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Entretien

Photographie: portrait géant de la France des années 2020 réalisé par 200 photographes

« La France sous leurs yeux » est le résultat très réussi d’un travail aussi extraordinaire que gigantesque. L’exposition à la Bibliothèque Nationale de France (BNF) nous offre un condensé de 200 expéditions de photographes envoyés dans tous les territoires de la République. Cet état des lieux de la France depuis la crise sanitaire montre le pays dans toute sa diversité : des jeunes aux retraités, de la travailleuse du sexe à Paris, jusqu’aux juges ancrés dans la tradition musulmane à Mayotte, du changement climatique en passant par les nouveaux Russes de France jusqu’aux masculinités modernes… Entretien avec la co-commissaire Emmanuelle Hascoët.

« Marche pour le climat » en mars 2022, image de Philippe Labrosse dans « Une jeunesse engagée et mobilisée », exposée dans « La France sous leurs yeux » à la Bibliothèque Nationale de France.
« Marche pour le climat » en mars 2022, image de Philippe Labrosse dans « Une jeunesse engagée et mobilisée », exposée dans « La France sous leurs yeux » à la Bibliothèque Nationale de France. © Siegfried Forster / RFI
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RFI : La France sous leurs yeux, est-ce un projet et une exposition unique en son genre ?

Emmanuelle Hascoët : C'est une commande historique unique voulue par le ministère de laCulture pour soutenir la profession des photojournalistes au sortir de la crise sanitaire. L’exposition est unique par son ampleur, 200 photographes, et par aussi la somme qui leur a été allouée : 22 000 euros chacun pour réaliser un reportage sur la France.

Qu'est-ce qui vous a frappé le plus par rapport aux approches artistiques ?

L’exposition dresse aussi un portrait de ce qui est le métier de photojournaliste aujourd'hui et de toute sa diversité : tant des reporters traditionnels que des reporters qui font plus place à une écriture plasticienne ou métaphorique. Ils sont tous représentés dans la commande, avec 40 % de femmes.

Mehdi, 21 ans, Blanc-Mesnil (93), photo de Samuel Gratacap dans « Une jeunesse en campagne, entre désir(s) et représentations », exposée dans « La France sous leurs yeux » à la Bibliothèque Nationale de France.
Mehdi, 21 ans, Blanc-Mesnil (93), photo de Samuel Gratacap dans « Une jeunesse en campagne, entre désir(s) et représentations », exposée dans « La France sous leurs yeux » à la Bibliothèque Nationale de France. © Siegfried Forster / RFI

Parmi les 200 photographes, y a-t-il un dénominateur commun par rapport à leur constat concernant l’état de la France après la crise sanitaire ?

Le dénominateur commun, c'est leur profession. Après, les regards sont divers, mais certains sujets sont traités plus largement que d'autres. Le monde du travail est très représenté, mais aussi toutes les problématiques liées à l'environnement, à l’anthropocène, la jeunesse, mais aussi les personnes âgées. Après, certains sujets manquent peut-être, par exemple, la France qui va bien, on la voit un peu moins dans cette commande, malgré des sujets sur la culture ou les congés avec Stephan Gladieu (Littoral) et Céline Villegas (Douce France) qui ont représenté la France en vacances.

Après la crise sanitaire de Covid-19, certains ont parlé d'une véritable rupture. Comment cette rupture se reflète-t-elle dans ces images ?

Les photographes n'avaient pas l'injonction de traiter du Covid, mais de la France d'après. Mais évidemment, il y a toutes les ruptures entre ces populations, la jeunesse qui en a beaucoup souffert. Il y a des sujets sur la jeunesse qui reprend ses libertés, qui revit, mais aussi sur la jeunesse qui a été impactée, le monde étudiant, le monde psychiatrique… En même temps, le moment de la crise sanitaire a été aussi un grand moment de solidarités. Elles sont largement traitées dans la commande, avec l'attention aux plus faibles, aux personnes précarisées, l'accueil des migrants... Hélas, la guerre en Ukraine s'est invitée dans ce temps de la commande photographique. Nous avons aussi beaucoup de sujets qui traitent - soit directement, soit indirectement - de cette guerre aux portes de l'Europe.

« Maïssa au téléphone avec un ami dans le RER D », photo de Sandra Mehl dans « L’amour en cité », exposée dans « La France sous leurs yeux » à la Bibliothèque Nationale de France.
« Maïssa au téléphone avec un ami dans le RER D », photo de Sandra Mehl dans « L’amour en cité », exposée dans « La France sous leurs yeux » à la Bibliothèque Nationale de France. © Siegfried Forster / RFI

Le projet de Camille Gharbi, Devenir un homme, s’intéresse aux nouvelles masculinités.

C’est aussi une des conséquences de la crise sanitaire. Il y a beaucoup de sujets liés à l'intime, aux individualités et aux communautés. Camille Gharbi, mais aussi La disparition de James Bond de Scarlett Coten, ont interrogé ces nouvelles masculinités. Ce sont des photographes de deux générations différentes qui abordent le sujet différemment, mais il est largement représenté, tout comme les représentations de la population LGBTQI+, le monde des queer.

Les dernières années, le mouvement #MeToo et d’autres revendications de femmes ont été beaucoup médiatisés. Les nouvelles masculinités, qu'est-ce qu'elles revendiquent ?

