Léon-Bureau, Martyrs espagnols, Saïgon… de quel pont de Nantes parle-t-on ?... |
Le 22 avril 2024, le pont Anne-de-Bretagne fermera à la circulation pour un an, pour cause de travaux. En octobre 1975, avant son inauguration, il avait été rebaptisé de façon éphémère « Pont des martyrs espagnols » puis quelques jours après « Pont de Saïgon ».
Le symbolisme du pont renvoie à une notion de rapprochement entre deux rives, entre deux peuples, entre deux cultures. C’est une voie qui abolit la frontière… Pourtant, il est à Nantes un pont qui raconte une tout autre histoire. Celle d’une ville aux oppositions exacerbées. Ce pont est le pont Anne-de-Bretagne que Nantes métropole s’apprête à fermer durant un an à la circulation pour le renforcer, l’élargir et le végétaliser.
Inauguré le 7 octobre 1975
Inauguré le 7 octobre 1975, cet édifice avant de voir le jour s’est tout d’abord appelé pont Léon-Bureau, du nom du boulevard qu’il relie au quai de la Fosse. Puis, la municipalité du radical-socialiste André Morice souhaitant rendre hommage à la dernière duchesse de Bretagne, le baptisa pont Anne-de-Bretagne avant d’en couper très officiellement le ruban.
Le 2 octobre 1975, des syndicalistes des chantiers navals rebaptisent le pont Anne-de-Bretagne pont des Martyrs espagnols. Photo archives Presse Océan
« Solidarité ouvrière avec les militants espagnols en lutte pour leurs libertés »
Mais quatre jours auparavant, des ouvriers syndiqués des chantiers navals, à l’occasion de la journée européenne antifranquiste, avaient décidé de le renommer Pont des martyrs espagnols assassinés par Franco le 27-9-1975. Ce jour-là , le dictateur espagnol, qui devait mourir deux mois plus tard, le 20 novembre 1975, avait fait exécuter trois militants du Front révolutionnaire antifasciste et patriote (Frap) et deux militants autonomistes basques. Cette exécution avait soulevé une vague d’indignation sans précédent en Europe. L’initiative intersyndicale CGT-CFDT consistant à rebaptiser le pont répondait à l’appel lancé par la Fédération syndicale mondiale et la Confédération européenne des syndicats préconisant une journée de boycott de 24 heures de l’Espagne en signe de protestation contre les exécutions et contre la dictature. Ces deux plaques apposées à chaque extrémité du pont se voulaient l’expression de la solidarité ouvrière avec les militants espagnols en lutte pour leurs libertésÂ
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Mais l’opération n’eut pas l’heur de plaire à tout le monde. Et le samedi 11 octobre, une cinquantaine de Nantais se rassemblèrent à leur tour sur le pont pour lui donner cette fois le nom de Pont de Saïgon,  en mémoire des milliers de victimes du communisme au VietnamÂ
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La suggestion d’un lecteur de Presse Océan
Dans son édition du 8 octobre 1975, Presse Océan publiait un courrier de lecteur de Basse-Indre, se voulant consensuel mais plus vraisemblablement pour le moins sarcastique.  Un pont, par définition, relie deux rives, en l’occurrence une rive nord et une rive sud ; le pont canalise également deux courants de circulation. De ce fait, je suggère d’appeler le pont, côté rive nord (à défaut d’une entrée rive est) le « Pont des 14 martyrs soviétiques fusillés pour crime économique […]. Dans ces conditions, les utilisateurs du pont le franchissant le matin direction sud-nord auraient une pensée pour les victimes du fascisme espagnol ; en le franchissant le soir en direction nord-sud. Ils auraient une pensée pour les victimes du dirigisme soviétiqueÂ
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