Bundesliga : après plusieurs loupés monumentaux pour le sacre, le Bayer Leverkusen est enfin champion d'Allemagne

C'est une histoire aux accents poulidoriens, ni plus, ni moins. Car leurs récits pourraient presque se lire ensemble. Étiqueté comme "l'éternel second", Raymond Poulidor détient un record de podiums sur le Tour de France, huit dont trois deuxièmes places, sans jamais l'avoir remporté. Avec quelques succès de prestige comme le Tour d'Espagne, Milan-San Remo, Paris-Nice à deux reprises ou la Flèche Wallonne pour garnir son armoire à trophées. Ce destin, c'est un peu celui du Bayer Leverkusen dans le football. Jusqu'à ce dimanche 14 avril.

Plusieurs fois lancée à vive allure vers le titre, avant de flancher dans la dernière ligne droite, la Werkself avait hérité du surnom peu reluisant de "Neverkusen" ou "Vizekusen" en allemand. Comprenez "Leverkusen qui ne gagne jamais rien". Un terme et même un mythe que Bayer, la société propriétaire du club, avait été jusqu'à breveter en 2010. Le Leverkusen qui perd n'est plus. Cette fois, le Meisterschale va bien circuler dans les rues de la ville de la Ruhr avec ce premier titre de champion d'Allemagne.

Pourtant, le palmarès des Schwarz-Roten était loin d'être famélique avant ce sacre. S'il est maigre à côté de certains poids lourds d'outre-Rhin comme Dortmund, Hambourg, Mönchengladbach et bien évidemment le Bayern Munich, le club compte une Coupe d'Allemagne (1993) et une Coupe de l'UEFA (1988). En 120 ans, seulement. C'est en championnat que les railleries sont surtout allées bon train ces dernières années.

En moins de trente ans, le Bayer a terminé dauphin à cinq reprises : 1997, 1999, 2000, 2002 et 2011. Pas de quoi tirer la sonnette d'alarme en temps normal. Mais les Pillendreher ont souvent compté de nombreux points d'avance sur la concurrence avant de flancher notamment le 20 mai 2000 où le club n'avait besoin que d'un point pour être sacré. L'année 2002 avec la défaite en finale de la Ligue des Champions contre le Real Madrid de Zinédine Zidane, en Coupe d'Allemagne et l'effondrement dans la dernière ligne droite de Bundesliga a longtemps hanté les fans du Bayer.

Directeur général du club entre 1976 et 2004, Reiner Calmund a connu les plus grandes désillusions avec son club de cœur. Presque un traumatisme. "J’ai vécu tellement de championnats de deuxième place que je n’arrive pas à me sortir cela de la tête. Je ne parlerai du championnat que lorsqu'il sera mathématiquement parfait. Pas avant", confiait-il il y a quelques jours à ntv, une chaîne de télévision locale. Cette fois, l'ancien dirigeant va bien pouvoir souffler.

Pour la première fois en 120 ans, Leverkusen est devenu champion d'Allemagne. "Personne ne dira plus 'Vizekusen'. Le terme m'a un peu ennuyé à vrai dire…", lançait il y a peu Rudi Völler qui a fini sa carrière du côté de la BayArena (1994-1996). Même son de cloche pour Christoph Daum, passé sur le banc entre 1996 et 2000. "Si une expression comme Vizekusen est constamment répétée, cela suggère presque qu'on ne peut pas devenir champion. Mais maintenant vous voyez : même Vizekusen peut devenir champion", déclarait le principal intéressé il y a quelques jours.

L'homme à qui revient le mérite de cet exploit, c'est évidemment Xabi Alonso. Arrivé à la rescousse en octobre 2022 alors que le club était englué dans la zone rouge, l'Espagnol a tout changé ou presque. "Il a enchanté le club", expliquait, presque rêveur, l'ancien manager Erich Ribbeck dans un entretien à Sport1. "Leverkusen a adopté le gène du Bayern. Le Bayer Leverkusen gagne des matchs à la manière du Bayern." Au micro de BR24, Reiner Calmund va plus loin pour décrire le nouveau héros. "Pour le Bayer Leverkusen, il est le roi du football et le roi de la Bundesliga."

A Leverkusen, l'Ibérique a installé une patte. Insufflée du jeu de position de son orfèvre de technicien, la bande de Granit Xhaka est joueuse, implacable et surtout libre d'agir et de dégainer comme le souhaite son entraîneur. Le Suisse a d'ailleurs la bonne formule pour décrire cette philosophie. Il l'a soufflée après le succès contre West Ham en Ligue Europa jeudi. "Avec quelques bons joueurs, vous gagnez des matchs. Avec une équipe, vous gagnez des titres." Dans la Ruhr, chacun dépasse ses fonctions pour amener sa pierre à l'édifice. La confiance au beau fixe depuis septembre, ce Bayer qui pense "match après match" comme le martèlent ses cadres, est insubmersible depuis septembre avec 42 matches sans défaite… Ce chiffre, on aurait presque tendance à l'oublier.

Aux abords du stade, la Bismarckstrasse a été renommé Xabi-Alonso-Allee par les supporters rouge et noir il y a quelques jours. Un symbole, un de plus, que l'ancien milieu de terrain, qui a annoncé rester une saison de plus à Leverkusen malgré les sollicitations de "ses ex" Liverpool et du Bayern, est déjà devenu une légende du club. Vingt-deux ans après le cataclysme de 2002, ce millésime 2023-2024 pourrait être exceptionnel, enfin. Le club peut espérer réaliser le triplé championnat-Coupe-Ligue Europa. L'éternel second a déjà changé sur la scène nationale. Il peut encore se transfigurer d'ici juin. Que le spectacle continue !