LES PLUS LUS
Publicité
Publicité

Ahmed Sylla : « Avant de mourir, mon père m’a dit qu’il était fier de moi »

Ahmed Sylla et Hakim Jemili sont à l'affiche de "Ici et là-bas".
Christophe Carrière , Mis à jour le

​À l’écran comme sur scène, l’humoriste Ahmed Sylla fait feu de tout bois. Rencontre avec un acteur heureux de son succès.

Son planning est aussi blindé que celui d’un dermatologue ou d’un ophtalmologue. Pour ses attachées de presse, organiser un rendez-vous avec Ahmed Sylla relève d’un casse-tête, à résoudre plusieurs mois à l’avance. C’est que le comédien est particulièrement accaparé par son nouveau spectacle, « Origami », qu’il ­présente dans toute la France. Et voilà que sort en salle « Ici et là-bas », de Ludovic Bernard, le réalisateur qui l’avait révélé en 2017 dans « L’ascension­ »…

Publicité
La suite après cette publicité

Si, il y a encore dix ans, on avait prédit à cet humoriste originaire de Nantes qu’il serait une vedette ­adulée du public, il aurait bien ri. Quoique, si on ne lui avait rien dit, il aurait aussi ri, puisqu’il se marre tout le temps et depuis toujours. Qu’on ne se méprenne pas. Ahmed Sylla n’est pas un ravi de la crèche. C’est un homme heureux qui préfère voir le verre à ­moitié plein – lequel n’est pas loin de déborder en ce moment. Tandis que ­l’hôtel où nous avons rendez-vous reçoit l’équipe de « Back to Black », le ­biopic sur Amy Winehouse, des badauds sur le trottoir nous confient attendre Ahmed. Alors qui est le plus populaire ?

 J’ai la chance de pouvoir choisir mes rôles 

Ahmed Sylla



Paris Match. Avec l’équipe de “Back to Black” dans les locaux et le succès que vous avez eu en Karine Le Marchand ou en Nabilla, on ­s’attendait à vous voir arriver déguisé en Amy Winehouse !
Ahmed Sylla.
C’est vrai que j’ai toujours adoré me mettre dans la peau d’une nana ! [Il rit.] D’ailleurs, je parle de ma part de féminité dans “Origami”, où j’avoue avoir épousé ma femme intérieure !​


À l’écran, vous vous déguisez aussi, mais dans un autre genre. Depuis quelque temps, vous semblez prendre plaisir à jouer des hommes très sérieux : avocat tiré à quatre épingles dans “Les femmes du square”, ou, aujourd’hui dans “Ici et là-bas”, un commercial aux dents longues…
J’ai la chance de pouvoir choisir mes rôles. Quand ça a commencé à marcher pour moi, j’avais deux options : enchaîner les comédies et encaisser beaucoup d’argent pour le peu de temps que ça durerait, ou construire une vraie carrière avec des films dont je serais fier, succès ou pas. Il n’y a pas un long-métrage que j’aie accepté sans avoir une bonne raison de le faire. Et j’essaie de varier les plaisirs : un drame émouvant comme “Un petit frère” de Léonor Serraille, une grosse comédie comme “Notre tout petit mariage”, de Frédéric Quiring, “Comme un prince”, d’Ali Marhyar, où je joue un boxeur déchu, ou “Ici et là-bas”, qui me permet de retrouver Ludovic Bernard.​

 Je n’ai pas honte de bien gagner ma vie. En France, c’est tabou de parler d’argent 

Ahmed Sylla


Ludovic Bernard, qui vous a fait exploser au cinéma avec “L’ascension”…
Il y avait dans ce film ce côté feel good, émouvant, social, qui m’a permis de montrer un peu de la palette de ce que je savais faire. Et ça a donné des idées aux cinéastes pour me confier d’autres personnages que celui de comique de service. Cela dit, c’est très dur de faire rire. Ça demande beaucoup d’énergie. Plus que de faire ­pleurer où, si on sait prendre un air triste, on ajoute de la musique, on laisse durer le plan, et on arrive à cueillir le spectateur. Il a quand même fallu que je fasse mes preuves. Pour “Un petit frère”, j’ai passé des essais, d’autant plus que Léonor Serraille ne voulait pas d’un acteur populaire. C’est la directrice de casting qui a insisté.​

La suite après cette publicité


Vous étiez sacrément motivé, car on peut imaginer que le cachet pour ce film ne devait pas être bien lourd…
Ah ! C’est sûr qu’on n’achète pas une piscine avec un rôle comme ça ! Si j’avais accepté tout ce qu’on m’a proposé après “L’ascension”, je serais très riche. Mais je serais peut-être aussi déjà hors-jeu, car j’aurais fini par soûler le public. Les choix du cœur sont plus payants.​

Il présente son nouveau spectacle, « Origami » tandis que sort en salle « Ici et là-bas », de Ludovic Bernard.
Il présente son nouveau spectacle, « Origami » tandis que sort en salle « Ici et là-bas », de Ludovic Bernard. © Rudy Waks


