On connaît tous des cancres devenus chefs d'entreprise, et des éternelles têtes de classe qui finissent en burn-out, mais en général, comment s’en sort-on, selon le type d’élève que l’on a été ? Cette question, nous l’avons posée sur les réseaux sociaux, et même si les témoignages reçus n’ont pas valeur d’enquête sociologique, ils nous ont paru éclairants, par leur nombre déjà (une centaine) et par les points communs qu’ils font apparaître. Parents d’élèves à bout de nerfs, respirez un bon coup : pour ce qui est de la « réussite » ( un mot à mettre entre guillemets tant ce concept est subjectif), le pire comme le meilleur ne sont jamais certains !

La galère pour tous

Premier point commun évident : ni pour les cracks, ni pour les cancres, la scolarité n’a été facile. Si être le ou la première provoque jalousie et suspicions (« fayotte », « no life », etc.), finir éternel dernier déclenche mépris et moqueries. À cette constante, une exception : les élèves « populaires », quel que soit leur niveau, ont réussi à tirer leur épingle du jeu. À tel point qu’on se dit que plus que les notes, les amis sont la vraie source de confiance en soi. C’est le cas pour Élise, 30 ans, au parcours incroyable : « J’étais vraiment nulle à l’école, j’ai redoublé trois fois, je me suis retrouvée dans la classe de mon petit frère, la honte ! Je n’ai été diagnostiquée hyperactive que très tard, en seconde, mais ça n’a rien changé à la suite de ma scola- rité : une souffrance et une humiliation de bout en bout. J’avais en revanche plein de potes, mon idée fixe était de défendre les élèves victimes d’injustice, de bullyer les bullies...

Ma mère, avocate, s’est dit que le droit serait une bonne voie pour moi, et j’ai eu mon bac par miracle. Mais après ça, quelle galère ! Alors que je m’apprêtais à tripler en Licence 3, j’ai posté sur les réseaux une vidéo parodique sur les gens de ma génération qui, au lendemain du Bataclan, publiaient des posts éplorés, uniquement pour obtenir des likes, alors qu’ils n’avaient pas vécu les attaques. Cette vidéo a été transférée à des gens haut placés qui m’ont contactée et m’ont donné confiance en moi. À 22 ans, je me suis vu confier un média féminin, filiale d’une grande chaîne de télé, que j’ai animé avec ma meilleure amie. De fil en aiguille, nous avons créé notre propre boîte de com digitale. Mes défauts d’élève — tchatche, curiosité, insolence, hyperactivité — m’ont valu mon succès aujourd’hui. »

Et quand, à l’inverse, on est tête de classe mais timide comme une souris, comment fait-on ? Pour Maria, être acceptée par ses pairs a été un long combat. « J’étais l’élève modèle, aux cahiers impeccables, mais qui n’avait pas d’amis. Personne ne me choisissait au sport ni ne m’invitait à un anniversaire, j’étais toujours dans mes bouquins et la seule fois où un prof m’a forcée à prendre la parole en public, j’ai fait un malaise vagal. Ce qui est très paradoxal quand je pense à mon métier actuel. Diplômée d’une grande école scientifique, à 36 ans, je dirige cent personnes. Beaucoup travailler, prendre des décisions, ça ne m’a jamais posé de problème. Le seul travail que j’ai dû vraiment faire était sur moi. J’ai suivi une psychothérapie pour apprendre à aller vers les autres sans craindre d’être jugée. Et enfin, prendre un pot avec l’équipe, animer une réunion, faire des blagues, j’y arrive ! C’était impensable avant. La bascule a eu lieu à 30 ans, et ça prouve que, contraire- ment à ce que l’on pense, on peut passer outre une éducation ou des blocages et changer. »

Floraison tardive

Ne plus du tout être la même personne à 40 ans qu’à 12 ? Du côté des cancres, c’est monnaie courante. Plusieurs témoins partagent cette expérience : derniers de la classe, ils sont devenus... enseignants. « J’étais si nulle que les profs m’ont envoyée en filière G3, comme chantait Sardou !, raconte Nathalie. J’ai fait un BTS de vente, je me suis ennuyée pendant dix ans avant de reprendre mes études à 30 ans. Aujourd’hui, je suis cheffe d’établissement et je rêverais que tous les adultes qui m’ont humiliée voient où j’en suis. »

