Pendant 17 ans, Alice a vécu sous l'emprise d'un catholique fondamentaliste : « Je n'étais rien du tout »

Alice Davril (*), une habitante de Cherbourg (Manche), a écrit un livre dans lequel elle raconte l'emprise d'un homme, catholique fondamentaliste, pendant plus de 15 ans.

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Depuis l’écriture de son livre, Alice Davril reçoit environ 2 mails par jour, de femmes vivant ou ayant vécu la même chose qu’elle. « Les gens comme mon mari n’ont rien compris à la religion telle que celle proposée par des personnes équilibrées. Pour eux, la religion est dévoyée, c’est une arme. Ils s’accrochent à des dogmes et s’en servent pour faire du mal, pas du tout ce que prône l’Église. Ils n’ont rien compris à la bienveillance », regrette-t-elle. 
Depuis l’écriture de son livre, Alice Davril reçoit environ 2 courriels par jour, de femmes vivant ou ayant vécu la même chose qu’elle. « Les gens comme mon mari n’ont rien compris à la religion telle que celle proposée par des personnes équilibrées. Pour eux, la religion est dévoyée, c’est une arme. Ils s’accrochent à des dogmes et s’en servent pour faire du mal, pas du tout ce que prône l’Église. Ils n’ont rien compris à la bienveillance », regrette-t-elle.  (©Thibaud DELAFOSSE)
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Elle n’a aucune rancœur. Contre personne. Ce qu’elle veut, aujourd’hui, c’est porter un message d’espoir. Un message de vie. Elle espère aussi pouvoir aider. Aider toutes ces femmes qui, comme elle, vivent ou ont vécu un enfer. Aider les proches, aussi, de toutes ces victimes dont on ignore, souvent, l’existence. 

Alice Davril (*), aujourd’hui, est heureuse et en bonne santé. Elle savoure les petits plaisirs de la vie, tellement belle désormais pour cette femme de 44 ans vivant à Cherbourg (Manche). « Je peux mesurer à quel point c’est bien de travailler, de s’épanouir, de pouvoir acheter du pain à la boulangerie. Je connais la valeur du bonheur, plus que n’importe qui d’autre. » 

« Dans les abîmes du malheur »

La Bretonne d’origine revient de très loin. Pendant 17 ans, dont 13 en couple, Alice a vécu sous l’emprise d’un homme catholique fondamentaliste. Un manipulateur. Elle partage son récit dans un livre, Femmes, soyez soumises à vos maris, publié le 14 février 2024. Dès le début de l’ouvrage, Alice prévient : elle a plongé « dans les abîmes du malheur ».  

Pourtant, rien ne prédestinait cette enfant joyeuse et gourmande à tomber sous la coupe d’un tel homme, de quinze années son aîné. À l’âge de 13 ans, en 1992, elle le rencontre pour la première fois lors d’un jeu de piste en faisant du scoutisme dans une forêt.

Une première rencontre marquante

Cet homme qui s’appelle Henry (*), officier de la Marine, était alors plongé dans la pénombre d’une ancienne chapelle. « Je distingue une silhouette masculine de dos, enveloppée d’une cape noire tombant jusqu’aux pieds, la tête couverte d’une large capuche monastique. Il se tient droit, parfaitement immobile devant l’autel recouvert d’une nappe blanche, pendant de longues minutes, puis se prosterne à deux reprises », décrit-elle.

Un moment marqué au fer rouge dans sa mémoire. 

C'était tellement mystique et frappant. Il y avait un véritable malaise et une inquiétude, au point que l'on ne savait plus si c'était vraiment un jeu. Sur le moment, on ne comprend pas vraiment. C'est impossible à oublier.

Alice Davril

Trois ans plus tard, désormais une jeune fille de 16 ans, Alice recroise celui qui deviendra son mari. Toujours scout, un milieu qu’elle fréquente depuis ses 8 ans duquel est proche Henry, elle vient de terminer son premier concert. Bien qu’elle ne veuille pas du tout l’approcher au début, ne lui trouvant pas de qualités, c’est à partir de ce moment-là qu’Henry commence à « tisser sa toile ».

