Compétitivité, emprunts européens, marchés des capitaux…: Charles Michel balise les enjeux du prochain sommet européen
Les chefs d’État et de gouvernement des Vingt-sept se retrouveront la semaine prochaine pour un sommet européen spécial consacré à la compétitivité. Un sujet qui les préoccupe, au vu du retard pris par l’Union sur ses concurrents. Le président du Conseil européen a préfacé les enjeux de la réunion, auprès de quelques médias européens.
- Publié le 12-04-2024 à 06h41
Les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne se réuniront mercredi et jeudi prochain pour un sommet informel consacré à la compétitivité. Le président du Conseil européen, Charles Michel, a préfacé la réunion et ses enjeux, mercredi, lors d’une discussion avec un groupe de journalistes de divers médias européens, dont La Libre. Morceaux choisis.
Un contexte difficile, un recul européen marqué
Les Européens sont inquiets. Les économies de l’Union sont à la peine, en raison de divers facteurs : la féroce concurrence internationale, et celles des États-Unis et de la Chine ; les prix de l’énergie, “deux ou trois fois plus élevés” que dans d’autres parties du monde, alerte Charles Michel ; les conséquences de la guerre en Ukraine ; les dépendances de l’Union pour ses approvisionnements en énergie et matières premières stratégiques. L’heure est à l’action rapide et résolue pour tenter de redresser une compétitivité européenne en berne. Le sujet, notamment porté par la présidence belge du Conseil de l’Union et le Premier ministre De Croo, va squatter l’agenda européen.
Jeudi prochain, l’ancien Premier ministre italien Enrico Letta présentera son rapport sur l’avenir du marché intérieur, avant, que quelques semaines plus tard, son compatriote Mario Draghi, ancien président de la Banque centrale européenne et lui aussi ancien chef du gouvernement italien, ne présente le sien, sur la compétitivité.
”La vérité c’est que le marché intérieur a été négligé ces dernières années. Cela se voit. Quand on regarde les données aujourd’hui, par comparaison à ce qu’elles étaient il y a trois, quatre, cinq ans, on constate qu’un certain nombre de reculs sont enregistrés par comparaison avec nos concurrents ou nos partenaires. Ce n’est donc pas un hasard si les États membres et donc le Conseil tirent la sonnette d’alarme.”
À l’occasion du sommet des 17 et 18 avril, les dirigeants des Vingt-sept devraient approuver un New Deal pour la compétitivité européenne. Parmi ces éléments figure la volonté de renforcer le marché industriel ; celle de mener une politique industrielle forte, avec une vraie union de l’énergie, ainsi que la poursuite de la double transition verte et numérique. Autant de domaines qui vont réclamer “des investissements massifs”, rappelle le Belge.
La question des emprunts européens n’est pas mûre
Sur l’opportunité de relancer des emprunts communs, comme l’Union européenne l’a fait pour financer son plan de relance post-Covid de 800 milliards d’euros, la discussion est difficile. “Certains collègues y sont favorables, d’autres non”. Les réticences proviennent autant des craintes d’alourdir la barque budgétaire des États que de celle, pour certaines capitales, de franchir un nouveau pas vers davantage d’intégration européenne. “C’est un débat démocratique, avec de bons arguments intellectuels et politiques des deux côtés. À court terme, ce sera très difficile de trouver un accord. Cela ne veut pas dire que cela n’arrivera jamais. Je ne pense pas que le débat va se résoudre en deux Conseil européens. Cela prendra du temps. C’est pourquoi j’insiste sur le fait qu’il y a d’autres outils très puissants, peut-être plus que des Eurobonds.” Suivez son regard.
"Je suis en faveur des principes et des cadres, mais il faut que ce soit intelligent. Nous devons favoriser la liberté et laisser les entreprises faire ce à quoi elles sont les meilleures : faire du business”.
