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SOCIÉTÉ

Se réconcilier avec les mathématiques ? Oui, c'est possible !

Écrit par Hugo Leroux
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Des performances scolaires en berne et marquées par les inégalités, un désamour de la matière chez les adultes… Le compte n'est pas bon entre les Français et les maths. Voici quelques pistes pour corriger cette équation.

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C’est un constat récurrent depuis plus de vingt ans : selon les études internationales d’évaluation des systèmes scolaires, les élèves français sont de plus en plus médiocres en mathématiques. Et la cuvée 2022 de Pisa, l’enquête menée sur les enfants de 15 ans par l’OCDE, est particulièrement préoccupante : "C’est la chute la plus forte depuis 2000", résume Éric Charbonnier, analyste éducation à l’OCDE. Le facteur Covid a bien sûr pesé sur les performances de l’ensemble des pays. Mais la contre-performance française laisse songeur : "D’un cycle à l’autre, la France perd en général 3 ou 4 points. Ici, elle en perd 21… contre 15 points pour la moyenne des États étudiés. Ce qui la place au niveau de la moyenne de l’OCDE", détaille Éric Charbonnier. Un comble pour un pays qui compte tant d’illustres mathématiciens, dont 13 médailles Fields (l’équivalent du prix Nobel) ! Autre constat : même nos meilleurs élèves montrent des signes d’essoufflement. Alors que le système français était marqué par des inégalités très fortes avec, grosso modo, un quart d’élèves excellents et un quart de décrocheurs, "il n’y a plus que 7 % de très bons élèves en 2022, tandis que la part d’élèves qui n’ont pas les compétences de base s’élève à 29 %", précise l’économiste.

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Au-delà de ces piètres résultats, notre pays nourrit une appréhension historiquement forte face à cette discipline. En 2012, 72,5 % des jeunes gens avouaient ainsi leur peur d’avoir de mauvaises notes, contre 45 % dans la moyenne de l’OCDE. "En 2022, la France perd ce titre de championne du monde de l’anxiété puisque cette proportion n’est plus que de 64 %", tempère Éric Charbonner. Il n’en demeure pas moins que la population générale reste méfiante vis-à-vis de la matière : selon l'étude Piaac, le Pisa des adultes, trois adultes français sur quatre ne maîtriseraient pas les notions permettant les calculs de base, comme la multiplication, la proportionnalité ou les pourcentages. Un désamour qui remonterait à leur propre scolarité.

Ancrer les mathématiques dans la société

En dehors de l’école, c’est aussi la société qu’il faut raccrocher au train des maths. "Rappelons inlassablement qu’elles font partie intégrante de la vie quotidienne !", exhorte Claire Piolti-Lamorthe, présidente de l'Association des professeurs de mathématiques de l'enseignement public (Apmep). La chaîne YouTube Micmaths, qui compte près de 600 000 abonnés, propose aux petits et grands de s’en amuser via des jeux de logique, des chroniques ou encore des manipulations.

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Inaugurée en 2023 à Paris, la Maison Poincaré, premier musée exclusivement consacré aux mathématiques en France, veut donner une autre image de la discipline. La "carte du métro" qui y accueille les visiteurs relie une dizaine d’objets du quotidien à des concepts mathématiques. On y apprend ainsi que le ballon de football, sphère bien connue, résulte en réalité de l’agencement d’hexagones et de pentagones plats. La discipline s’incarne aussi à travers des trajectoires humaines diverses : "Nous présentons autant d’hommes que de femmes, avec des parcours parfois originaux. Avant de devenir un chercheur reconnu, Persi Diaconis a par exemple été magicien professionnel !" illustre Sylvie Benzoni, mathématicienne et directrice du musée.

Au-delà de leur côté pratique, les maths sont aussi un noble exercice de l’esprit qui vise un objectif fascinant : chercher et trouver. C’est ce que s’efforce de rappeler Cédric Villani à travers ses récits de vulgarisation – comme sa récente série de podcasts dédiée aux équations différentielles. Il y dépeint l’épopée accomplie par les grands mathématiciens pour parvenir aux équations qui ont changé le monde. Une épopée dans laquelle la France a joué un rôle-clé : les lois de l'électromagnétisme (qui commandent nombre d'objets de notre quotidien) n'existeraient pas sans Pierre-Simon Laplace ; on ne pourrait comprendre l'effet de serre sans l'apport de Joseph Fourier ; la modélisation de phénomènes très divers, allant de la propagation des virus à l'évolution des cellules d'une tumeur, n'existerait pas sans la résolution d'équations différentielles qu’Henri Poincaré a perfectionnée… Comme le résume le mathématicien-star dans son ouvrage Théorème vivant (éd. Le Livre de poche, 2013), ailleurs, "il n’y a pas autant de mathématiciens qu’à Paris, capitale mondiale de la mathématique".