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Pendant quatre années, les deux discutent beaucoup. De plus en plus. Alice est abreuvée de conférences, de livres de théologie et de politique imposés par Henry. « Il était convaincant, parlait tellement bien. Sa capacité à convaincre les gens est folle, tout était bien étayé. Je ne parvenais plus à trouver la faille dans ce qu’il disait, je n’avais plus les connaissances pour remettre en question ses propos. Il ne faut pas oublier que j’étais jeune. J’ai eu mes premières notions de philosophie avec lui. » 

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Un mariage à 20 ans

De fil en aiguille, Alice en arrive à la conclusion qu’elle doit se marier avec lui. Elle « n’a plus le choix ». Ce malgré l’absence de baisers, de rapports sexuels et même de compliments. « Simplement des petits signes d’affection auxquels on se raccroche. Comme j’étais une adolescente, sans trop de défense, il a pu me modeler et me façonner comme il le voulait. »

À l’âge de 20 ans, le couple se marie dans la cathédrale Notre-Dame de Reims. Un jour qui ressemble à tout sauf à l’union de ses rêves, quelques semaines seulement après leurs fiançailles. Tout allait trop vite. 

J'étais aspirée dans un mouvement qui m'échappe. Je n'avais rien à dire.

Alice Davril

Alice doit mettre fin à ses études d’infirmière après seulement deux ans, elle qui petite se rêvait médecin. Son quotidien consistera principalement à s’occuper des tâches ménagères. Elle n’aura pas de compte bancaire ni revenus, se contentant de faire des courses avec un chèque donné par Henry, sans avoir le droit d’acheter quelque chose de superflu.

Dans la maison familiale, il n’y a ni radio ni télévision. Seuls des chants grégoriens, de la musique baroque et du Mozart sont possibles, « la décadence débutant avec Beethoven ».

L’omniprésence de l’Église

« Tout cela est très moyenâgeux. Pour lui, le monde est perverti et il faut s’en protéger. Je vivais dans une tour d’ivoire. C’est un système de pensée et de religion, un système social dans lequel j’étais bloquée. Il y avait aussi l’entourage, composé de nombreux catholiques fondamentalistes, qui exerçait une pression sociale. Tout cela m’empêchait de partir, la solution ne pouvait pas être le divorce. » 

La religion est omniprésente dans la vie quotidienne, Henry consacrant de nombreuses heures à l’Église. Tous les jours, il y a des séances de méditation au pied du lit, la messe ou encore la récitation du chapelet.

Ce sont des prières répétitives et mécaniques, récitées en latin. J'ai fini par saturer, il n'y avait plus de sens derrière cela. Dans tout ce qu'on fait, il faut viser Dieu. Tout ce qui est futile et superficiel, qui n'est pas orienté vers Dieu, on peut s'en passer.

Alice Davril

Henry est parvenu à persuader sa femme de tout cela, telle une secte convainc ses adeptes. « À ses côtés, je suis devenue une catholique très pratiquante, je suis tombée dans la surspiritualité. Ce fut une erreur épouvantable. » 

La sexualité du couple est particulièrement impactée, Henry la considérant comme un pêché. Les rapports intimes se limitent aux jours de fécondité d’Alice, le premier intervenant plusieurs mois après le mariage.

Une famille nombreuse

De cette union, pourtant, naîtront six enfants. Le premier voit le jour fin 2002, un septième venant au monde neuf ans plus tard. « La famille nombreuse n’était pas une option. J’étais une maman hyper heureuse. Avant leurs naissances, la vie était glauque. Ils ont donné du sens à ma vie. C’était un épanouissement dingue. »

Paradoxalement, les progénitures d’Alice constituaient aussi une source d’inquiétude monumentale, se demandant si elle serait capable de les protéger. Elle-même l’ainée d’une grande fratrie, Alice a dû faire face pendant 13 ans aux colères d’Henry.

Des colères de plus en plus fréquentes

Un homme capable d’enfermer ses propres enfants dehors sous la pluie ou dans le cabanon de jardin, dans la cave alors qu’ils sont bébés voire de les violenter, parce qu’ils font trop de bruit et « gâchent sa relation avec Dieu ». Ou qu’ils salissent un tantinet la maison, lui qui était particulièrement maniaque.

Il était d'une nature impatiente. Mais, en plus, il ne supportait pas d'être dérangé. Les enfants contrariant ses plans, les choses ne faisaient qu'empirer. J'espérais toujours que les choses s'améliorent, qu'en fondant la famille et qu'en faisant tout ce qu'il voulait, ça irait mieux.

Alice Davril

Les années de mariage avançant, les accès de colère sont de plus en plus fréquents et de plus en plus violents. 

