Cette fois, le projet de loi de fusion controversée des deux acteurs de la sûreté nucléaire − l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), chargée du contrôle et de la décision, et le bras technique, responsable de la recherche et de l’expertise, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) − a été définitivement adopté, dans la nuit du mardi 9 avril au mercredi 10 avril, par un ultime vote favorable du Sénat, après avoir franchi l’obstacle de l’Assemblée nationale, au terme d’un parcours chahuté au Parlement.
La fusion du gendarme du nucléaire et de l’expert technique du secteur a été entérinée sans surprise par les sénateurs, à 233 voix contre 109, achevant l’examen de ce projet de loi gouvernemental.
Le suspense avait été levé un peu plus tôt dans la journée par l’adoption large des députés (340 voix contre 173) avec le soutien du camp présidentiel, de la droite et celui, cette fois, du Rassemblement national (RN), qui s’y était opposé en mars en première lecture.
Les parlementaires se prononçaient sur un texte de compromis scellé entre des représentants de l’Assemblée nationale et du Sénat pour cette réforme qui, selon ses détracteurs, risque de provoquer une « désorganisation » du système et jeter le doute sur l’indépendance des décisions de la future entité unique.
Le gouvernement espère « fluidifier » le secteur
Le soutien final du RN à ce texte a éteint les espoirs du camp des opposants, composé des groupes de gauche, qu’ils soient pro ou antinucléaires, et des indépendants du groupe LIOT (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires). Sans les voix du RN, le projet de loi n’était passé qu’à un cheveu en première lecture, à 260 voix contre 259. « Même si le texte reste imparfait », la réforme « permettra d’accélérer la construction de nouveaux réacteurs », a justifié, à l’Agence France-Presse, le député (RN) de l’Aisne Nicolas Dragon pour expliquer ce changement de pied.
« C’est catastrophique ou très éclairant sur votre incompétence », a lancé au RN le député (LIOT) du Nord Benjamin Saint-Huile, qualifiant ses membres de « girouettes ».
Ce projet de loi prévoit la création, en 2025, d’une Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR), issue du rapprochement de l’ASN et de l’IRSN, qui emploient respectivement environ 530 et 1 740 agents. Le gouvernement estime que la fin d’un système dual permettra de « fluidifier » le secteur en réduisant les délais d’expertise et d’autorisation d’installations. « Avec ce texte, nous permettons à nos talents de se concentrer sur les enjeux prioritaires de sûreté tout en conservant nos exigences en la matière », s’est réjoui le ministre de l’industrie, Roland Lescure, après les votes.
Huitième manifestation devant l’Assemblée
Les opposants alertent en revanche sur une possible perte d’indépendance des experts et de transparence. Le projet, auquel s’opposent nombre d’élus, d’ingénieurs et d’associations, a aussi provoqué l’ire des syndicats des deux entités. Dans la rue pour une huitième fois mardi, les salariés de l’IRSN ont appelé les députés à s’y opposer. « IRSN démantelé, sûreté en danger », « mariage forcé, accident assuré », lisait-on sur les panneaux dans le cortège.
Motif d’espoir pour les syndicats, l’article clé de la réforme avait été rejeté en commission début mars à l’Assemblée nationale avant d’être rétabli en séance.
Un an plus tôt, c’est dans l’Hémicycle qu’une coalition des oppositions avait fait barrage à la fusion en rejetant un amendement de l’exécutif à un précédent projet de loi, consacré à la relance du nucléaire.
Le débat parlementaire « nous a prouvé une fois de plus combien ce projet ne répond à aucune justification technique ou scientifique », a estimé le député (communiste) de Seine-Maritime Sébastien Jumel.
Double casquette
Le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, Jean-Luc Fugit (Renaissance, Rhône), a, lui, tenté de convaincre les oppositions des garanties apportées par le texte final. L’autorité unique « sera surveillée comme le lait sur le feu », fait-il valoir, soulignant qu’elle devrait présenter son projet de règlement intérieur aux parlementaires.
Un amendement adopté en fin de navette parlementaire prévoit par ailleurs « pour chaque dossier » une distinction entre le personnel chargé de l’expertise et celui chargé d’une décision, l’un des points les plus discutés. Mais, déplore la députée (socialiste) de la Manche Anna Pic, « un même agent pourrait intervenir en tant qu’expert sur un dossier une semaine, puis prendre la casquette de décisionnaire la semaine suivante sur un autre ».
« Je n’ai jamais vu un expert capable de décider et je doute fort de la capacité d’un décideur à développer des expertises pointues, s’est inquiété le sénateur (Parti radical de gauche) du Lot Raphaël Daubet. Changer ainsi de casquette me paraît dangereux. »
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