- 5h : le réveil sonne
J'ai rendez-vous à 6 h 30 devant les coulisses du Grand Palais pour le défilé Chanel. J'ai pas le temps de traîner. Hier, enfin tout à l'heure, j'ai achevé mes derniers essayages à 2 heures du matin.
Le temps de rentrer chez moi, démaquillage, coucher, j'ai dormi une grosse heure, c'est bien.
À la fin de la semaine, je pourrai me reposer, mais là j'arrive des fashion weeks de Londres et Milan, où j'ai parfois enchaîné jusqu'à onze défilés en trois jours, avec une moyenne de deux heures de sommeil par nuit.
Je commence à me sentir un peu cuite, je somnolerais bien une petite dizaine de jours pour récupérer. Paris clôt la saison.
La peau et les cheveux trinquent, j'espère qu'ils tiendront la semaine. Pour le reste, je compte sur mes 18 ans et un bon capital de départ. La journée démarre maintenant. Elle va durer jusqu'à demain.
- 6h25 : ma voiture me dépose devant le Grand Palais
Durant la semaine, j'ai un chauffeur. Avec ce que je dois enchaîner, je n'ai pas le choix. Il pleut.
Maman est avec moi, on sort en trottinant avec un sac sur la tête pour se protéger. On me photographie, on me présente quelques journalistes, on se salue bien tous, on est bien contents de se connaître, bon faut que j'y aille.
J'arrive à l'accueil avec maman, qui m'accompagne souvent sur les défilés, comme beaucoup de mes collègues. Au début, c'est parce que je n'avais que 16 ans. Aujourd'hui, c'est pour le soutien.
On lui refuse l'entrée. Je ne suis plus mineure. Je suis fumasse.
- 7h : je suis dans les coulisses, on me maquille
Tant de lumière, tant de monde affairé, tant de silence, tant de précision dans les gestes, il baigne en ces lieux une atmosphère un poil irréelle.
Bienvenue dans le monde du feutré avant le show. On entend juste Lily Allen au loin. Et loin, plus loin, un buffet de petit déjeuner défie quiconque d'approcher.
- 10h30 : j'entre dans la lumière
Pour cette collection, c'est l'ambiance mi-ferme, mi-western, le Palais est bondé, tout le monde s'est bien installé après avoir vérifié sur les étiquettes qui avait l'audace d'être mieux placé.
Mais maintenant, l'attention nous est entièrement acquise. À nous et aux robes que Lagerfeld a dessinées.
Superbes robes, mais punaises de sabots, j'ai connu plus facile. Enfin, je défile pour Chanel !
Je ne sais pas si vous vous rendez compte, mais je défile pour Chanel. Ce n'est pas la première fois, mais n'empêche. Chanel.
- 11h30 : je sors sous la pluie
Le trottoir est bondé de journalistes, de photographes, de badauds, de Sean Lennon qui téléphonent. Les photographes m'interpellent pour que je sourie, je m'exécute.
Où est ma voiture ? Je ne vois pas ma voiture, quelqu'un a vu ma voiture ? Je la cherche du regard tout en sortant mon portable pour appeler mon agent et connaître ma prochaine destination - tout au long de la journée, il va réceptionner les confirmations, les rendez-vous et me les transmettre au fur et à mesure.
Ça y est, ma voiture est dans deux cents mètres de pluie. J'ouvre la portière, je me jette sur le siège arrière.
Au bout de trois secondes, on s'arrête, j'ai oublié mon sac. Je traverse une mare de reporters en furie qui viennent d'apercevoir Claudia Schiffer, et retour. Ouf !
- 11h45 : Casting chez Wunderkind GMBH
J'arrive en trottinant, une, deux, une, deux, plus que quinze heures à tenir, une, deux, une, deux.
Finalement, il y a un peu de retard, je patiente dans une salle avec bar et buffet.
Nous sommes deux mannequins qui discutons et un barman qui s'ennuie parce que c'est pas avec ce que boivent et grignotent les models qu'il a de quoi occuper sa journée.
Je pense qu'il comptera les petites cuillères quand il aura fini de courber les pailles.
Je n'aime pas trop attendre, c'est un inconvénient dans ce métier.
- 12h21 : c'est à moi de passer
J'enfile une robe très très courte, avec des talons très très hauts, je lève le menton, je prends une tête pas contente et j'arpente le couloir, avec l'air de vouloir envahir la plaine.
Bout du couloir, paravent, demi-tour, autre bout du couloir, habilleuse, demi-tour. On me scrute la robe et les accessoires.
On règle les chaussures, elles sont trop grandes et quand mes pieds partent marcher, les talons mettent deux minutes à les rejoindre.
