Lutte contre l'homophobie - Fin d'un symbole ou compromis inévitable ? Imbroglio autour d'un maillot arc-en-ciel

La Ligue a donc tranché. Quatre ans après leur lancement, les maillots floqués aux couleurs de l'arc-en-ciel ne seront plus de la partie lors de la journée de lutte contre l'homophobie organisée par la LFP les 17 et 18 mai prochains. Face aux polémiques suscitées par l'opération ces dernières années et le refus, plus ou moins assumé, de plusieurs joueurs de porter le maillot en question, la Ligue étrenne un nouveau dispositif. Désormais, les maillots seront ornés de deux badges : le premier sur fond noir avec homophobie barré en rouge et le second avec le logo de la compétition aux couleurs de la communauté LGBTQ+.

"Aujourd'hui, avec le badge arc-en-ciel, c'est toute la compétition qui porte le message et pas seulement un joueur avec son numéro, nous fait-on savoir à la LFP, seule ligue professionnelle à mener campagne contre l'homophobie. Pour augmenter la visibilité, nous aurons des éléments protocolaires aux couleurs de l'opération et des drapeaux de corner arc-en-ciel eux-aussi." Suffisant ? Pas pour certaines associations de défense des droits LGBTQ+. Deux d'entre elles ont décidé de ne plus s'associer à l'opération.

"Cette disparition du flocage arc-en-ciel est un recul aussi colossal que son instauration avait été perçue comme une avancée majeure, unique au monde, nous fait savoir Bertrand Lambert, président des PanamBoyz & Girlz United. Il faut persévérer, expliquer et tenir bon, car ce combat est juste. En reculant sur le maillot arc-en-ciel, on donne l’impression de donner raison à ceux qui ont refusé de le porter l’an dernier."

Voilà le nœud du problème : les résistances rencontrées ces dernières années, le refus de certains joueurs de porter le maillot arc-en-ciel et les amples polémiques qui ont accompagné l'opération. En 2022, Idrissa Gueye boycotte la journée de championnat, ne joue pas la rencontre et son club, le PSG, le lâche. En 2023, à Toulouse, Nantes ou encore Guingamp, cinq joueurs refusent de porter le maillot et, comme chaque année, beaucoup plus n'assument pas leur choix et se font porter pâle à l'occasion de la journée.

Eric Roy regrette le timing "catastrophique" de l'opération en fin de saison. Comment faire avancer la cause sans braquer ? "Beaucoup de joueurs nous ont dit : 'je ne comprends pas pourquoi on défend une communauté plutôt qu'une autre', nous renseigne Paul Royer qui représente l'UNFP et donc les joueurs dans ce projet. La première discrimination que vivent les joueurs, c'est le racisme et il n'y avait pas de maillot contre le racisme. Les joueurs ne comprenaient pas." Cette saison, la LFP a donc couplé lutte contre le racisme (29 et 30 mars) et celle contre l'homophobie.

"On a milité pour conserver l'arc-en-ciel, continue Paul Royer. Mais les joueurs ne doivent pas être les seuls à porter ce symbole et il fallait un enrichissement du dispositif. Et puis, ces dernières années, certains clubs ont manqué de pédagogie le jour du match. Pour les footballeurs, l'engagement sociétal n'est pas un dû, ce n'est pas le cœur de leur métier. Ils doivent comprendre." Pour se faire comprendre, justement, la LFP a organisé 74 ateliers de sensibilisation depuis 2021. Menés notamment par Yoann Lemaire, président de la Fondation Foot Ensemble, ils font remonter un malaise certain autour de l'opération maillot arc-en-ciel.

"Si la LFP a décidé d'arrêter, c'est parce qu'on leur a demandé, nous confie Yoann Lemaire. Ce maillot, on a poussé pour l'avoir. On était très heureux. Mais je suis allé dans les centres de formation. Les jeunes sont très durs, certains font d’Idrissa Gueye une star qui a su dire merde au système. L'argument qui revenait toujours : 'On ne veut pas soutenir la gay pride'. On a sous-estimé le problème. J'ai senti un changement quand je leur ai dit qu'on ne ferait plus le flocage arc-en-ciel. Que fallait-il faire ? Imposer le maillot et faire fermer les bouches ? Il faut savoir écouter. On n'avait jamais demandé l'avis des joueurs et des clubs. Ça risquait sinon d'être de pire en pire. Oui, ça fait mal au cœur mais, parfois, il faut faire un pas en arrière pour avancer plus loin."

Alors, compromis ou compromission ? Symboliquement, la part de l'arc-en-ciel est donc désormais réduite à la portion congrue sur les maillots avec un simple badge. "Il y a évidemment une forme de recul et c'est pour cela qu'on ne souhaite pas être associé à cette campagne 2024, note Yves Gimbert (SOS Homophobie). Nous sommes en désaccord sur un point central : la puissance symbolique de certaines manifestations. C'est comme quand on inscrit l'IVG à la Constitution. C'est incroyablement puissant mais il y a des interprétations différentes."

"Les polémiques n'ont pas grandi la cause, continue Lemaire. Si on peut s'en éviter de nouvelles à trois mois des JO… Maintenant, si des joueurs refusent encore de porter le maillot avec le badge, ça posera un problème beaucoup plus sérieux que l'an passé." Réponse dans quelques semaines.