Lors de la polémique lancée par Blanche Gardin qui refusait d’être payée 200 000 euros pour une journée de tournage du programme “Lol” sur Prime Video, vous avez été le premier à avouer : “La vie de ma mère, demain, ils me proposent 200 000, je le fais !”
Je n’ai pas honte de bien gagner ma vie. En France, c’est tabou de parler d’argent. Je ne m’attendais pas à ce que cette histoire prenne autant d’ampleur. “Lol” est une émission qui se fait entre potes, où on se marre, où on est bien payé… Mais sur ces fameux cachets, n’oublions pas que la plupart des bénéficiaires, dont je fais partie, se trouvent dans les plus hautes tranches imposables. On est donc utiles à la société. Le point positif de cette polémique est qu’Amazon a augmenté les dons aux associations que les artistes représentent pour le show. Maintenant, que ce soit pour ça ou autre chose, je vous avoue que j’en ai un peu marre des polémiques pour tout et pour rien.​

 Ce que j’apprécie dans “Ici et là-bas”, c’est qu’on ne juge personne. À aucun moment, on est dans le militantisme 

Ahmed Sylla


Justement, le but d’“Ici et là-bas” n’est-il pas de calmer le jeu sur le débat identitaire ?
Mais oui ! Voilà quelques années qu’on est englués dans ce type de débat ainsi que dans plein d’autres, où un bad buzz chasse l’autre… Alors que, je le vois en tournée : les gens s’aiment. Vraiment. Ils ont envie de partage, de bonne humeur. Et ce que j’apprécie dans “Ici et là-bas”, c’est qu’on ne juge personne. À aucun moment, on est dans le militantisme. Ce film questionne l’identité. Comment se sent-on Français ? Doit-on renier ses origines, si elles sont étrangères, pour aimer la France ? La réponse est non. On va dire que je vis au pays des Bisounours, mais j’ose imaginer qu’un jour, on va arrêter de se mettre sur la gueule et de se diviser. Il va falloir beaucoup d’amour, de patience, mais on retrouvera la France des années 1990 où il y avait de la solidarité, avec l’apothéose de la Coupe du monde en 1998. Je n’avais que 8 ans, mais je m’en souviens comme si c’était hier : on se foutait de la religion ou de la couleur de peau de son voisin.​


Vos parents sont-ils fiers de votre réussite, et surtout votre père, qui n’était pas très chaud pour que vous vous lanciez dans cette voie ?
Mon père n’est plus là depuis 2018. Je me souviens de ce qu’il m’avait lâché un jour, alors qu’on était dans la cuisine : “Arrête tes conneries, s’il te plaît. Je préfère que tu fasses plombier ou un métier plus simple, plus sérieux.” Après, il a vu que ça marchait de mieux en mieux, mais le jour de l’avant-première de “L’ascension” à Nantes [ville où ses parents vivaient], il est parti à l’hôpital et n’en est jamais ressorti. Avant de mourir, il m’a dit qu’il était fier de moi. Ma mère, elle, est encore là et elle est ­tellement contente pour moi. Elle m’a toujours encouragé.

 Samba Kanté, producteur de spectacles, avait repéré une vidéo où j’imitais Nicolas Sarkozy 

Ahmed Sylla


C’est après la mort d’un de vos meilleurs amis que vous avez quitté la cité dans laquelle vous viviez à Nantes. Vous débarquez alors à Paris pour faire du stand-up, mais vous n’avez pas intégré l’émission “On n’demande qu’à en rire” tout de suite. Comment vous êtes-vous débrouillé ?
Samba Kanté, producteur de spectacles, avait repéré une vidéo où j’imitais Nicolas Sarkozy. Il m’appelle pour que je participe à une de ses “scènes libres”, le Samba Show, au Casino de Paris et aux Folies Bergère. Je venais d’être viré de mon BTS de commerce international, je ne savais pas du tout ce que je voulais faire de ma vie et je commençais à avoir de mauvaises fréquentations. Je me suis dit : “Allez ! J’y vais !” Et puis ça marche. Je fais rire. Je l’avais toujours fait avec ma famille, les gens de mon quartier, à l’école, mais là, c’est professionnel. La scène me plaît. J’écrivais mes sketchs au fur et à mesure pour le Samba Show, qui se ­déroulait tous les trois ou quatre mois.​


À raison de quatre représentations par an, vous deviez mourir de faim, non ?
De fou ! C’était très compliqué. J’ai même failli ­repartir à Nantes. Le pote qui m’hébergeait, le chanteur Moussier Tombola, allait vivre avec sa compagne, et je n’avais pas les moyens de payer un loyer à Paris. Heureusement, un copain au Blanc-Mesnil avait une chambre pour moi. “On n’demande qu’à en rire” venait de boucler sa première saison. J’ai insisté auprès de Samba pour qu’il me place sur la deuxième. Ça a marché. Et puis j’ai décroché un rôle récurrent dans la série “Alice Nevers, le juge est une femme”… C’était parti.​

 Au poker, les émotions qu’on éprouve sont indescriptibles. Et on apprend beaucoup sur soi 

