Le crush, qu’est-ce que c’est ?

C'est le mot d'une génération qui interroge les parents. Grâce à l'enquête de la sociologue Christine Détrez*, le mystère se dissipe… ou pas !
Valérie Josselin
Le crush, qu’est-ce que c’est ? iStock

Utilisé par les collégiens et les lycéens depuis une dizaine d'années, le « crush » a été récupéré par l'édition, la musique, les séries, la pub… En mai 2023, il a même fait son entrée dans Le Robert, désignant à la fois un coup de cœur pour quelqu'un (« être en crush sur », « avoir un crush pour ») et la personne qui en est l'objet.

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« J'en ai entendu parler pour la première fois dans mes cours sur la socialisation des enfants à l'amour et à l'amitié, confie Christine Détrez, professeure de sociologie à l'Ecole normale supérieure de Lyon. Avec l'intuition qu'il y avait matière à creuser, compte tenu de la diffculté des jeunes à expliquer le mot de façon claire et certaine. Avec mes étudiants, nous avons réalisé une cinquantaine d'entretiens pour mieux comprendre pourquoi, au lycée et plus tard, les jeunes gens continuaient à s'emparer du mot, alors qu'ils avaient la possibilité de “concrétiser”. Loin d'être un concept tendance, le crush ne ressemble en rien à ce que nous connaissions jusque-là ! »

Il y a ceux qui sont au courant... Et les autres

Premier constat de la chercheuse : le crush sert d'abord à faire communauté. « Il désigne à la fois un flash amical ou amoureux, une rêverie légère ou une obsession, voire une relation sexuelle, qu'il ne faut pas confondre avec un banal sex friend, explique-t-elle… Le crush peut effectivement être cet autre avec qui l'on va parler pendant des heures ou sortir au cinéma, mais aussi sur lequel on fantasme. Confidentiel et fugace, il resserre les liens entre celles et ceux qui sont au courant. Ce travail de grammaire émotionnelle subit les injonctions du groupe et parle, en somme, de la diffculté à dire aux autres que l'on se sent bien avec telle personne. »

Une pratique genrée

Le mot revêtirait une connotation très différente selon le sexe. « Quand le crush occupe le temps et la tête des filles, il devient, pour les garçons, ce mot pratique derrière lequel masquer ses sentiments, rapporte Christine Détrez. “C'est juste un crush”, disent-ils. Comme si l'amour, c'était seulement pour les filles. On retrouve un imaginaire sentimental très soumis aux stéréotypes de genre. » Tout comme le flirt dans les années 60, qui était encouragé par le cinéma et la musique. « Oui, à ceci près que le crush est une émotion encouragée par les réseaux sociaux, qui échappe aux adultes, analyse la sociologue. TikTok, Wattpad et Snapchat incitent à la romance, mais leurs algorithmes enferment les jeunes filles, poussées à enquêter à la recherche d'indices, dans une toile d'araignée qui peut accroître leur charge mentale. »

Le reflet d'une réalité sentimentale complexe

Avec l'essor des sites de rencontres et la déconstruction des normes, le rapport des jeunes à l'amour et à la sexualité a évolué. « Le scénario traditionnel a cédé le pas à un nouveau script des relations sentimentales, observe Christine Détrez. La chronologie n'est plus la même. On sort d'abord avec la personne, avant de se mettre d'accord sur la nature de la relation, qui s'ouvre désormais à tous les possibles. Le crush répond à la réalité sentimentale complexe d'une époque qui a peur de l'amour et valorise l'amitié, d'un entre-deux pouvant exclure l'engagement, la fidélité et le couple hétérosexuel classique, sans avoir envie d'escamoter les idéaux romantiques. » Il est donc vain de vouloir définir le crush, ou alors pour dire tout ce qu'il n'est pas ! Voilà qui aurait assurément inspiré Roland Barthes…

* Crush. Nouveaux fragments du discours amoureux, Flammarion.

le 06/04/2024