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Enquête sur la mystérieuse disparition du curé de Ploërmel

La rivière Ellé, au lieu-dit Les Roches du Diable, à Guilligomarc’h (Finistère). Des rapides prisés des kayakistes. Le 22 février. En médaillon : Le « père Christophe », comme l’appellent ses paroissiens, lors de la procession des rameaux, en avril 2023 à Ploërmel (Morbihan).
La rivière Ellé, au lieu-dit Les Roches du Diable, à Guilligomarc’h (Finistère). Des rapides prisés des kayakistes. Le 22 février. En médaillon : Le « père Christophe », comme l’appellent ses paroissiens, lors de la procession des rameaux, en avril 2023 à Ploërmel (Morbihan). © Benjamin Girette, DR
Sophie Noachovitch , Mis à jour le

Le père Christophe Guegan, curé de Ploërmel, n’a pas donné signe de vie depuis le 17 janvier dernier. Enquête sur une disparition inquiétante.

Un grondement comme le souffle d’un monstre. Il s’élève d’un goulet creusé au fil des siècles. Quelques marches de terre et de planches en dessinent l’accès. De la mousse vert tendre colle aux troncs des arbres. On s’approche. Le grondement se fait mugissement. Effrayant, entêtant.

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Se dressent devant nous les Roches du diable, qui dominent de près de 5 mètres l’Ellé, une rivière tumultueuse dont les tourbillons charrient une écume ocre de vase. Un endroit lugubre, chargé de sa légende : Saint Guénolé y a affronté le diable. Mais le saint est parvenu à détourner les roches dont il le mitraille et qui forment aujourd’hui ce chaos.

C’est ici, à Guilligomarc’h, à la frontière du Morbihan et du Finistère, que, le 18 janvier, un chien saint-hubert de la gendarmerie de Rennes a repéré la dernière trace de vie du père Christophe Guégan. Depuis plus rien.

Un endroit à suicides

À 56 ans, l’homme d’Église s’est volatilisé. « C’est un endroit à suicides », lâche d’une voix blanche Jean-Yves Prigent. Entraîneur de l’équipe de France de kayak pendant 20 ans, lui-même médaillé d’or aux championnats du monde de slalom en 1977, il connaît parfaitement les Roches du diable, lieu d’entraînement et de compétition pour les kayakistes.

Le domaine de Pontcallec, à Berné (Morbihan), siège de la congrégation des Dominicaines du Saint-Esprit, où le curé a été vu pour la dernière fois, le 17 janvier au soir.
Le domaine de Pontcallec, à Berné (Morbihan), siège de la congrégation des Dominicaines du Saint-Esprit, où le curé a été vu pour la dernière fois, le 17 janvier au soir. Paris Match / © Benjamin Girette

Le jeudi 22 février, installé le plus haut possible, il supervise justement de jeunes sportifs. Alors qu’ils manœuvrent avec une aisance apparente, il se souvient : « Un jour, j’ai croisé une femme dans les 70 ans, bien mise, qui sortait de chez le coiffeur. Le lendemain, les gendarmes m’ont demandé si je l’avais vue… Elle s’était jetée dans la rivière. Et il y a eu ce restaurateur l’an dernier, suicidé lui aussi. »

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Alors, fataliste, il pense, comme les enquêteurs de la brigade de gendarmerie de Faouët, que le curé de Ploërmel a choisi cet endroit pour mettre fin à ses jours et que l’Ellé rendra son corps quand le niveau baissera.

Patrice Garat est un ancien animateur pastoral. Pour lui, comme toutes les personnes interrogées, le suicide est « inimaginable ! » « Il aurait fallu que quelque chose d’insurmontable lui arrive. Et encore… Il se serait plutôt enfermé toute une nuit dans une église pour prier et faire le point. Et puis, il n’avait pas besoin de faire 20 kilomètres. Autour de Pontcalec où il a dormi, il y a tout ce qu’il faut pour une issue irréversible. »

Ému par un prêtre

Fils d’un directeur d’entreprise en métallerie, petit-fils de paysans, Christophe Guégan est un homme solide, les deux pieds bien ancrés dans le sol. Il reçoit une éducation catholique mais, tout jeune, c’est la cuisine qui l’attire. Au collège, il n’a pas de bonnes notes. À 15 ans, il entre en BEP cuisine et devient premier de sa classe. Ensuite, il y aura le BTS et un service militaire à bord de bateaux, en cuisine évidemment.

