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Esport - Smash Bros - MkLeo : « Je devais me concentrer sur ma vie »

Leonardo « MkLeo » Lopez Perez a terminé n°1 cinq ans de suite, entre 2018 et 2022. (C. Boutrige/UFA)
Leonardo « MkLeo » Lopez Perez a terminé n°1 cinq ans de suite, entre 2018 et 2022. (C. Boutrige/UFA)

De passage en France pour une semaine de tournois, le Mexicain Leonardo « MkLeo » Lopez Perez, meilleur joueur de l'histoire de Super Smash Bros Ultimate, a accordé un long entretien à « L'Équipe », pour évoquer les récents bouleversements dans sa carrière et son parcours.

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Meilleur joueur de l'histoire et figure la plus connue de la scène Super Smash Bros Ultimate, Leonardo « MkLeo » Lopez Perez était de passage à Paris il y a deux semaines, pour disputer l'Ultimate Fighting Arena. Devant un public français séduit, il n'y a terminé qu'à la quatrième place. Une déception ? Pas tellement : cette année, la légende de l'ancien n°1 mondial a été un peu écaillée par des résultats loin de ses standards.

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De quoi ébranler le moral du premier joueur venu, mais pas le sien. Tout sourire, le Mexicain (22 ans) a quand même accepté, quelques jours après ce résultat, de s'épancher pendant plus d'une heure sur sa trajectoire. Celle d'un enfant des quartiers difficiles de Naucalpan de Juarez parvenu au sommet de son art, souhaitant désormais vivre pleinement.

« Ce mois-ci, vous avez disputé l'Ultimate Fighting Arena (Aubervilliers) et le Sunrise (à Hyères). En 2022, vous aviez déjà participé au Kings of Field (à Eaubonne) et au Colossel (à Lyon). Pourquoi est-ce que vous aimez autant les tournois Super Smash Bros Ultimate en France ?
C'est la quatrième fois que je viens déjà, toujours pour l'esport... C'est le pays, hors Amérique du Nord, que j'ai le plus visité. Je suis très ami avec Glutonny (William Belaïd, n°1 français et membre du top 10 mondial) et d'autres membres de la communauté et c'est un super endroit pour jouer à Smash. Sans fausse modestie, j'ai des fans partout, mais ici c'est vraiment marqué, c'est l'endroit le plus accueillant où j'ai joué. Je suis comme à la maison.

Vous avez terminé l'UFA à la quatrième place, le Sunrise à la neuvième... Des résultats à l'image de votre année 2023, sans victoire majeure depuis janvier. Comment est-ce que vous jugez vos performances récentes ?
En 2023, je ne me suis pas beaucoup entraîné, sans mentir. Je me suis concentré sur beaucoup de choses extérieures. Et franchement, pour mon temps de jeu, je trouve que je m'en sors admirablement bien. Mes résultats récents traduisent plutôt bien l'investissement que je mets dans Smash actuellement. Je pourrais être excédé si je me tuais à la tâche et que ça ne payait pas, mais ce n'est pas le cas. Évidemment, je peux faire beaucoup mieux. La meta (le style de jeu optimal du moment) a beaucoup changé, donc c'est dur pour moi de m'adapter, mais les tournois comme l'UFA m'ont aidé à réaliser beaucoup de choses.

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Vous avez beaucoup évoqué en interview ce changement de rythme de vie. En quoi consiste-t-il exactement ?
Ça fait longtemps que je n'ai pas consacré une session à améliorer un point précis ou que je n'ai pas lancé le mode d'entraînement. Maintenant, je dois tourner à 10 heures de Smash par semaine, alors qu'avant c'était plutôt 50 heures. C'est un choix que j'ai fait. J'ai eu quelques soucis personnels en mars, dans lesquels je ne veux pas rentrer en détail. Mais ça a été le moment où je me suis dit que je devais me concentrer sur ma vie.

Gagner ne change plus rien pour moi actuellement. J'aime toujours le jeu et je pense que j'aurais pu recommencer à m'entraîner à plein temps, mais ce n'était juste pas ce dont j'avais envie. Maintenant, les récents tournois m'ont redonné de la motivation. Ça fait un moment que je ne m'étais pas levé en ayant tout de suite envie de jouer à Smash. En 2024, ce sera peut-être le moment de revenir.

Comment avez-vous occupé ce temps libre supplémentaire ?
J'ai pris soin de moi. J'ai perdu beaucoup de poids, j'ai aussi eu quelques soucis de santé dont j'ai dû prendre soin. J'ai neuf chats dont je m'occupe au quotidien, une copine depuis un an et demi... Et j'ai enfin le temps d'avoir des hobbys. J'ai toujours voulu dessiner, je lis beaucoup plus. Quand j'allais encore à l'école, je voulais me spécialiser dans l'astrophysique. Même quand je suis devenu pro, j'avais toujours cette envie de reprendre les études et je pense que c'est peut-être quelque chose que je ferai à un moment dans ma vie. Mon plus grand rêve, c'est d'aller dans l'espace, donc je lis des choses là-dessus... Globalement, j'apprends beaucoup, sur moi et sur le monde, et je trouve ça formidable.

