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Congo : avec les chimpanzés à l'école de la liberté

Un programme de conservation, géré depuis 2021 par l’association française Beauval Nature, a permis de sauver une centaine de singes du braconnage et de la captivité
Gaëlle Legenne, envoyée spéciale au Congo , Mis à jour le

Depuis trente ans, l’association Help Congo réapprend la vie sauvage aux singes apprivoisés pour les réintroduire dans la forêt primaire. Nous avons suivi l'équipe en charge de ce travail passionnant et délicat.

Dans l’obscurité de la jungle, Nina Giotto avance à la lumière de son smartphone. Elle pose un pied assuré sur le chemin de latérite, grondant de vie, au-dessus duquel lianes et fougères, palmiers et acacias semblent faire la révérence. Jour ordinaire dans un sanctuaire unique au monde. À l’aube, elle s’est fait réveiller par un éléphant en balade. Ce mastodonte à l’allure débonnaire était venu faire un tour dans la petite clairière où s’est installée une partie de son équipe. Tout aussi calmement, il a finalement regagné ses pénates.

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« La nuit, c’est une autre histoire, nous dit Nina Giotto. Si on en croise un sur le chemin, mieux vaut se cacher derrière un arbre. Ainsi, il ne peut pas nous charger. Mais le plus dangereux, ici, c’est un animal beaucoup plus petit : la fourmi. » Du genre fourmi légionnaire ou magnan, se déplaçant toujours en colonne. Qu’on leur marche dessus, et c’est la guerre : « Elles peuvent vous envahir de la tête aux pieds. Une seule solution : se déshabiller, et rapidement ! » Ce qui fait rire Nina.

Gaël Sitou et Vaillant Mboumba, pisteurs, relèvent les cartes mémoire des caméras posées tous les kilomètres, pour évaluer les populations d’animaux. Dans le Triangle, le 20 mars.
Gaël Sitou et Vaillant Mboumba, pisteurs, relèvent les cartes mémoire des caméras posées tous les kilomètres, pour évaluer les populations d’animaux. Dans le Triangle, le 20 mars. Paris Match / © Enrico Dagnino


À 44 ans, elle a été tour à tour enseignante en biologie, éthologue à Djibouti et en Israël, où elle s’est occupée de la conservation ­d’espèces menacées (antilopes ­beiras, ânes sauvages, léopards). Puis, un jour de 2021, elle a posé ses valises dans le parc protégé de Conkouati-Douli, dans le sud-ouest du Congo, à la frontière du Gabon. C’est une vaste zone de 500 000 hectares, à l’intérieur de laquelle, il y a plus de trente ans, le gouvernement congolais a délimité 3 000 hectares dont il a accordé la gestion à Help Congo. Depuis 2021, le programme est intégré aux missions de l’association de protection de la biodiversité de Beauval Nature. Cette enceinte protégée, que Nina Giotto dirige, comprend un camp de base, trois îles et le Triangle, la fameuse forêt primaire à laquelle on accède après une heure de canoë.

Congo, Conkuati, camp HELP
Chimpanzee et ecopark
Prédateur naturel du chimpanzé : le léopard. Paul Aczel, coordinateur de terrain pour Help Congo, visionne les images du jour. Paris Match / © Enrico Dagnino


Grâce à un mental hors pair et à de solides convictions, Nina Giotto affronte ce milieu parfois hostile entourée d’une équipe de choc, mais loin de tout, séparée de Pointe-Noire par 139 kilomètres, soit cinq à six heures de 4 x 4. Le ravitaillement n’arrive qu’une fois par semaine par la route nationale 5. « Route » est un bien grand mot pour cette piste dont la terre semble avoir été bombardée par les averses tropicales. Mieux vaut connaître les chemins de traverse… comme Nina, que les chefs de village saluent à chaque passage.

L’heure du casse-croûte pour Banane, 44 ans. Il vit sur une des trois îles où sont réunis des singes, dans le parc national de Conkouati-Douli, dans le sud-ouest du Congo.
L’heure du casse-croûte pour Banane, 44 ans. Il vit sur une des trois îles où sont réunis des singes, dans le parc national de Conkouati-Douli, dans le sud-ouest du Congo. Paris Match / © Enrico Dagnino


À l’origine du projet Help Congo, une femme, Aliette Jamart, aujourd’hui octogénaire. « On parle beaucoup de Jane Goodall, qui a accompli un travail formidable, mais Aliette est aussi une pionnière », explique Nina. Au début des années 1990, elle commence à accueillir dans son jardin de Pointe-Noire des chimpanzés victimes du braconnage. Quel avenir les attend ? Animaux de compagnie ou pensionnaires maltraités d’un zoo… L’objectif est de les apaiser, avant de leur réapprendre, petit à petit, la vie sauvage, pour les réintroduire dans leur milieu naturel, en pleine forêt.

