineurs entré en vigueur en septembre 2021.

Cette disposition est rétroactive et s’applique dans l’affaire Evaëlle. Mais cette présomption de non-discernement peut être renversée par un juge si la procédure montre, selon la loi, que le mineur « a compris et voulu son acte » et qu’il est « apte à comprendre le sens de la procédure pénale » dont il fait l’objet.

« C’est au magistrat d’apprécier la situation. La loi précise que la capacité de discernement peut être établie par les déclarations du mineur, celles de son entourage familial et scolaire, par les éléments de l’enquête, les circonstances dans lesquelles les faits ont été commis ou par une expertise ou un examen psychiatrique ou psychologique », précise Alice Grunenwald, présidente de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille.

► Pourquoi le discernement des deux jeunes a-t-il été retenu dans l’affaire Evaëlle ?

Pour le premier garçon, l’enquête a montré qu’il était passé en commission éducative en décembre 2018 dans son collège puis qu’il avait fait l’objet d’une mesure de responsabilisation au commissariat d’Herblay. Il avait alors rédigé un texte sur le harcèlement et s’était engagé à ne plus s’en prendre aux autres élèves. Sans pour autant cesser d’importuner Evaëlle.

Pour la juge, ces éléments du dossier montrent que le garçon avait des connaissances sur la notion de harcèlement et attestent de sa capacité de discernement. La magistrate a aussi estimé que le deuxième mis en cause avait eu conscience de l’existence d’un problème avec Evaëlle et qu’il « est difficilement concevable » qu’il ait ignoré le mal-être de la jeune fille, qu’il avait vue pleurer en classe.

Le débat va de nouveau se poser devant le juge pour enfants, et ce dernier pourra très bien prendre une décision inverse à celle de la juge d’instruction en retenant le non-discernement. « Si tel n’est pas, le juge ne pourra prononcer que des mesures éducatives », précise Alice Grunenwald.