Est-ce que ce n'est pas quand même compliqué, quand on a été le meilleur joueur au monde comme vous, de perdre beaucoup plus ? Ça vous expose nécessairement à des critiques inédites...
Parfois, je suis agacé, je ne vais pas mentir. Parce que je sais que je pourrais faire mieux. Mais je vais être triste pour cinq, dix minutes, peut-être plus selon la manière dont j'ai perdu, puis je me dis que je ferai mieux la prochaine fois. Si des gens me critiquent, je regarde en arrière, tous les tournois que j'ai remportés... Personne ne peut me l'enlever. Les gens qui parlent de mes résultats ne connaissent que 10 % de ma vie, donc qu'est-ce que ça peut bien me faire ?

Depuis quelques mois, vous êtes assez loin de la place de n°1 mondial. Comment est-ce que l'écart s'est résorbé ?
Les autres se sont beaucoup améliorés, c'est tout. Mais aucun ne m'impressionne autant que Glutonny. Tous les autres, je me dis que si je m'entraîne, je gagne. Mais Glutonny est vraiment une inspiration. Quand je le vois, je me dis que c'est un tout autre niveau.

Vous n'êtes pas aussi impressionné par le Japonais Mashita « acola » Hayato ou votre compatriote Edgar « Sparg0 » Valdez, qui se disputent la place de n°1 mondial sur l'année ?
Non. Vraiment pas. Sparg0 est vraiment bon, bien sûr, mais pas à un tel niveau.

Vous avez parlé d'un changement de meta, auquel il allait falloir vous adapter. À quoi faisiez-vous référence ?
En ce moment, tout le monde joue pour le neutral et passe son temps à taper. C'est tellement différent de ce que nous faisions avant, où nous jouions lentement, en faisant attention à notre positionnement, en ne frappant qu'au moment opportun. Quand je vois Sparg0, Miya, Acola, j'ai l'impression qu'ils appuient sur tous leurs boutons et réagissent selon si leur coup touche ou pas. C'est pour ça que ce que font ces joueurs ne m'impressionne pas. Mais c'est comme ça que le jeu marche actuellement. Ça ne me pose pas de problème, il faut juste que j'apprenne.

Lorsque c'est vous qui étiez seul au-dessus de la mêlée, entre 2019 et 2022, quel était votre secret ?
(Il rigole)
Il n'y avait pas de secret. Mes plus grandes forces en tant que joueur, ce sont mon instinct et mes réactions. Je ne sais pas si je suis fou, ou si mon esprit marche différemment des autres, mais c'est comme si je voyais les choses au ralenti parfois. Je suis capable de choisir les bonnes options très vite. Quand je suis concentré à fond sur le jeu, rien d'autre n'existe et n'a d'importance. C'est comme si la salle était vide, que je jouais dans le néant.

Je pense aussi que je progresse très vite, c'est d'ailleurs pour ça que la légende de « game 4 Leo » existe (lorsqu'il est mené 0-2 et parvient à remporter la troisième manche, MkLeo est réputé pour ne jamais perdre la quatrième). Je suis assez fort pour repérer les habitudes de mes adversaires et une fois que j'ai compris quelque chose, j'arrive facilement à le reproduire. Mais je ne crois pas que je sois né pour jouer à Smash. Je pense juste que je suis très doué pour apprendre.

Vous avez souvent raconté que vos gains en tournoi vous avaient permis de sortir votre famille de la pauvreté. Est-ce que ça vous a aidé dans votre quête pour devenir le GOAT, le meilleur joueur de tous les temps ?
Évidemment. Parfois, quand je voyageais aux États-Unis ou au Canada, je n'avais pas l'argent pour le billet retour. J'allais au tournoi en espérant gagner pour pouvoir rentrer avec le cashprize. Si ça ne marchait pas, je devais rester sur place, faire des petits tournois en semaine jusqu'à récupérer assez pour revenir à la maison. Pour voyager, je devais demander de l'argent à mes amis, demander à mon frère d'aller à la banque... Nous étions vraiment pauvres à l'époque. Savoir que je pouvais changer ma vie, ça m'a donné de la force.