Elles revendiquent, comme le racontent les reportages, des façons libres d'être un homme. Un changement d'apparence évidemment, mais aussi de mentalité, la volonté d'affirmer sa sensibilité dans certains cas. Les images, ce sont souvent des portraits négociés où ces hommes font le jeu de jouer avec la photographe pour oser des représentations auxquelles on est de plus en plus habituées, mais qui bousculent une certaine représentation.

« Adrien, Brest », photo de Scarlett Coten dans « La disparition de James Bond », exposée dans « La France sous leurs yeux » à la Bibliothèque Nationale de France.
« Adrien, Brest », photo de Scarlett Coten dans « La disparition de James Bond », exposée dans « La France sous leurs yeux » à la Bibliothèque Nationale de France. © Siegfried Forster / RFI

Lynn S.K. présente À chaque fois l’histoire te rattrape, un travail sur les mémoires transgénérationnelles liées à la colonisation et la guerre d'Algérie. Ce sujet est-il encore d'actualité dans la France d’aujourd’hui ?

C'est un sujet très sensible qui montre toute la complexité, la mosaïque, la complexité de ces familles liées à l'histoire, à leur histoire familiale. Elle travaille tout en nuances. On a un autre sujet sur la question de l'Algérie, c'est celui d’Anita Pouchard Serra, Algérie(s), une mosaïque d’héritiers, où elle est allée à la rencontre de familles d'origine algérienne première et seconde génération, à Marseille, à Paris, pour comprendre un peu où elle en était, comment elle était, comment le lien avec leur pays d'origine était actif ou pas et comment les représenter. Nous avons aussi Les Maliens d’Évry : première génération née en France, de Patrick Zachmann, sur la seconde génération de Maliens vivant en France. Ce sont des sujets traités avec beaucoup de nuances et de sensibilité par les photographes qui sont vraiment allés à la rencontre de ces familles pour comprendre la complexité des liens, la complexité des rapports, de l'histoire, comment elle se répétait sur les générations à venir. Ils ont récolté beaucoup de paroles aussi. On a énormément d'entretiens. Pour le travail de Lynn S.K., il est possible de les écouter. Elle a tenu vraiment à ce qu’une partie des entretiens soit restituée dans l'exposition.

Dans Faire enfin partie de la France, Abdulmonam Eassa questionne le processus de devenir français. Aujourd’hui, devient-on autrement français qu’il y a 20 ans ?

Nous avons deux photographes issus de l'immigration récente. Abdulmonam Eassa a été naturalisé, donc c'est un sujet qui le touchait énormément. Il a souhaité suivre le parcours d'une dizaine de ces nouveaux naturalisés en les photographiant à la chambre. C'est une façon de mettre en majesté aussi ces personnes. Il a aussi suivi les cérémonies de naturalisation et il leur a surtout demandé manuscritement de raconter leur histoire, pourquoi c'était important pour eux de devenir Français. Il y a plein de raisons différentes : des réfugiés politiques, des réfugiés économiques…

« Douce France. L’accueil des réfugiés ukrainiens ». Série de Laurent van der Stockt, exposée dans « La France sous leurs yeux » à la Bibliothèque Nationale de France.
« Douce France. L’accueil des réfugiés ukrainiens ». Série de Laurent van der Stockt, exposée dans « La France sous leurs yeux » à la Bibliothèque Nationale de France. © Siegfried Forster / RFI

Un sujet s'est invité par l'actualité : Les nouveaux Russes de France de Patrick Wack. Qui sont ces nouveaux Russes ?

Patrick Wack s'est intéressé aux Russes refusant la politique de Poutine et s'installant migrants en France. Ce sont beaucoup d’intellectuels, d’artistes, de blogueurs, etc. Il a fait des portraits, les raisons de leur exil, les espaces dans lesquels ils s'étaient installés, comment ils avaient été accueillis. En contrepoint, on a mis le travail de Laurent Van der Stockt, Douce France. L’accueil des réfugiés ukrainiens. Il a travaillé sur la guerre en Ukraine, jonglant entre ses présences en Ukraine pour couvrir le conflit duquel il a ramené des images. Et à partir de là, il a dialogué avec des migrants venant de ces villes bombardées et qu’il a suivi en France. C'est une sorte de reportage croisé, représenté sous forme de diptyque.

Après avoir vu ces 2 000 photos et sélectionné le travail des 200 photographes qui ont parcouru la France, avez-vous aujourd’hui une image différente de la France ?

Je mesure sa complexité et surtout la totalité des regards. J'ai découvert énormément de réalités grâce à la grande commande. Le territoire de Mayotte, par exemple, avec le reportage de Bénédicte Kurzen, Mayotte, où vivent les esprits. Ou Les cadis de la République de Ludovic Carème [sur les cadis (« juges » en arabe) à Mayotte, NDLR]. Ce sont des réalités que les photographes m'ont appris à regarder et à comprendre. On a un portrait d'une France très multiple et en même temps unie autour de cette devise.

« Kama Diarra, 39 ans, et sa fille Malla, 4 ans ». Photo de Patrick Zachmann dans « Les Maliens d’Evry : première génération née en France », exposée dans « La France sous leurs yeux » à la Bibliothèque Nationale de France.
« Kama Diarra, 39 ans, et sa fille Malla, 4 ans ». Photo de Patrick Zachmann dans « Les Maliens d’Evry : première génération née en France », exposée dans « La France sous leurs yeux » à la Bibliothèque Nationale de France. © Siegfried Forster / RFI

► La France sous leurs yeux. 200 regards de photographes sur les années 2020. Exposition à la Bibliothèque Nationale de France, du 19 mars au 23 juin 2024.

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