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Le destin extraordinaire d’Andrée Imbert, la French cuisinière des Kennedy

Andrée entre au service de Ted Kennedy, le frère cadet de JFK, à partir de janvier 1961.
Andrée entre au service de Ted Kennedy, le frère cadet de JFK, à partir de janvier 1961. © DR
Florence Saugues , Mis à jour le

Dans son livre, Valérie Paturaud retrace le destin extraordinaire d’Andrée Imbert. Une employée modèle, adoptée par le clan.

La scène se déroule à Dieulefit, un village de la Drôme. Valérie Paturaud arrive en retard à un dîner entre amis. Cette ancienne ­institutrice, devenue écrivaine, se glisse sans bruit à la table où une convive captive l’assemblée. Elle raconte l’histoire d’une Française, enterrée à Valréas, non loin de là, Andrée Imbert, cuisinière des Kennedy ! Sa curiosité piquée, Valérie Paturaud part sur ses traces et retrouve son petit-fils. « Il m’a confié ses souvenirs et un carton de photos et de lettres », explique-t-elle. Inutile de forcer le trait tant le destin de sa future héroïne est romanesque. Il suffit de broder autour de ces fragments de vie qui vont nourrir le récit. Le voici.

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Marseille, 7 mars 1907. Parce qu’il gèle à pierre fendre, la fillette, trouvée par le bedeau sur les marches d’une église, est baptisée Lefroy Andrée. Placée dans une famille aimante de la Drôme, puis chez des paysans, la petite apprend la cuisine. Elle est douée. Embauchée par des notables à 15 ans, mariée à Léopold Imbert à 20, mère d’une petite Madeleine à 24. Léopold tient le Café de la Poste à Venterol. Elle en fait son restaurant. Sa vie est toute tracée, mais en 1938, inspirée par l’indépendance des « mères lyonnaises », Andrée fuit un mari alcoolique et violent et part, sa fille sous le bras, travailler dans le bouchon de Mme Léa. En 1943, le rationnement sonne le glas des bistrots. Andrée postule auprès de la bourgeoisie locale. « À compter de ce jour, je n’ai que travaillé pour ces gens-là, écrit-elle dans l’une des lettres retrouvées. Ces familles nous utilisent, nous recommandent, nous prêtent, nous échangent contre un service. […] J’ai navigué d’une famille à l’autre. »

Sur la Côte d’Azur, elle cuisine pour Albert Camus, Picasso, Jean Marais, Brigitte Bardot...

La Côte d’Azur, 1944. Des Lumière, on connaît Louis et Auguste, pionniers du cinéma. Cette dynastie lyonnaise a besoin d’une perle aux fourneaux pour sa résidence d’été. Andrée est embauchée, sans sa fille. « Madeleine était très attachée à sa région et à son père, précise Valérie Paturaud, elle n’a jamais ressenti le besoin de rejoindre sa mère. » Alors, celle-ci lui écrira. Une année, c’est Albert Camus, qui, venu soigner sa tuberculose au soleil, loue ses services, puis les Gallimard, enfin les Rogers, un couple ­d’Américains influents. Helen est peintre. Fred, un célèbre journaliste. Ils partagent leur temps entre New York et leur villa, Ad Astra, dans laquelle tout ce qui brille dans le milieu artistique a ses habitudes. Picasso et Jean Marais viennent en voisins. Brigitte Bardot et Kirk Douglas débarquent en marge de la Croisette. Après deux ans de fêtes et de paillettes, les Rogers rentrent en Amérique. Ils proposent à Andrée de les suivre. Elle a désormais 47 ans. Moderne et libre, sans en avoir conscience, elle est séparée de corps de son mari, dont elle ne divorcera jamais, et sa fille, devenue majeure, est postière au village. Elle ne parle pas un mot d’anglais, mais puisque l’Amérique lui tend les bras…

New York, 1954. À Noël, Helen annonce à Andrée qu’ils sont invités à Palm Beach, en Floride, par leurs amis Kennedy. La famille est si nombreuse qu’une cuisinière supplémentaire ne serait pas de trop. « Ma première impression dans cette maison est restée la même pendant les vingt ans passés à leur service, confie Andrée. Une famille chaleureuse, très soudée. Des frères et sœurs qui se retrouvent, chahutent, parlent fort […]. Je me souviens de ce premier Noël, de mon étonnement, une fois revenue à la cuisine, de ne plus entendre aucun bruit derrière la porte. J’ai compris l’importance pour Madame (Rose Kennedy) du moment de prière et de recueillement avant chaque repas. »

Dans la cuisine de la villa de Boston où Andrée vit avec Ted, sa femme, Joan, et leurs enfants.
Dans la cuisine de la villa de Boston où Andrée vit avec Ted, sa femme, Joan, et leurs enfants. © DR

« J’aimais bien Mme Jackie, mais elle me faisait de la peine. »