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Lutter contre les fausses croyances sur les mathématiques

L’origine de la sombre réputation de la discipline est souvent associée à la réforme des maths modernes qui, au cours des années 1970, a introduit une abstraction très forte dans leur enseignement… et traumatisé une génération d’élèves ! Cette période correspond aussi à leur montée en puissance comme vecteur de sélection scolaire. Or, "l’anxiété déclarée est maximale dans les pays qui associent le plus fortement cette matière à la réussite sociale, tels les pays asiatiques… ou la France", souligne Éric Charbonnier. Un sentiment d’ailleurs plus fort chez les filles. Lors d’une expérience menée en 2013, deux chercheurs d’Aix-Marseille Université (Bouches-du-Rhône) ont soumis deux groupes d'écoliers à un même exercice en le présentant comme une épreuve de dessin ou de géométrie : dans le premier cas, les filles réussissaient mieux que les garçons, et dans le second ces derniers surpassaient les filles.

Un constat que l’association Femmes et mathématiques combat depuis plus de trente ans, en proposant des ateliers et événements consacrés aux stéréotypes de genre, qui présentent aux jeunes générations des mathématiciennes comme modèles à suivre et visent à mieux faire connaître auprès des filles les métiers scientifiques. "Plus que les stéréotypes de genre que l’on retrouve dans tous les pays, les inégalités liées au milieu social sont aussi particulièrement fortes en France", ajoute Éric Charbonnier. Des études en psychologie ont d'ailleurs montré que les élèves pouvaient "absorber" les préjugés de leurs parents vis-à-vis de la matière, notamment lorsque ceux-ci les aident à faire leurs devoirs. Ainsi, un parent qui se considère comme "nul en maths" ou qui n’a pas "la bosse des maths", va inconsciemment transmettre son angoisse ou ses préjugés. "Pour déconstruire ce mythe de la bosse des maths, selon laquelle on "naît" bon en maths ou pas, les enseignants peuvent aussi diffuser les leçons des neurosciences, qui prouvent à quel point le cerveau est plastique et que rien n’est écrit à l’avance", souligne Claire Piolti-Lamorthe.

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Agir dès le plus jeune âge

Toutes les études en témoignent : tout ou presque se joue au primaire. C’est durant ces années que les élèves décrochent dans cette discipline cumulative, et que les inégalités s’installent. Les professeurs des écoles sont donc en première ligne pour agir. Or, en France ils ont été formés à 85 % dans des cursus littéraires ou de sciences humaines… avec parfois leurs propres blocages. L’étude Timss 2019 (qui mesure le niveau des élèves de CM1 et de quatrième en mathématiques et en sciences) montrait ainsi que les enseignants français s’estiment moins à l’aise pour "donner du sens aux mathématiques" que leurs homologues européens (72 % contre 85 % en moyenne). En France, un instituteur pouvait aussi en 2017 n’avoir suivi que quarante heures de maths lors de sa formation… contre 400 à Singapour. Depuis, des mesures ont été prises. Le Plan mathématiques lancé en 2018 par le mathématicien Cédric Villani et l’inspecteur de l’Éducation nationale Charles Torossian, a monté ce chiffre à cent heures en master. Pour certains, il faudrait aller plus loin et créer des parcours de licence spécifique : "Dans les pays performants, les futurs instituteurs s’engagent dans cette voie après le bac, pas après la licence. On ne peut pas former des enseignants véritablement polyvalents en seulement deux ans !" plaide Michèle Artigue, mathématicienne française spécialisée en didactique.

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Accorder le droit à l’erreur

L'étude Pisa met aussi en lumière une forme d'inhibition très française : beaucoup de nos élèves préfèrent s'abstenir de répondre à certaines questions plutôt que de courir le risque de se tromper. "Ce constat implique de repenser notre rapport à l’erreur", plaide Claire Piolti-Lamorthe. Dans le cas d’exercices répétitifs dont la finalité est l’acquisition d’automatismes, l’objectif est bien sûr d’éviter les erreurs. Par exemple, un élève doit connaître par cœur ses tables de multiplication, être capable de les réciter rapidement et sans hésiter. En revanche, la résolution de problèmes (transformer un énoncé en français en un calcul) issus de la vie réelle nécessite de modéliser, c’est-à-dire de reconnaître le modèle mathématique derrière l’énoncé et de faire des choix, comme éliminer certaines données inutiles afin de traiter le problème. "Or ici l’erreur participe au processus normal pour construire un raisonnement", poursuit la professeure.

