Le virage rétro-futuriste du rap français

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Le virage rétro-futuriste du rap français

Par
Shay pour son clip DA
Shay pour son clip DA
- Youtube : Shay - DA

Boom-bap 2.0, revival du RnB, retour des codes vestimentaires des nineties : la scène française construit l’avenir en puisant son inspiration dans le passé.

“Tellement à l’ancienne que ça en devient futuriste”

Après avoir longtemps cherché l’inspiration outre-atlantique, le rap français dispose aujourd’hui d’une histoire suffisamment longue et riche pour pouvoir s’auto-alimenter. Qu’ils fassent référence aux classiques qui les ont bercé (au hasard, “j’écoute Cactus de Sibérie” par Infinit’, ou “j’écoute Salif, Prolongations” par Ben PLG) ou qu’ils piochent directement dans le répertoire de leurs aînés, nos rappeurs ont de plus en plus tendance à faire revivre les vieilles heures du rap hexagonal.

Au-delà du simple hommage, c’est tout un héritage qui est convoqué par les rappeurs actuels, qui revisitent ouvertement les tendances du passé. Le revival du boom-bap, bien qu'initié aux Etats-Unis et porté par le travail de Griselda Records, a trouvé un véritable écho en France, et s’est imposé ces trois dernières années comme la tendance dominante. Dans le sillage de ce retour aux sources, on observe également, au cours des derniers mois, un retour aux codes du RnB des années 90.

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Ce virage que l’on pourrait qualifier de passéiste s’accompagne cependant d’une mise à jour globale des sonorités ou de l’esthétique. Le boom-bap, avec son ambiance très caverneuse, a ainsi évolué pour devenir un boom-bap 2.0, ou sous une autre forme, un boom-trap : les grosses caisses claires bien caractéristiques du son des années 90, cohabitent désormais avec des synthétiseurs déstructurés aux effets quasiment futuristes. De la même manière, on incorpore dans ces productions aux accents nineties des éléments issus de la trap ou de la drill, pour un résultat rétro-futuriste qui hybride les sonorités du passé avec celle du présent.

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C’est tellement à l’ancienne que ça en devient futuriste”, rappe  Souffrance sur le titre Comme en 2009, symbolisant malgré lui l’idée globale d’un retour aux sources faisant office d’ouverture sur l’avenir. Le titre s’ouvre d’ailleurs sur un résumé de cet état d’esprit : “j’innove, pourtant j’reviens comme en 2009”. En dehors de  l’Uzine, d’autres participent à ce reboot déguisé. Les derniers titres solo de Flynt correspondent eux aussi à l’idée d’une hybridation entre la mentalité et l’ambiance du son des années 90, et la modernité rythmique des productions trap des dix dernières années.

Les filles à l’avant-garde

Le même type de constat, certes plus nuancé, peut s’appliquer au RnB. Des chanteuses comme Wejdene ou Ocevne ont longtemps été considérées comme des héritières de la génération Wallen, avec une dimension beaucoup plus pop dans leur orientation artistique La vague “pop urbaine” qui a dominé les charts à partir de 2017-2018, laisse aujourd’hui place à un revival du son des années 90-2000. Wejdene en est l’exemple le plus évident, elle qui a parfaitement représenté ce qu’était la pop urbaine, et qui est revenue,  à l’occasion de son dernier projet, à un style directement inspiré par les albums ayant marqué sa jeunesse.

Là encore, ce RnB actuel tend à s’actualiser, en intégrant lui aussi des éléments empruntés à la drill ou la trap, mais en piochant également du côté des musiques électroniques ou des scènes alternatives. Un profil comme Jäde illustre bien cette ambivalence entre renouveau des codes RnB et héritage des années 90-2000. Navigant entre les sonorités et les époques, la chanteuse s’inspire du passé , d’où la fameuse appellation “vintage pop” qu’elle ne revendique pas et ne comprend même pas totalement, mais reste tournée vers l’avenir, avec des intentions avant-gardistes.

La scène féminine est particulièrement active dans le renouvellement des codes du rap-rnb français.  Ekloz en est un autre exemple. Malgré son background de pur kickeuse d’open-mic plus proche d’Hugo TSR que de Laylow, la rappeuse sudiste affiche l’une des propositions artistiques les plus avant-gardistes et audacieuses de la scène actuelle. Effets de voix triturés, interprétation destructurée, rythmiques singulières : l’ensemble s’appuie sur une véritable “toile de fond aux accents futuristes”. Là encore, on navigue donc entre fondamentaux issus du passé, et volonté de prendre part à l’avenir de la musique.

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Chez de nombreux artistes de la jeune génération, l’imagerie permet elle aussi d’appuyer l’ambiance rétro-futuriste de la musique. C’est le cas chez Ekloz avec  des clips audacieux, mais aussi chez Leentokyyo,  dont les visuels renvoient à l’imaginaire de la science-fiction. Malgré une proposition artistique moins radicale, on pourrait également citer Shay, qui fait cohabiter son rap aux fondamentaux maîtrisés avec une direction artistique visuelle futuriste. De ses tenues dignes du Cinquième Élément à ses clips très inspirés par le cinéma (DA, Commando), la bruxelloise fait partie des premières à avoir emprunté la route du rétro-futurisme.

De la musique aux visuels : le futur, c’est le passé

Cet aspect visuel très fort se retrouve également du côté des rappeurs, aussi bien du côté du pur mainstream, à l’image de l’album-hommage aux années 80 de Soprano, que du côté des scènes dites alternatives, le travail de rad cartier depuis des années en étant le meilleur exemple. L’imagerie globale du rappeur orléanais fait énormément référence au futur, qu’il s’agisse de ses tenues, des visuels de ses projets, ou de ses clips.

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La connexion grandissante entre rap français et monde de la mode est l’un des autres symboles de la manière dont le rap français oscille entre passé et avenir. Les groupes les plus radicaux, comme Butter Bullets, reviennent aux sonorités très new-yorkaises des années 90, alors même que leurs artistes s’investissent dans  une mode avant-gardiste éloignée des standards des rappeurs des trente dernières années.

La mode étant un éternel recommencement, difficile de ne pas voir dans le rap le même type de dynamique cyclique au sein de laquelle les tendances apparaissent, disparaissent, puis reviennent sous une forme plus ou moins proche de l’originale. Les codes vestimentaires des années 90 ont fait un retour en force dans le rap français : réémergence des marques phares de l’époque (Tacchini, Fila, Kappa), jeans taille haute chez les filles, casquettes-crocodile, paires de TN, etc. En observant le rap français actuel, on ne sait donc jamais trop si on se situe en 2034 ou en 1994, contribuant à une ambiance globale pleinement rétro-futuriste.

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Qu’il s’agisse de sonorités, d’imagerie, ou de de codes vestimentaires, la scène rap-rnb française s’inspire énormément des références de ses aînées tout en cherchant à leur donner une nouvelle impulsion, voire dans certains cas, une nouvelle signification. Cette orientation permet à la fois de toucher les auditeurs de longue date, bien contents de retrouver l’esprit de la musique qu’ils ont aimé plus jeunes, que d’intéresser les nouvelles générations à des codes qu’elles auraient pu considérer comme révolues. La fameuse maxime “rien ne se perd, tout se transforme”, n’a jamais eu autant de sens qu’à l’heure actuelle.