Il y a aussi le rapport d’Henry à l’école, qui appartient à ce monde extérieur perverti. Jusqu’aux 9 ans de l’aîné, Alice était contrainte d’enseigner à la maison, avant de forcer le destin pour que ses enfants commencent à pouvoir aller en classe. Dans ce contexte de plus en plus angoissant, où elle doit mettre les bouchées doubles pour éviter que son conjoint s’énerve sur les enfants,  Alice est toujours plus usée. « J’ai certainement fait un burn-out. » 

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Un homme humiliant 

Pour Henry, le sens de la Bible dit qu’il doit être le chef, que c’est à lui de prendre les décisions. 

Il était supérieur à moi en tout. En plus, il y avait ces quinze ans de différence d'âge. Lui avait une position sociale élevée, quand je ne travaillais pas et que je ne possédais pas de diplômes. Sa famille était aussi socialement plus élevée. Tout déséquilibrait la balance, dans le même sens. J'étais persuadée d'être bête et moche, de n'avoir aucune valeur, de n'être rien du tout. Comme j'avais très peu d'ouverture sur le monde extérieur, la seule image que j'avais de moi était celle renvoyée par Henry.

Alice Davril

Les humiliations à répétition de son mari, en public, n’arrangent rien. Alice est également envahie par un sentiment de culpabilité, toujours présent en elle aujourd’hui. Ses amis et sa famille lui conseillent, notamment au début de l’histoire, de quitter Henry. Mais, tellement bloquée dans sa relation, elle ne peut pas l’entendre. « Cela n’avait pas de sens au moment où ils me l’ont dit, mais ça en a pris énormément plus tard, au moment où je suis partie. » 

Après un épisode où, pour la première fois, elle contrarie ses projets, Alice devient même pendant les derniers mois de vie commune « l’ennemie ». La cible. « C’était épouvantable. »

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Sauvée par la musique

Ce sont ses cours de musique hebdomadaires qui l’auront sauvée, pendant quatre ans. Pour cette mélomane depuis l’enfance, la musique constitua son unique ouverture sur le monde. Elle y rencontra notamment un prof de piano, avec lequel elle a eu son septième et dernier enfant. « J’avais l’impression d’exister, de pouvoir plaire. Là-bas, je retrouvais presque la vie. C’était une véritable bouffée d’oxygène, jouer me faisait un bien fou. »

Elle parvient finalement à quitter Henry en juin 2013, et part vivre seule avec ses enfants. Le déclic ? 

Jusqu'alors, je me disais que la mort m'attendait à l'extérieur. Le jour où cela s'est inversé et que j'ai compris que si je reste, c'était sur que j'allais mourir, c'est devenu une question de survie. La tour d'ivoire s'est transformée en château de cartes. Il fallait que je parte, pour sauver mes enfants aussi. Sans eux, je ne me le serai jamais autorisé.

Alice Davril

La quadragénaire a pu soudainement puiser une force de vivre. « J’ai rapidement apprivoisé le monde. » Alice trouve un travail, comme professeure d’éducation musicale. Elle peut porter les vêtements qu’elle veut, se coiffer comme elle le souhaite, ouvre un compte en banque, peut aller au cinéma, ou encore manger des pizzas. 

Après de longues années d’une bataille judiciaire, marquées par de nouvelles angoisses, de nombreux actes violents et des menaces d’Henry à l’encontre d’Alice et de ses enfants notamment, le divorce est finalement prononcé en 2018. Henry est condamné à trois reprises, avec sursis à chaque fois et sans inscriptions au casier judiciaire. Il possède, en revanche, un droit de visite tous les quinze jours qu’il exerce très peu. 

« Pas de tabous » 

Aujourd’hui, Alice enseigne dans un collège de Cherbourg. Elle est en couple avec un homme rencontré dans le cadre de son travail. Ses enfants, dont les quatre plus âgés ont lu le livre, parlent régulièrement de cette histoire. « Ils en ont tous une vision différente, mais se construisent en dépit de cela. Il n’y a pas de tabous. On a toujours été très soudés dans l’adversité. » 

Une solidarité soulignée par Alice dans son livre, en remerciant sa famille et ses amis, mais aussi de nombreuses personnes croisées comme sa psychologue ou ses voisins qui ont pu lui donner plein de forces au cours de cette épreuve. Dans la pénombre, il existe toujours un rayon de lumière. 

« Femmes, soyez soumises à vos maris » est édité par Larousse. Vous pouvez contacter Alice Davril par courriel : [email protected]
(*) : les noms ont été modifiés. 

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