Visites privées

À Bali, la villa d'un musicien dont personne ne connaît le visage…

À l’orée de la jungle balinaise, le rappeur le plus populaire d’Allemagne s’est créé une résidence sur mesure propice à la créativité pour musiciens et amis du monde entier.
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© Piergiorgio Sorgetti

Lorsque la porte s’ouvre, nous reconnaissons Carlo Waibel, alias Cro, à sa voix, car le rappeur le plus célèbre d’Allemagne ne montre jamais son visage dans les médias. Ici, à 12 000 kilomètres de son Allemagne natale, le musicien évolue pourtant en toute décontraction, sans son masque, qu’il remet consciencieusement pour notre photographe. Il y a six ans, le rappeur s’est délocalisé à Bali, et ce n’est pas, contrairement aux clichés habituels, pour se mettre au yoga et au surf, mais surtout pour créer, avec son piano et ses multiples machines, mais aussi armé de ses pinceaux et de tubes de peinture. Le musicien cherchait un havre de paix, qui offrirait un terrain de jeu propice pour sa créativité et lui permettrait d’accueillir tous ses amis et collaborateurs. Car, en dehors de ses tournées à guichet fermé, l’homme le plus écouté d’Allemagne n’aime rien tant que le calme.

Voici la villa de rêve de Cro à Bali

Vue du ciel, l'architecture d'Alexis Dornier donne l'impression que Cro a marqué d'un grand X l'emplacement de sa propriété à l'orée de la jungle.

© Julian Becker/Becker Films

« Ici, je me sens comme un enfant. D’ailleurs je suis probablement encore un enfant », dit l'artiste qui, à 34 ans, a déjà derrière lui une longue carrière couronnée de succès. Chacun de ses cinq albums studio a en effet atteint la première place des charts allemands. En collaboration avec son frère Benno et son ami Alexis Dornier, architecte basé à Bali, le rappeur a conçu un refuge plein de bonnes ondes pour composer de nouveaux morceaux et imaginer de nouveaux projets.

Un lieu de créativité

Dès que l'on pénètre dans la maison, on est frappé par l’atmosphère de sérénité qui se dégage des lieux. Serait-ce dû, comme nous le suggère Carlo Waibel avec un large sourire, aux bénédictions quotidiennes reçues par la maison depuis le début du chantier il y a plus de six ans. De fait, chaque matin, une voisine apporte des bols d'offrande appelés canang saris, faits de feuilles de palmier et remplis de fleurs, de riz et de bâtonnets d’encens, et les dispose dans toute la maison pour remercier le dieu suprême Sang Hyang Widhi Wasa pour chacun des quatre éléments : le feu, l'eau, l'air et la terre. Le rappeur ne le lui a jamais demandé, mais cette voisine vient tous les jours, sorte de rite de bienvenue répété quotidiennement qui témoigne de l’hospitalité de Bali, et de la croyance que la terre, loin de se plier à nos désirs de propriété ne fait que passer entre nos mains. C‘est en partie le cas, car à Bali la loi fait qu’on ne peut être propriétaire d’un lieu que pour une durée déterminée. Carlo Waibel assiste avec bonheur aux allées et venues de sa voisine, et accueille en toute décontraction ses amis venus du monde entier. Avec lui, tout est Easy, comme le dit une de ses plus célèbres chansons.

L'escalier en colimaçon mène à un point de vue. Derrière lui, le toit en pente est de style typiquement balinais, conçu pour résister à la saison des pluies.

© Piergiorgio Sorgetti

L’entrée offre suffisamment d’espace pour garer les motos de motocross indispensables pour circuler plus rapidement dans le trafic balinais.

© Piergiorgio Sorgetti

Cro devant sa villa à Bali.

© Piergiorgio Sorgetti

Nichée entre les rizières, au coin desquelles s’érigent ici et là des temples miniatures comme de petites cabanes, la propriété de 5 000 mètres carrés se trouve à la marge d'un petit village, non loin de Denpasar, la capitale de l'île. Un cours d’eau bordé de pierres de lave au fond du jardin, permet d’offrir une frontière naturelle avec la forêt vierge située derrière et les rizières en terrasses des environs. Malgré ce panorama saisissant, ce terrain en pente ne trouvait pas preneur. En Indonésie, vivre au bord d’un cours d'eau est considéré comme mauvais pour le karma. Selon la tradition, les ruisseaux charrient les âmes des ancêtres, ce dont les Balinais préfèrent se tenir à distance. Mais le mauvais œil n’a pas découragé Cro et son frère, Benno Waibel, de faire appel à l’architecte Alexis Dornier, lui aussi allemand, pour concevoir une propriété ouverte de deux étages équipée d’un studio d'enregistrement, d’une piscine et d’un terrain de basket.

Depuis sa chambre à coucher (au fond), Cro apprécie la vue sur le terrain de basket. Le sol en verre filtre la lumière vers la piscine à l’étage inférieur.

© Piergiorgio Sorgetti

Construction traditionnelle et exigences d’artistes font bon ménage

« Bali est devenu une destination de plus en plus courue par les musiciens, les artistes et les DJ du monde entier. Il n’y a pas de meilleur endroit pour combiner mode de vie sain et productivité », explique Benno Waibel, qui travaille au plus proche de son frère avec son label Truworks. L’idée était de créer une vraie résidence pour les artistes : une possibilité dont a profité le chanteur colombien J. Balvin.

Le lieu de vie se fond parfaitement dans le décor végétal luxuriant. La seule frontière visuelle entre les deux environnements est la piscine en virage. Cro porte un ensemble en nubuck de chez Gucci.