On m'ajoute des coussinets. Ces chaussures ne sont pas destinées à la commercialisation, elles sont exclusivement réservées aux défilés : elles sont impossibles à porter, on ne les inflige qu'aux tops.
Clic clac, photo souvenir. Le casting est clos, vite, poussez-vous, je trottine de nouveau, faut que je file, j'ai l'essayage (prononcez « fitting ») de Paul & Joe.
- 13h : essayages chez Paul & Joe
Ambiance ruche, ambiance salon de thé, ambiance plein de gens qui pépient gaiement en me collant des bracelets, une paire de lunettes, non finalement, pas de lunettes, mais des bottines à la BB dans « les Pétroleuses », et du vichy, et une fleur ?
Sophie Méchaly, la créatrice de la marque, hésite... Une fleur. Clic clac. Pour les retouches couture, on les fait directement sur moi, on est sûr de ne pas se tromper. Je fais tinter les bracelets, tout en répondant aux questions d'une équipe de M6.
Un petit tour pour valider la tenue : je reprends ma démarche de walkyrie, peu importe le tas de gens dans le passage, je fonce, ils se poussent.
C'est bon, silhouette validée, on se revoit demain pour le défilé. Je me change. Avant de filer, j'attrape trois clémentines et deux pommes au vol, ça va faire du bien de déjeuner.
- 14h30 : espace éphémère des Tuileries, les coulisses d'Elie Saab
La grande tente est pleine de mannequins, bien sûr, de coiffeurs, de maquilleurs, mais aussi d'agents, de stylistes, d'assistants, de curieux, de journalistes, et de photographes qui flashent en tout sens, parfois à vingt centimètres des visages sans même prévenir.
Coincées sur leur siège, les models ont parfois jusqu'à deux maquilleurs, deux manucures et un coiffeur en même temps.
Dans ces conditions, que ce soit un photographe ou un bavard qui se présente, on n'a pas vraiment le loisir de fuir le pénible.
Une consœur à mes côtés continue de sourire sans faire attention, elle textote à cœur joie, une autre plus loin, entièrement habillée et préparée, a juste conservé ses Converse rouges et trouées, ça jure un peu, mais ça détend.
- 15h : on répète le défilé
Sur le podium, nous défilons toutes en peignoir noir, en faisant semblant que c'est une belle robe, pendant que des photographes règlent la lumière en faisant semblant que c'est un vrai spectacle.
Ça va faire ma troisième ou quatrième coiffure de la journée, et elle est encore toute bizarre, avec des mèches qui s'empilent façon nénuphar cristallisé à l'Elnett.
Quant à mes chaussures, là encore, je mériterais une médaille et deux doses d'EPO. Y'a pas, c'est un métier.
Du coin de l'œil, je repère une collègue qui défile pieds nus. Y'a pas de justice.
- 16h : je défile
Je pense qu'au lieu d'admirer le chamarré cortège de nos robes longues, un bon tiers des spectateurs observe Dita von Teese en train d'admirer le chamarré cortège de nos robes longues.
- 16h30 : C'est le dernier aujourd'hui ?
Bien vrai ? Jusqu'à 2 heures ? Hein ? Coulisses d'Alexander McQueen, Palais Omnisport de Bercy.
On est convoquées des heures à l'avance. Mon agent au bout du fil me le confirme : demain, j'ai six défilés, mais pour aujourd'hui, il me reste juste un essayage, après le show, vers 1 heure du matin.
Heureusement, après-demain, c'est un jour off : j'ai refusé quelques défilés et surtout, j'ai demandé à ne pas démarrer avant 9 heures.
Ça aura été une semaine incroyable, qui faisait suite à trois autres semaines incroyables.
Je pense que ce mois-ci, j'ai été la fille la mieux habillée, la mieux coiffée et la mieux maquillée de la planète, une bonne centaine de fois.
Et j'en profite sans perdre une seule minute.
- En vrai, c'était elle : merci à Charlotte Di Calypso
Charlotte Di Calypso est mannequin chez Elite (elle a gagné leur concours à 16 ans) et fait partie du trio de tête des Françaises qui reviennent en force sur les podiums.
À voir Charlotte, on comprend pourquoi : 1,80 m, 18 ans, elle est évidemment superbe, avec évidemment un quelque chose de caractère dans le visage qui la distingue du commun des mortels.
Ajoutez qu'elle est élégante et vous vous dites : font suer ces extraterrestres, je suis sûre qu'elle se la pète (moi, à sa place, je me la péterais méchant).
Même pas. Charlotte Di Calypso est charmante, elle navigue avec lucidité mais sans morgue, et cela risque de la mener loin.
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