Réaliser, enfin, le marché des capitaux
”Il y a un moyen de mobiliser beaucoup d’argent pour alimenter l’économie européenne. Le montant de l’épargne représente 9 trillions d’euros, rien que dans la zone euro. Une partie de cet argent pourrait, et même devrait, être dirigée vers nos économies. Il existe une solution que nous connaissons depuis des années : c’est l’union du marché des capitaux. Il est temps d’agir et de ne plus se contenter d’en parler”. Voilà plus d’une décennie que les Européens promettent de progresser dans ce domaine, sans effet notable. “Il s’agit de sujets très techniques qui bloquent au niveau des ministres des Finances, de la Justice. Ça concerne des réglementations en lien avec les faillites, avec la supervision financière et bancaire. Mais je sens qu’il y a un nouvel état d’esprit qui se développe. Parce qu’on comprend bien qu’on ne peut pas à la fois avoir un débat difficile sur les eurobonds et ne pas commencer par ce qui devrait être le plus simple, c’est-à-dire harmoniser un minimum le marché des capitaux pour libérer la capacité pour nos entreprises d’aller chercher des leviers de financement”. Pour Charles Michel, ce serait préférable d’emprunter cette voie plutôt que celle de la course aux subventions pour concurrencer l’Inflation Reduction Act (IRA) américain, ce plan de 370 milliards de dollars qui finance la transition verte outre-Atlantique. “L’union des marchés des capitaux”, c’est l’IRA européen, défend-il.
Le président du Conseil européen estime encore que l’Union pourrait davantage utiliser la puissance de la Banque européenne d’investissement (BEI). “C’est la plus grande banque de développement du monde, plus grande encore que la Banque mondiale. Et elle peut générer un important effet de levier. Il y a quelques semaines, le Conseil européen a demandé que la BEI étende son mandat dans le domaine de la sécurité et de la défense. Je suis absolument persuadé, que tout ou tard, la question de la recapitalisation de la BEI (dont les actionnaires sont les États membres, NdlR) sera sur la table”.
”Moins de régulation, plus de liberté”
”Nous avons besoin d’une régulation plus intelligente. Je sais que c’est l’habitude des politiciens de réclamer une réduction des obligations administratives pour les entreprises”, glisse le Belge. “Mais on peut voir, ces dernières années, que la situation s’est détériorée au niveau européen dans ce domaine. J’observe que la Commission européenne partage ce constat parce qu’elle effectue des corrections et a pris certaines décisions ces dernières semaines”.
Actualité oblige, ces derniers temps, quand un politique européen veut mettre en évidence un problème européen, il prend l’exemple des agriculteurs. Charles Michel ne fait pas exception à la règle. “Dans mon ancienne circonscription, il y a beaucoup d’agriculteurs qui m’expliquent que leur métier est totalement différent de ce qu’il était il y a cinq ou dix ans, parce qu’ils sont devenus davantage des employés administratifs que des fermiers. Cela ne peut pas fonctionner comme ça, et c’est le cas dans de nombreux secteurs économiques”. Le libéral poursuit : “Il ne faut pas être tout le temps dans le principe de suspicion, mais plutôt dans le principe de confiance. Je suis en faveur des principes et des cadres, mais il faut que ce soit intelligent. Nous devons favoriser la liberté et laisser les entreprises faire ce à quoi elles sont les meilleures : faire du business”.
L’ancien Premier ministre belge poursuit avec l’exemple du Green deal, le gigantesque plan législatif de verdissement de l’économie et des sociétés européennes. “À juste titre, nous avons affirmé une ambition et avec d’autres et montré le chemin au reste du monde : c’est celui de la neutralité climatique (à l’horizon 2050, NdlR). Mais quand on parle aux industries, aux secteurs économiques, on constate que les régulations que l’on a mises en place nécessitent davantage de cohérence – il peut y avoir parfois des contradictions entre les législations. Il faut aussi avoir des capacités d’adaptation, en fonction des circonstances. Et enfin, il y a un point central sur lequel j’insiste : on doit beaucoup plus respecter la neutralité technologique. Il ne faut pas considérer qu’il y aurait de manière bureaucratique une technologie qui l’emporterait sur les autres.”