Hyannis Port, 1956. Les Rogers repartent en Europe et n’auront pas besoin d’une cuisinière. Mais l’idée d’avoir une cheffe française plaît à Rose Kennedy. Andrée s’installe donc à Hyannis Port, dans le Massachusetts, la résidence principale de Joe et Rose. Madame exige qu’Andrée porte une toque et un tablier blancs. Au moment des vacances, tout le clan débarque. La demeure devient un joyeux capharnaüm. Des valises, des sacs de sport traînent un peu partout, des raquettes de tennis, des shorts, des serviettes… Andrée observe la vie depuis les dépendances. Un éclat de rire par-ci, un éclat de voix par-là. Elle panse les bobos, console les petits, se réjouit des bonnes nouvelles, partage aussi les mauvaises. « J’aimais bien Mme Jackie, écrit Andrée. Elle parlait français et appréciait la culture et les écrivains de notre pays. Je ne connaissais aucun des noms qu’elle citait, mais avec M. Camus, j’ai un peu fait ma fière ! Elle était si jolie, mais elle me faisait de la peine. Souvent seule dans sa belle-famille, son mari toujours absent […], Mme Jackie fumait beaucoup, ne respectait pas les horaires, traînait des matinées entières dans son lit. »

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Campagne présidentielle, 1960. Tous les Kennedy se mettent en ordre de bataille. C’est le début de nombreux voyages en famille à travers le pays avec la nurse de Caroline, l’aînée de Jack et Jackie, une femme de chambre et la cuisinière. La tribu loge dans des maisons prêtées par les soutiens du candidat démocrate. Jackie apparaît à nouveau enceinte, étouffant les rumeurs de liaisons de son mari. Au mois d’avril, de Gaulle effectue un voyage officiel aux États-Unis. Pour son discours devant le Congrès, presque tous les Kennedy sont de la fête. Rose, sachant qu’Andrée admire le Général, lui propose de se joindre à eux. Durant le dîner de gala, l’employée patiente à l’office. « Je me faisais discrète pour ne pas déranger le travail du chef et de ses commis. […] Je n’ai pas résisté à l’envie de jeter un coup d’œil discret dans la salle et je l’ai vu […]. Je désespérais d’approcher Mme Yvonne. Un serveur m’a indiqué qu’elle était assise à la droite du président Eisenhower, en face de son mari. Sur la pointe des pieds, j’ai distingué le haut de sa robe grise. »

Le 8 novembre 1960, John Fiztgerald Kennedy est élu président des États-Unis. Le clan est réuni à Hyannis Port. « Et moi, mon chéri, écrit-elle à son petit-fils, j’ai eu l’honneur de l’embrasser ce jour-là, comme tout le personnel de la maison. M. Joe avait ­prévenu : en cas de victoire, plus de M. Jack mais « Mister ­President ». Désormais, Mme Rose se comporte en « reine mère » ! Le 25 novembre, Jackie accouche d’un garçon, John Fitzgerald Kennedy Jr., vite surnommé John John. En janvier 1961, Andrée s’installe chez Ted, le plus jeune frère Kennedy. Marié à Joan, il a deux enfants, Teddy et Kara. Accrochés à son tablier, réclamant ses bras et des câlins, les petits se conduisent avec elle comme avec une nounou.

Après l’assassinat de JFK, tout est si triste dans le fief du clan

22 novembre 1963. Le temps du deuil. Après l’assassinat du président, le clan se retrouve dans son fief. « Ma chère Mady, écrit Andrée à sa fille, tout est si triste. […] Mme Jackie n’entend pas quand on lui parle, je lui sers du thé avec du lait chaud, elle me regarde avec des yeux vides. On est tous enfermés à Hyannis Port. La police nous garde même pour les courses […]. M. Joe ne descend pas, la gouvernante dit qu’il dort, enroulé dans le drapeau américain du cercueil comme dans une couverture. »

Washington, le 16 mars 1968. Bobby annonce sa candidature à la présidentielle de novembre. Le 4 avril, l’espoir est anéanti. « Depuis ma cuisine, je suivais les déplacements de M. Bobby à la télévision, témoigne Andrée. Cela amusait Kara de voir son oncle sur l’écran. Ce soir-là, il était à Indianapolis, dans un quartier américain défavorisé. Il savait pour M. King mais la foule l’ignorait. Il a annoncé : “J’ai une terrible nouvelle, le pasteur Martin Luther King a été assassiné ce soir à Memphis dans le Tennessee. ” Je me suis approchée du poste pour mieux le voir. Des cris, des lamentations, mais aucune violence envers lui qui avait perdu un frère et qui était effondré comme s’il venait d’en perdre un autre. Soixante jours plus tard, c’est ce pauvre Bobby qui était abattu à Los Angeles. »

Valréas, juillet 1974. Andrée a 65 ans. Elle a retrouvé sa fille et ses petits-enfants, à qui elle raconte sans relâche son rêve américain. Rose lui écrira jusqu’à la fin de ses jours et que Ted lui versera une pension jusqu’à sa mort, en septembre 1999. Quelques semaines plus tôt, Alain, son petit-fils, a fêté ses 30 ans aux États-Unis, l’occasion d’un pèlerinage par procuration à Hyannis Port. Le 17 juillet 1999, il se rend dans l’ancienne propriété de Rose, qui est désormais celle de Ted. Devant la grille, des photographes, des caméras, des micros… L’avion que pilotait John John vient de s’abîmer en mer, non loin de là. Il n’y a aucun survivant.

«La cuisinière des Kennedy», de Valérie Paturaud, éd. Les Escales, 352 pages, 21euros.
«La cuisinière des Kennedy», de Valérie Paturaud, éd. Les Escales, 352 pages, 21euros. © DR

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