© Piergiorgio Sorgetti

Une maison ouverte, faite par des musiciens pour d’autres musiciens, voici l’idée motrice que devait refléter l’architecture. « La maison doit donner l’impression d’une cabane dans les arbres. Elle doit être belle mais ne pas empiéter sur la nature ni la topographie des lieux » : c'est ainsi que les frères Waibel ont d'abord décrit leur villa de rêve à l’architecte Alexis Dornier, déjà concepteur de plusieurs résidences à Bali, et qui connaît bien les ressources et les réglementations locales. « Dès le début, notre objectif était de construire plus qu'un simple bâtiment. Nous voulions faire une architecture-sculpture, se souvient l'architecte. Notre projet devait être ouvert, beau et modulable, tout en reprenant et en réinterprétant des éléments de l'architecture traditionnelle des toits balinais. »

Une transition douce : la frontière entre intérieur et extérieur s’estompe

Depuis la route, on emprunte un chemin qui borde les rizières et les petites maisons voisines, menant jusqu’à la porte d’entrée traditionnelle de la villa, appelée Angkul-Angkul. À l'intérieur, on est accueilli par un espace de vie ouvert où on trouve très peu de murs et encore moins de portes. La cuisine, la salle à manger et le salon se fondent parfaitement avec la vue extérieure. Seuls les bords de la piscine et les poutres de bois qui portent les étages supérieurs offrent une séparation visuelle momentanée avec l'environnement tropical.

L'îlot de cuisine sur mesure en pierre locale robuste résiste à la forte humidité et produit un contraste intéressant avec la chaleur du bois de bangkirai.

© Piergiorgio Sorgetti

La table et les chaises ont été réalisés par des menuisiers locaux. Les lampes en cuivre martelées à la main viennent de Java.

© Piergiorgio Sorgetti

L’atelier d'art est directement sous à la véranda, entourée par la jungle.

© Piergiorgio Sorgetti

Le parquet est bois local résistant et convient parfaitement aux espaces de vie exposés à l’humidité et à la lumière directe du soleil. Les poutres et le plafond sont réalisés en planches de bateau recyclées avec du bois de bangkirai. Les lampes en métal proviennent de Java ou du village voisin, pour tous les autres meubles et objets, les frères ont suivi un principe aussi durable que régional : le piano à queue ainsi ou le fauteuil vert vintage ont été chinés sur Ebay ou offerts par des amis. Le fauteuil Eames est un cadeau d’emménagement et la table de billard provient d’un joueur professionnel de Bali.

Le puits de lumière au rez-de-chaussée accueille un généreux canapé en velours couleur koi, un lieu très prisé par Cro et ses invités.

© Piergiorgio Sorgetti

La nature donne le ton

Depuis le salon et son canapé en velours encastré dans le sol, conçu à l'origine pour accueillir un bassin de poissons, deux escaliers situés de part en part mènent aux quatre chambres à coucher et aux salles de bains des niveaux supérieurs, divisé en quatre. Les chambres à coucher sont orientées vers les quatre points cardinaux, leurs toits forment un X vu du ciel, comme si Cro avait marqué au stylo l’emplacement de sa nouvelle maison sur une carte de la jungle. Au-dessus des toits à deux pans trône un autre toit plat offrant une vue panoramique sur les environs et sur le terrain de basket situé un niveau plus bas. « On a l'impression d'être sur un terrain d'aventure, en constante évolution, sans cesse en train de bouger », explique Cro. L'intérieur et l'extérieur, l'eau et la terre, le silence et la musique… tout cela s'enchaîne avec une grande souplesse.

Dans ce décor de jungle verte, les rideaux ne sont que très rarement tirés. Dans la chambre à coucher de Cro, des baies vitrées du sol au plafond laissent le regard vagabonder dans la nature.

© Piergiorgio Sorgetti

À l'étage, la baignoire indépendante vient de Java.

© Piergiorgio Sorgetti

Harmonie avec la nature et contrastes, tels sont les maîtres-mots qui donnent sa dynamique à la maison. « La jungle est partout chez elle, confie Cro. Si je peins ou que je construis quelque chose, et que je l'accroche au mur, quand je reviens après plusieurs semaines, la chaleur et l’humidité auront tout fait bouger. Le piano rouille rapidement, les tableaux moisissent, la pluie entre parfois par les côtés, si bien que des travaux de rénovation sont constamment nécessaires. La nature est très forte ici, donc tout reste constamment en évolution et en mouvement et c’est très bien ainsi. » Ce n’est pas seulement la musique qui rythme la vie du lieu, mais aussi et surtout la jungle. Sans oublier Chewie, le chien du rappeur, qui réclame sa pitance dès 8 heures du matin.

Le studio de musique, mis à disposition d’invités comme J Balvin, répond à toutes les exigences. Le système sonore est à la pointe de la technologie, tout comme la climatisation silencieuse.

© Piergiorgio Sorgetti

Cro ne joue pas seulement à cache-cache avec son public, le thème du visage caché est également omniprésent dans ses créations, comme ici sur un tableau et un lampadaire de son cru.

© Piergiorgio Sorgetti / Kunst: Jordan Kerwick; carlito

Le piano Kawai laisse voir ses entrailles. Il est flanqué de diverses guitares, d’une basse et d’un micro sur son pied.

© Piergiorgio Sorgetti / Kunst: carlito

Un tableau grand format de Cro est également suspendu au-dessus de l'ensemble de canapés de Vetsak. Le rappeur et artiste actif ne souhaite pas vendre ses tableaux auquel il est trop attaché.

© Piergiorgio Sorgetti / Kunst: carlito

Cro et son chien Chewie à l'heure du petit déjeuner.

© Piergiorgio Sorgetti

Article initialement publié sur AD Allemagne.

Stylisme : Thomas Skroch