Ahmed Sylla


Vous n’avez pas eu recours au poker pour boucler vos fins de mois, car on dit que vous jouez très bien ?
Non ! Ma passion pour le poker est malheureusement arrivée bien trop tôt : à 18 ans, et j’ai commencé à dilapider mes premiers salaires en jouant comme un pied. J’ai très vite arrêté. Bien plus tard, j’ai découvert les tournois, et là, un truc s’est allumé dans ma tête. Je pouvais contrôler ce que je dépensais. Ce que j’adore dans le poker, c’est analyser les joueurs, scanner leur comportement, avoir une maîtrise de soi… Les émotions qu’on éprouve sont indescriptibles. Et on apprend beaucoup sur soi.​


Et qu’avez-vous appris sur vous ?
Ça apprend à se maîtriser, à se faire confiance… Il y a également une forme de spiritualité dans le contrôle de son corps, de son âme même. Le moindre geste que vous faites à une table de poker peut vous trahir. Votre pire ennemi à ce jeu, c’est vous-même. D’où l’importance de se connaître et de se maîtriser.​

 Je me nourris des gens que je rencontre, de la vie, de tout 

Ahmed Sylla


Vous répétez à l’envi que vous avez été bercé par Raymond Devos, Louis de Funès et Coluche.
Ce sont les premières personnes qui m’ont fait rire à la télé. Ça remonte aux années 1990, on en était encore au poste à tube cathodique, la petite lucarne, comme on dit ! Jamel Debbouze, Florence Foresti et les autres n’étaient pas là ! C’était des rediffusions mais je regardais ça avec ma mère et on riait tellement. Personne n’a jamais mieux joué avec la langue française que Raymond Devos. C’était son talent, sa singularité.​


Et vous, c’est quoi votre singularité ?
Interpréter des personnages sans les caricaturer. Je fais partie de cette niche d’humoristes qui se fondent dans plein de personnes différentes : vieux, jeunes, hommes, femmes… Je grossis les traits bien sûr, mais ça reste authentique. Enfin, j’espère. Je me nourris des gens que je rencontre, de la vie, de tout. Et comme je suis de nature très optimiste, même quand il y a des moments un peu plus sombres, et Dieu sait qu’il y en a actuellement, je me dirige tout de suite vers le positif parce que j’aime les gens, j’aime ce qui m’entoure. Je vous promets que c’est vrai : il m’arrive de regarder le ciel ou un parterre de fleurs et d’être en arrêt à m’extasier devant tant de beauté.​

 Ce que je pense, on s’en fout. Quand je vais sur l’Instagram de Beyoncé, je me moque de savoir si elle est végane ou pas 

Ahmed Sylla


Ce n’est pas pour autant que vous en posterez une photo sur votre compte Instagram, qui ne contient quasiment que des gags !
J’ai compris que les réseaux sociaux ne devaient servir, en tout cas pour ma part, qu’à relier le public à mon travail. Ce que je pense, on s’en fout. Quand je vais sur l’Instagram de Beyoncé, je me moque de savoir si elle est végane ou pas. Pour avoir un avis, une opinion ou une info, je vais sur le compte de celles et ceux dont c’est le métier : politiques, philosophes, etc. Je n’ai pas envie de soûler les gens en donnant mon avis sur tout et n’importe quoi. Pourquoi mon avis serait-il plus intéressant que celui de mon boulanger ? Mon opinion, je la livre à travers mon travail, les films que je choisis… Je parle du féminicide dans mon dernier spectacle, “Ici et là-bas” aborde le débat identitaire… Je veux que les gens sortent de mes spectacles ou des films dans lesquels je joue avec un truc en plus. Qu’ils n’aient pas fait que rigoler. 

«ICI ET LÀ-BAS» De Ludovic Bernard Avec Ahmed Sylla, Hakim Jemili, Hugo Becker…

Dans « Ici et là-bas » de Ludovic Bernard.
Dans « Ici et là-bas » de Ludovic Bernard. © DR

« Ici et là-bas » raconte l’histoire de deux hommes qui ne se voient nulle part ailleurs que là où ils se trouvent. D’un côté, Adrien (Hakim Jemili) vit au Sénégal depuis quinze ans avec son amoureuse qui va accoucher, mais il est renvoyé en France faute de visa. De l’autre, Sekou (Ahmed Sylla) vit en France avec femme et enfant et, commercial pour une grosse société englobant des produits du terroir, est envoyé à travers l’Hexagone pour démarcher des clients qui ne l’ont jamais vu – et qui ignorent qu’il est noir. La compagne d’Adrien étant une cousine éloignée de Sekou, celui-ci doit aider le « sans-papiers » à rentrer « chez lui ». Astucieux postulat pour aborder la crise identitaire qui secoue actuellement notre pays à travers une valeur sûre de la comédie : un tandem antagoniste où chacun a beaucoup à apprendre de l’autre. La prime qualité de ce long-métrage est de ne pas chercher à prêcher des convaincus, mais d’insuffler réflexion et apaisement avec humour et bienveillance. Ça fait du bien.

Contenus sponsorisés

Publicité