Théo, 33 ans, dont le par- cours est similaire, abonde : « Les profils d’ex-cancres font de meilleurs profs, car ils comprennent les enfants rêveurs ou inadaptés au système scolaire. » L’envie d’une revanche, un bon moteur pour réveiller les endormis... En classe de 3e, Fanny a été orientée en CAP de métier manuel. Furieuse, elle a donné le coup de collier nécessaire. Désormais conseillère en com, elle travaille pour un ministère mais note, amusée : « C’est étrange, à 35 ans, je tourne en rond, et j’envisage de me reconvertir dans un métier... manuel ! » Jordan, lui, s’est plutôt battu contre ses parents qui ne croyaient pas à sa carrière dans les assurances après qu’il a « culminé à 10,02 toute sa scolarité ». Désormais à son compte, celui qui dit gagner 7 000 € mensuels confie volontiers avoir « un ego surdimensionné et l’esprit de contradiction ». Il partage son mantra : « Rien n’est acquis, mais tout est à moi ! »

Moins sûre d’elle mais pas mécontente de son parcours, Manon, 32 ans, confesse avoir toujours été en retard à l’école et avoir décroché au lycée. Poussée par sa famille, elle a quand même intégré le master d’une école de commerce « pas terrible », dit-elle, avant de très bien réussir dans une grande entreprise. « J’ai beaucoup fait la fête à la fac, et je ne le regrette pas. Ma liberté d’étudiante m’a rendue “street smart” face à des profils “book smart” (plus débrouillarde que théorique). Devoir faire mes preuves m’a boostée. J’ai dû contourner des difficultés que les autres n’avaient pas. J’ai encore un peu une attitude de cancre : je m’arrange souvent avec les délais, par exemple ! »

Joli petit canard

Parmi les premiers de la classe qui ont répondu rapidement à notre appel à témoignages, on sent un certain désenchantement. Balthazar, 32 ans, a fait du droit après son bac mention TB et intégré une grosse entreprise en tant que juriste. Assez vite, « j’ai réalisé qu’en guise d’ouverture d’horizons promise par mes études, j’avais les briques de l’immeuble d’en face. J’ai tout plaqué et je suis retourné à la campagne, d’où je viens, pour devenir tireur de tarot ! “Voyant” sur un profil LinkedIn, c’est moins chic, mais je suis mon propre patron et je gagne bien ma vie en faisant ce que j’aime ».

Éloïse, 41 ans, parle d’un parcours « positif mais avec des nuances ». Après avoir fini « dans la botte » (parmi les premiers) d’une grande école, elle qualifie sa carrière en entreprise de « réussie » mais... « en même temps, j’ai pris conscience qu’un succès bâti sur l’art de faire plaisir et de répondre aux attentes des autres (profs, parents...) ne prépare pas à l’épanouissement personnel. Je pense que pour les femmes, surtout, c’est compliqué : les premières de la classe n’ont jamais eu besoin de développer l’audace, le culot ou le sens politique qui sont nécessaires à briser le plafond de verre ». Madeleine, 40 ans, qui a enchaîné Sciences Po et HEC, n’est pas parvenue à le briser, elle non plus. Un peu désabusée après quinze ans à des postes de direction dans la banque, elle affirme : « Je me suis éclatée dans mon boulot au début, mais depuis dix ans je végète. Ne le répétez pas, mais je ne crois pas qu’on puisse tout avoir ! C’était le mantra de ma charismatique N+1 quand j’ai pris mon premier poste. J’ai vécu à l’étranger, eu quatre enfants... et depuis j’affirme que non, on ne peut pas être aux réunions parents-profs et au Comex. Enfin, moi, je n’ai pas pu ! Après un burn-out, j’ai pensé me reconvertir dans tout autre chose, mais c’est compliqué quand on a fait toute sa carrière dans le même secteur. »

Comparer son parcours à celui d’un dernier de la classe ? C’est d’autant plus facile pour Madeleine que son frère, Lucas, était dans ce cas : « Il s’est fait virer de notre lycée prestigieux, mais il a très bien avancé dans la tech. Le site solidaire qu’il a créé cartonne », sourit-elle, avec une pointe d’envie. Mais là où les cracks comme les cancres se retrouvent, c’est sur les conseils à donner aux élèves et aux parents angoissés : « Ne réduisez pas quelqu’un à ses notes. Faites confiance aux enfants, laissez-leur le temps de trouver ce pour quoi ils sont faits. Tout s’arrange », affirme Élise, la digital entrepreneuse. À Madeleine le mot de la fin : « Relativisez ! Toutes les têtes de classe ne finissent pas à l’Élysée, et ni tous les vilains petits canards, au fond de la mare. »