À son retour, il part à Saint-Quentin-en-Yvelines travailler dans un restaurant. « C’est là qu’il a su. Il avait été ému par un prêtre », raconte Sonia (1), une paroissienne. À 26 ans, ­Christophe Guégan entre au séminaire. En 2006, en collaboration avec l’évêque de Vannes, Mgr Centène, il créé le foyer Jean-Paul II à Sainte-Anne-d’Auray.

Un homme dynamique et serein

Cet internat accueille des garçons, de la 3e à la terminale, qui s’interrogent sur leur vocation religieuse. Le père Guégan en sera le directeur pendant 10 ans, ainsi que de la propédeutique voisine. « Mes deux fils sont allés au foyer. L’aîné n’était pas facile. Le père Christophe nous a montré comment l’aider à grandir, en étant toujours dans l’amour, dans la liberté et le respect, développe Sonia. Mon fils revenait toujours apaisé du foyer. »

Même description pour Françoise dont les fils se sont succédé au foyer. « C’est un homme dynamique, heureux, serein, insiste-t-elle. Il forge une jeunesse équilibrée, avec une réflexion spirituelle forte. » Droit, strict, mais pas trop, le père Guégan dirige avec bienveillance l’internat.

L’église Saint-Armel de Ploërmel, construite au début du XVe siècle. Le père Guégan avait en outre la charge d’une vingtaine de clochers du Morbihan.
L’église Saint-Armel de Ploërmel, construite au début du XVe siècle. Le père Guégan avait en outre la charge d’une vingtaine de clochers du Morbihan. Paris Match / © Benjamin Girette

Sportif complet, il joue avec les garçons : rugby, foot, vélo, course à pied. Les jeunes l’adorent et lui font parfois des blagues. « Un soir, nous étions en visite pastorale, quand les jeunes du foyer l’ont appelé, se souvient Patrice Garat. Ils étaient allés courir dans le parc et avaient trouvé un chevreuil blessé. « On l’a mis au congélateur », ont-ils annoncé. Le pater a ri, et m’a dit « un jour, ils vont me faire jeter en prison ! » »

À la tête de la paroisse de Ploërmel

Les années passent, plusieurs de ses ouailles entrées au séminaire ont été ordonnées prêtres. Certaines se sont installées dans le diocèse de Vannes. C’est le cas de Gildas Colas des Francs. « Il m’a aidé dans cette décision importante. Aujourd’hui, je travaille avec lui à la paroisse de Ploërmel, c’est un supérieur idéal dans cette position. »

Depuis 2016, le père Guégan a pris la tête de cette paroisse. Il conserve aussi la fonction de responsable des séminaristes au sein du diocèse. Messes, baptêmes, mariages, obsèques, gestion administrative, la liste est longue. « Mais il ne s’en plaint jamais. Ça fait mon admiration », insiste le père Gildas qui décrit une vie dévouée aux autres, à la spiritualité.

Curé de la paroisse de Ploërmel depuis huit ans, il était aussi responsable des séminaristes au sein du diocèse.
Curé de la paroisse de Ploërmel depuis huit ans, il était aussi responsable des séminaristes au sein du diocèse. © DR

Il y a deux ans, grâce au père Christophe, est sorti de terre le nouveau presbytère de Ploërmel, hébergement pour les curés, mais aussi pour les jeunes travailleurs. « Quinze personnes vivent ici avec nous, souligne le père Gildas. Notre volonté est de lancer une vie communautaire, avec un noyau chrétien fort. »

Une vie simple

La chambre de Guégan ? Un lit simple, un petit bureau. Aucun confort. Seules quelques photos aux murs de jeunes qu’il a guidés depuis ses débuts au foyer Jean Paul II. Il leur reste entièrement dévoué. « C’est un saint », dit à son tour le père Gildas. « Un don Bosco moderne », martèle Sonia, qui lui a confié ses fils.

