L’aide au suicide pour personnes âgées ? Il y aura toujours un équilibre à trouver entre l’autodétermination et la valeur d’une vie humaine
L’indignation que suscitaient ou suscitent les propos de Pechtold et de Van Gorp n’est pas le résultat d’un rejet de l’autodétermination, avec les ‘libéraux’la préconisant et les ‘chrétiens’la refusant. Ce que Pechtold et Van Gorp partagent, c’est l’idée qu’une vie humaine perd de sa valeur au courant des années et finalement mérite beaucoup moins d’être protégée. Personnellement, je préfère une société qui respecte tout le monde et n’abandonne personne dans la solitude.
- Publié le 16-04-2024 à 12h26
- Mis à jour le 16-04-2024 à 14h22
Une chronique “J’assume” de Rik Torfs, professeur de droit canonique, écrivain, recteur honoraire de la KU Leuven.
En 2017, aux Pays-Bas, la discussion sur le concept de ‘voltooid leven’trouvait son plein essor. Le parti libéral de gauche D66 était au coeur du débat. Il suggérait la possibilité, pour les personnes de 75 ans et plus, d’obtenir de l’aide professionnelle afin de mettre un terme à la vie sans indication médicale préalable. Il s’agissait donc d’une aide au suicide pour personnes âgées, à première vue similaire à l’idée lancée la semaine dernière par Luc Van Gorp, président des Mutualités Chrétiennes.
Alexander Pechtold, tête de liste de D66, soutenait l’idée devant les caméras de Nieuwsuur à la télévision. Soudain, il se voyait confronté avec un homme qui lui disait : “Vous voulez aider les gens à mourir à partir de 75 ans. Eh bien, moi j’ai 57 ans et j’estime que ma vie est terminée. Selon vous, je devrais encore attendre 18 ans. Mais c’est ce que je ne veux pas. Je veux mourir tout de suite. ”
Pechtold était quelque peu pris de court et répondait : “J’espère qu’un jour notre société atteindra le degré de civilisation permettant un tel choix pour toutes les personnes qui décident ainsi, en toute lucidité, sans pression externe et durablement. Mais à ce jour, ce choix n’est pas encore politiquement possible. ”
C’était en 2017. La loi n’a toujours pas été approuvée. Entre autres la Fédération des Médecins KNMG s’y oppose.
La remarque de la ‘jeune’personne de 57 ans n’en reste pas moins pertinente pour autant. Si l’autodétermination figure comme principe de base dans la société, la limite d’âge n’aura pas de sens. Abstraction faite d’ailleurs du caractère discriminatoire et donc illégale de cette dernière. En effet, même les partisans les plus convaincus de l’autodétermination ne s’opposent pas, ou se montrent favorables à la prévention du suicide. Non sans raison. Le suicide est une cause de décès importante parmi les jeunes personnes. Il serait regrettable de mettre un terme à sa vie par chagrin d’amour par exemple, sentiment sans doute aussi éphémère que peu profond. Mais sur le plan théorique, la lutte contre le suicide se conjugue mal avec l’autodétermination d’une personne qui fait son choix en toute lucidité, sans pression externe et durablement.
Certes, il y a des individus et des partis politiques qui proclament fièrement l’autodétermination. Pourtant, entre la théorie et la pratique, la différence reste réelle. Il y aura toujours un équilibre à trouver entre l’autodétermination et la valeur d’une vie concrète. Par exemple, quand les guerres ou les catastrophes naturelles font des victimes, nous comptons le nombre d’enfants disparus. Ce qui confirme l’idée qu’une vie d’enfant est jugée plus précieuse que celle d’une personne d’adulte. Tout est encore possible pour l’enfant. Une vie étincelante par exemple. Bien que l’inverse ne soit pas exclu non plus. L’enfant attendrissant d’aujourd’hui peut devenir à terme un père ou un grand-père insupportable.
L’indignation que suscitaient ou suscitent les propos de Pechtold et de Van Gorp n’est pas le résultat d’un rejet de l’autodétermination, avec les ‘libéraux’la préconisant et les ‘chrétiens’la refusant. Ce que Pechtold et Van Gorp partagent, c’est l’idée qu’une vie humaine perd de sa valeur au courant des années et finalement mérite beaucoup moins d’être protégée.
Cependant, les dilemmes de Pechtold et de Van Gorp ne sont pas complètement les mêmes. Pechtold, le libéral, essaie de trouver un équilibre entre l’autodétermination et la valeur intrinsèque d’une vie humaine devenue moins précieuse au fil des années. Van Gorp, le chrétien de culture, cherche à trouver un compromis entre les besoins économiques de la mutualité et la valeur intrinsèque d’une personne âgée. Du christianisme de sa jeunesse, il retient la notion de ‘compassion’ : il ne faut pas prolonger la vie des gens âgés qui désirent mourir.
Personnellement, je préfère une société qui respecte tout le monde et n’abandonne personne dans la solitude. Mais si je devais choisir entre Pechtold et Van Gorp, je préférerais le premier et son autodétermination hésitante au second qui se veut miséricordieux tout en appliquant en réalité une logique économique impitoyable.
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