Rendre les maths plus concrètes

Autre solution souvent invoquée, dont récemment par le ministre de l’Éducation Gabriel Attal : généraliser la méthode de Singapour, qui semble opérer des miracles dans les pays qui réussissent l’évaluation Pisa. Cette approche des maths, qui synthétise en fait de bonnes pratiques pédagogiques développées dans un ensemble de pays, a pour objectif de faire découvrir les nouvelles notions par l’aspect manipulatoire (à l’aide de bouliers, de cubes, etc.) avant de conduire progressivement les élèves vers l’abstraction. "Cette logique est une bonne chose, mais elle est en réalité déjà préconisée depuis longtemps dans la formation des enseignants", note Claire Piolti-Lamorthe. "Beaucoup de profs la mettent déjà en œuvre", relève aussi Michèle Artigue. Au collège de La Roche-Posay (Vienne), un groupe d’enseignants a par exemple mis au point une méthode d’apprentissage des maths très concrète "par les grandeurs", qui a contribué à améliorer significativement les résultats des élèves de la circonscription.

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Assurer la formation continue des profs

Alors pourquoi ces bonnes pratiques peinent-elles à se généraliser ? "Pour faire la bascule, il manque du temps de formation continue et d’accompagnement des enseignants", analyse Charles Torossian. De fait, avant 2018, rien ou presque n’était prévu en la matière. "On parle de formation par des référents mathématiques, mais aussi de collaboration des profs entre eux, pour échanger et s’approprier les bonnes pratiques. C’est l’autre clé des pays qui réussissent comme Singapour", souligne l’inspecteur de l’Éducation nationale.

Le Plan mathématiques de 2018 a ainsi lancé le recrutement de 2000 référents de circonscription chargés de former des "constellations" de huit instituteurs pendant trente heures. Il a aussi impulsé la création de 500 laboratoires de mathématiques au niveau des lycées et collèges, des structures visant au développement professionnel collaboratif des enseignants. Une initiative généralement saluée, mais pour laquelle l’intendance ne suit pas : "Aucune heure de formation rémunérée n’étant prévue pour le secondaire, les participants le font pour l’instant sur leur temps libre, après les cours ou pendant le temps du repas", souligne Michèle Artigue. À en croire les évaluations internationales, le nombre d’heures d’enseignement n’est pas en cause dans l’échec des Français : Timss relève ainsi que la France en consacre 193 heures aux mathématiques en CM1, contre 158 en moyenne en Europe… pour des résultats guère meilleurs.

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La méthode des ordres de grandeur

Les écoles qui pratiquent cette pédagogie ont vu les évaluations d’entrée en sixième de leurs élèves s’élever au-dessus de la moyenne départementale. Le programme "maths en grandeur", élaboré par des enseignants dans le cadre du laboratoire de maths de La Roche Posay (Vienne) et inspiré par des recherches en didactique à l'Institut de recherche pour l'enseignement des mathématiques de Poitiers, vise à travailler les notions mathématiques comme elles se sont construites, à partir des grandeurs que l’on doit mesurer dans la vie de tous les jours : les populations, les prix, les longueurs, les surfaces, les volumes, les angles, mais aussi les durées, les masses… Le tout en partant d’expérimentations conçues pour résoudre des problèmes concrets : comment partager un terrain, une somme d’argent ? Comment comparer des populations ou des volumes ? "Même des élèves réputés décrocheurs viennent en cours avec plaisir. Et on parvient à raccrocher certaines familles, avec des parents artisans par exemple, qui voient que nos activités sont proches de leur quotidien", témoigne Jérôme Coillot, professeur de mathématiques et initiateur de la méthode au collège Léon-Huet en 2010. Depuis, elle a essaimé dans plusieurs autres établissements (collèges et écoles) de la circonscription.

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Chiffres clés

  • Les résultats de l’étude Pisa 2022, menée par l’OCDE, ont été publiés en décembre 2023. Les élèves de 15 ans ont obtenu 474 points en mathématiques, ce qui place la France au niveau de la moyenne de l'OCDE (472 points), bien en dessous des pays performants comme la Corée, l’Estonie, le Japon et la Suisse, qui affichent des scores supérieurs à 505 points.
  • 13 lauréats de la médaille Fields sur 64 sont issus de laboratoires français.
  • 59 % des répondants à notre sondage estiment que les maths leur servent dans la vie quotidienne.
  • 34 % se sentent dépassés à la simple évocation d'un pourcentage ou d'une règle de trois.

POUR ALLER PLUS LOIN

> Questions de maths utiles : soldes, sondages, loto, radars…, Hervé Lehning, éd. Librio, 2021.

> m@ths et tiques, la chaîne YouTube aux 2,3 millions d’abonnés d’Yvan Monka, professeur agrégé de mathématiques.

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