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Congo, Conkuati, camp HELP
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Sur la trace des lamantins, Nina Giotto, directrice de Help Congo, avec Gabriel Michelin (à g.) et Eric Bairrão Ruivo (barbu, à dr.), tous deux de Beauval Nature. Au centre, Lucas Dubus, étudiant, et, à la barre, Gracias Kibelolo. Sur la lagune, le 19 mars. Paris Match / © Enrico Dagnino

D’où l’intérêt des trois îles boisées de la lagune de Conkouati, devenues une sorte de sas avant la forêt primaire et la liberté. Plus de cent individus seront ainsi sauvés en trente ans. Des vétérinaires s’assurent de leur sécurité physique, leur apprennent à chercher leur nourriture, et même à choisir leur habitat. Grâce à une méthodologie scientifique précise, la moitié d’entre eux finiront par accéder à la dernière étape. Mais la partie n’est pas gagnée pour autant.

« On sait que seulement 25 chimpanzés ont réussi à s’intégrer, surtout des femelles, poursuit Nina. D’autres ne se sont jamais adaptés. Alors ils sont rapatriés sur les îles. Un chimpanzé qui a grandi au milieu des hommes peut ne pas arriver à s’intégrer à un groupe de bêtes sauvages. Je repense à un mâle, Dereck, que l’on avait tenté de réintroduire dans la forêt primaire il y a quinze ans. On m’a raconté qu’il faisait carrément du stop au bord du rivage. Quand un bateau passait, il sautait dedans et s’asseyait tranquillement en attendant qu’on le ramène chez les humains… »

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Jorda Nkounkou, le nourrisseur, dépose les gamelles sur les berges des trois îles. Au menu : dix fruits et légumes différents par semaine, le régime idéal! Paris Match / © Enrico Dagnino


La journée du lendemain commence très tôt. Le jeune Lucas Dubus, venu préparer sa thèse sur les lamantins, espèce en voie de disparition, perfectionne le radeau qu’il a construit avec, d’un côté, GoPro, lecteur de carte USB, GPS horodaté et, de l’autre, bouteilles pour les flotteurs. Gabriel Michelin, lui, est le chargé de mission conservation de Beauval Nature. Ils réécoutent les sons de lamantins glanés durant soixante-douze heures au cœur de la lagune.

Gabriel ne lève pas les yeux de son écran. De l’ADN environnemental récupéré dans l’eau permettra d’identifier les espèces présentes. Il cartographie les habitats, parle de lacs, de mangroves, de cartes spatiales, de sonar, et même des chants des lamantins, repérés grâce à des enregistreurs aquatiques. À leurs côtés, Loan Pichon, chargée de l’inventaire herpétologique (des amphibiens et des reptiles), potasse les photos prises la veille. Cette passionnée consacre de longues heures à capturer des images de nouvelles espèces.


Sous la paillote principale, le chef cuisinier Brice Nkondo prépare omelettes aux lardons et crêpes pour l’équipe de chercheurs. En face, c’est pour les vingt chimpanzés habitant les trois îles que Jorda Nkounkou ­s’active. Il leur faut 7 kilos de nourriture. Pour eux, ce sera aubergines, bananes, concombres, maïs, avocats, patates douces ou pamplemousses. Avant de peser les légumes et de les mettre dans la bassine, Jorda en enlève soigneusement chaque morceau abimé. Des compléments alimentaires, comme le collagène marin, sont parfois ajoutés.

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La mangrove pour terrain de jeu. Les singes introduits sur les îles du parc de Conkouati-Douli ont fait des petits. Paris Match / © Enrico Dagnino

Jorda est un taiseux qui, depuis cinq ans, deux fois par jour, prend son bateau pour aller nourrir les chimpanzés. Un vrai room service. Il connait chaque animal par son prénom. A-t-il son préféré ? « Comment un père peut-il choisir entre ses enfants ? Je les aime », lâche-t-il, laconique. Tout est dit. On apprendra que beaucoup d’entre eux n’apprécient pas les légumes et qu’ils leur préfèrent les bananes. À chacun son caractère. Ainsi, Pépère est sélectif avec la nourriture, il fait sa star. Il est aussi vigilant, « un vrai concierge ».