Le père Christophe avait des projets, répète-t-on. D’abord, il aurait dû animer une retraite spirituelle le week-end du 24 février, puis les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle l’été prochain. « Pour les 1 500 ans de Ploërmel en 2025, explique le père ­Gildas, il voulait qu’on participe au jubilé, à la mission d’évangélisation et à la pièce de théâtre. » Un homme qui se projette dans l’avenir et dont le comportement n’a pas changé d’un iota les jours précédant sa disparition…

Des projets d'avenir

Ainsi quinze jours plus tôt, après la messe dominicale, il a déjeuné dans une crêperie de Ploërmel avec Sonia, ses deux fils et son mari. « Les propriétaires lui ont demandé de bénir la crêperie. Il nous a dit : « Je suis heureux car j’ai su m’entourer de personnes profondes dans ma paroisse. » Ensuite, il nous a proposé d’aller marcher autour du lac. »

S’il se déplace dans Ploërmel en trottinette, Christophe Guégan a un besoin impérieux de marcher. « C’est un moment de prière pour lui, de connexion avec la nature et avec Dieu », assure le père Gildas. Il marche beaucoup à Ploërmel mais aussi à Pontcalec, le domaine des sœurs dominicaines du Saint-Esprit à Berné dont il est le guide spirituel pour elles. L’une des pensionnaires nous le décrit comme « très joyeux, très gentil ».

Vu une dernière fois à Pontcalec

Le sourire de la mère dominicaine est triste : c’est ici, à Pontcalec, que le curé a été vu pour la dernière fois. Chaque mercredi soir, il vient dormir dans l’un des bâtiments de la communauté du Saint-Esprit afin d’être sur place pour la messe de 7 h 30. « Il est arrivé le mercredi 17 janvier au soir, on ne l’a pas vu directement, mais sa voiture était garée devant son logement. Le lendemain, il n’est pas venu célébrer la messe. »

Son véhicule n’est plus devant la dépendance. Il ne répond pas au téléphone. Le diocèse alerte à son tour la gendarmerie. Un hélicoptère survole la zone. Le dernier bornage du téléphone du prêtre vers 5 heures du matin oriente les militaires vers Locunolé à 20 kilomètres de là. A 15 h 30, les militaires découvrent le véhicule du curé sur le parking qui jouxte les Roches du diable. À l’intérieur, son téléphone. Malgré les battues, l’intervention des kayakistes, aucune trace.

Une question revient sans cesse. Pourquoi Christophe Guégan se serait-il suicidé ? Aucune anomalie dans sa dernière journée. Alors qu’il se rendait à la messe au foyer Jean-Paul II à Sainte-Anne-d’Auray, « je l’ai eu au téléphone, assure Patrice Garat. Je lui ai demandé comment il allait, il a répondu : « La paroisse va bien, j’ai beaucoup de paroissiens, il n’y a aucun souci. » On a beaucoup rigolé. »

Puis Guégan a pris la route de Pontcalec. En début de soirée, il donne un rendez-vous à un paroissien pour une rencontre spirituelle trois jours plus tard. On est en début de soirée. « Le père Christophe est réglé comme une pendule, il se couche tous les soirs à 22 heures-22 h 30 et se lève tôt pour la messe », insiste Patrice Garat.

Un mystère et des hypothèses

Je l’interroge : son ami aurait-il pu tomber amoureux, vouloir changer de vie ? « Impossible ! Il vit son sacerdoce pleinement. Et ne vit que pour lui. » Pour Patrice Garat, comme pour Sonia, Françoise et tous les paroissiens, il ne peut y avoir qu’une explication : quelqu’un l’a attiré aux Roches du diable.

« Il serait bien sûr sorti au milieu de la nuit pour apporter les derniers sacrements ou son aide », remarque Patrice Garat. Sonia, elle, l’imagine séquestré quelque part. Aucun ne croit au suicide. « Tant qu’on n’a pas retrouvé son corps, il y a de l’espoir. »

 

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