Comment était votre enfance au Mexique ?
J'ai grandi avec ma mère, mon grand frère et ma grande soeur, dans un quartier difficile de Naucalpan de Juarez (dans la banlieue de Mexico). C'est vraiment une ville de merde, très dangereuse. Quand nous étions à l'école primaire, nous nous faisions racketter tout le temps, à seulement deux coins de rue de la maison. Ma mère vendait des sucreries et des tamales (une spécialité mexicaine), qu'elle faisait elle-même. Nous gagnions notre argent en vendant des trucs. Mon frère vendait des films piratés, j'ai vendu du yaourt, des chips, dans la rue après l'école.

J'ai vite commencé à gagner des tournois sur Smash et sur Project M (un mode particulier de Super Smash Bros Brawl), où j'étais le meilleur joueur du Mexique, à 11 ans. Le plus d'argent que j'ai gagné à l'époque, ça devait être 300 dollars. Mais de là où je viens, c'est tellement d'argent ! Personne n'en avait autant. Ma vie a commencé à changer, je pouvais acheter à manger à ma famille et à mes amis. C'est là que je me suis dit que je devrais peut-être me concentrer sur ça. Tout le monde a tout de suite été partant. Qu'est-ce que je pouvais faire d'autre de toute façon ? Le Mexique n'est pas un pays où tu es assuré d'avoir un bon job si tu étudies. C'était le meilleur pari à prendre.

Comment est-ce que les jeux vidéo sont arrivés dans votre vie ?
Le premier jeu auquel j'ai joué, c'était Resident Evil 1 avec mon frère, chez moi. J'avais 4 ans. Je me souviens du jour où mon frère a acheté Super Smash Bros Bros Brawl (sorti en 2008), je venais de me faire opérer des amygdales. Il m'avait dit "Tu verras, quand tu rentreras à la maison, j'aurai un jeu pour toi". J'avais super mal et je pleurais, mais dès que j'ai mis la main sur le jeu, je me suis dit "Wow".

Beaucoup de très bons joueurs découvrent les tournois offline sur le tard. Ça n'a pas été votre cas : vos premiers résultats sont arrivés vite...
J'ai fait mon premier tournoi quand j'avais 7 ans. J'ai vite gagné ma première compétition, en double avec mon cousin Javi (Javier Balderas Perez, un top joueur mexicain), avec qui je jouais tout le temps à l'époque. Et la semaine d'après, j'ai gagné ce même tournoi mais en individuel, en le battant en finale. J'allais aux tournois avec ma famille. À Mexico, tout le monde la connaît, parce qu'ils sont très investis dans la scène Smash. Mon frère organisait des tournois. C'est de lui que vient le "MK" de mon pseudo d'ailleurs : il a été mon premier sponsor, avec un de ses magasins (appelé Monster Kingdom). Il me donnait ses bénéfices pour que je puisse voyager.

Il m'a permis, avec d'autres, d'aller aux États-Unis pour la première fois. Lorsque j'ai enfin obtenu mon visa, un organisateur de tournoi a payé pour me faire venir et les revenus de mon frère ont complété. J'ai fini dans les places payées et j'ai récupéré de l'argent tout de suite. Après, c'était parti. C'est devenu plus facile de voyager, d'autant que j'ai vite commencé à gagner. J'ai remporté des Majors, j'ai gagné le Genesis 4 (en janvier 2017, son premier gros titre). En trois mois, j'étais le deuxième meilleur joueur au monde. Puis j'ai été recruté par Echo Fox (un club américain, aujourd'hui disparu), qui m'a donné un salaire mensuel et c'est là que tout a changé.

C'est à ce moment que vous avez vraiment pu changer le quotidien de votre famille ?
Exactement. Lorsque je jouais uniquement au Mexique, je gagnais pas mal d'argent quand même, mais rien à voir avec la suite. Mon premier gain aux États-Unis, c'était 4 000 dollars. Pour quelqu'un de Naucalpan de Juarez, c'est trop d'argent. Je pense que les gens là-bas ne réalisent même pas à quel point c'est beaucoup. C'était fou, ça a changé ma vie.

Maintenant j'ai un appartement près du centre de Mexico, dans un coin très chouette. J'ai des sponsors, mon stream marche bien, mon YouTube aussi. Ma soeur a une boulangerie, mon frère a un magasin de mangas, je les ai aidés à se lancer, j'ai des business. Je peux ne plus rien faire pour le reste de ma vie.

Est-ce que vous gardez des objectifs, malgré tout, pour la suite de votre carrière ?
J'aimerais quand même revenir au top. Je sais que j'ai été le meilleur et personne ne me le prendra jamais, donc croyez-moi sur parole, je m'en fiche d'avoir marqué "n°1" à côté de mon nom. Mais je veux remporter à nouveau des tournois, retrouver cette sensation. Pour le reste, je veux juste prendre soin de ma famille, rester humble, passer du temps avec mes amis. Vivre ma vie. »

publié le 6 décembre 2023 à 18h45 mis à jour le 9 avril 2024 à 12h08
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