Du bateau, Baptiste Mulot, directeur de Beauval Nature mais aussi vétérinaire, observe attentivement cette population. « Ils ont l’air en bonne santé, tout va bien, même si certains pourraient peut-être perdre un peu de poids ! Mais ce sont les individus dominants, c’est normal qu’ils soient un peu plus épais. »


Parmi ces chimpanzés, les plus âgés n’ont connu que la captivité. Ils sont trop habitués à l’homme pour être déplacés. En revanche, ceux qui sont nés sur place, plus sauvages, ont leurs chances. Au milieu de la soirée, sous la paillote, une nouvelle discussion s’improvise entre Baptiste Mulot, Nina Giotto et Eric Bairrão Ruivo, directeur de la conservation au sein de l’association Beauval Nature. Quatre individus sont présentés comme des candidats potentiels à la réintroduction en milieu sauvage, c’est-à-dire dans le Triangle, cette zone plus ou moins tenue secrète et protégée par trois rivières, accessible à une heure de bateau du camp de base : Tchoula, Koukassouka, Okapi et Eva, toutes des femelles, âgées de 10 à 20 ans.

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Nina Giotto, directrice de Help Congo, et Jean-Parfait Batchi, membre de l’association, travaillent sur l’opération 3 P: plages propres et protégées. À Mvandji, le 19 mars. Paris Match / © Enrico Dagnino


On pourrait croire qu’aucun humain n’habite le Triangle s’il n’y avait ces bras s’agitant au bout de la rivière Louvanzi. Ce sont ceux de Paul Aczel, qu’on découvre après avoir contourné le lac noir Tchimpa. Cet amoureux de la forêt et de ses animaux est un Hongrois qui va fêter ses 60 ans cette année. Coordinateur de terrain, il a été soigneur dans les zoos au Gabon et aux États-Unis, puis il a rencontré Jane Goodall et Help Congo. Il s’endort à 20 heures, se réveille à 5 heures. Le jour, grâce aux caméras qu’il a posées au pied des arbres ou dans la canopée, il regarde passer éléphants, chimpanzés, gorilles, potamochères, écureuils…

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Chaque semaine, plus de 800 kilos d’ordures sont ramassés sur la plage de Conkouati par les communautés locales, moyennant rétribution. Paris Match / © Enrico Dagnino

« Mon but, c’est que les animaux vivent sans nous. Ce n’est pas toujours simple : il y a deux chimpanzés, Gongo et Kissivou, 16 et 17 ans, qui sont en pleine forme et me volent la bouffe. Des sales gosses. Si je ne les gronde pas, ils pensent que c’est autorisé. Certains volontaires croient qu’ici on prend les chimpanzés par la main, qu’on leur fait des câlins et qu’on les biberonne. C’est romantique, mais ce n’est pas ce que nous cherchons, c’est même tout l’inverse. Nous travaillons pour que ces animaux soient débarrassés de la “pollution humaine”, qu’ils vivent dans leur milieu, en pleine autonomie. »

Nina acquiesce. Depuis plus de trois ans, elle passe du temps à sensibiliser les écotouristes en même temps qu’à travailler avec les populations locales. Sur le Triangle, la vie est spartiate. Pas de connexion WiFi. Et c’est tant mieux, si on l’en croit Paul Aczel : « Ce monde, ces folies de guerres que je vois quand je me connecte le week-end… ça n’est pas pour moi. J’aime ne pas avoir de réseau pendant la semaine. Je me concentre sur la protection de mes animaux, de ma forêt. »

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Jean-Baptiste Banzenza, de Help Congo, sensibilise des élèves à la protection des lamantins, à l’école primaire de Tandou-Ngoma. Paris Match / © Enrico Dagnino

Certes, il ne dirait pas non à un petit ventilateur, et d’ailleurs c’est prévu, mais en attendant il ne se plaint pas. Paul a la canopée, quelques livres et la musique de Led Zeppelin ou de Jimi Hendrix. Il a surtout ses centaines d’heures d’enregistrement, grâce auxquelles l’équipe peut faire ses inventaires et évaluer le nombre d’individus qui pourraient encore être réintroduits. Dans cette région suspendue aux caprices et aux désirs de mère Nature, les hommes savent qu’ils ne sont que des invités, tolérés, au service de lointains cousins à qui ils sont venus enseigner… à se passer d’eux.

Une conférence au ZooParc de Beauval

Le 19 avril prochain à 19h, Nina Giotto, directrice du programme de conservation Help Congo tiendra une conférence sur les activités du camp au Congo ( tous publics), au Dôme Équatorial du ZooParc de Beauval. 

Plus d'informations sur le site du ZooParc de Beauval...
 

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