Affaire Fourniret. L'ancien procureur du Havre raconte sa "rencontre avec le mal"

Francis Nachbar, avocat général au procès Fourniret-Olivier puis procureur au Havre jusqu'en 2015, raconte sa "rencontre avec le mal" dans un livre qu'il dédicacera samedi 16 mars.

L'ancien magistrat Francis Nachbar, avocat général au procès Fourniret en 2008, présentera son livre sur l'affaire,
L’ancien magistrat Francis Nachbar, avocat général au procès Fourniret en 2008, présentera son livre sur l’affaire, « Ma rencontre avec le mal », le samedi 16 mars 2024, au magasin Cultura à Montivilliers. (©DR)
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Dans le livre Ma rencontre avec le mal publié en novembre 2023 chez Mareuil Éditions, Francis Nachar, ancien procureur du Havre (Seine-Maritime) entre 2008 et 2015, avant cela avocat général au procès de Michel Fourniret et Monique Olivier en 2008, revient en détails sur chaque étape de cette « affaire hors norme », et ce jusqu’au verdict.

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Il sera présent ce samedi 16 mars 2024, de 9 h à 18 h, à la librairie Cultura à Montivilliers pour dédicacer son ouvrage. Il y donnera par ailleurs une conférence de 9 heures à 10 heures.

Fourniret ne s'était pas trompé, je n'en suis pas sorti indemne

Francis NachbarAvocat général au procès Fourniret en 2008 et ancien procureur au Havre

Actu : Vous avez été nommé procureur de Charleville-Mézières en janvier 2023, quelques mois seulement avant l'arrestation de Michel Fourniret. Vous étiez avocat général lors de son procès et celui de Monique Olivier qui s'est tenu en 2008 devant la cour d'Assises. Comme avez-vous vécu cette affaire ?

Francis Nachbar : C'est une affaire qu'on n'avait jamais connue et que j'espère on ne connaîtra plus jamais. Un couple tueur en série avec autant de meurtres à son actif, d'une perversité telle. C'est tout à fait monstrueux.
Je l'ai vécue comme décrit dans mon livre, et comme me l'avait dit d'ailleurs Fourniret dès le premier jour où on s'est rencontrés. Il m'avait dit "vous savez monsieur le procureur vous allez l'air volontaire, équilibré, mais de l'affaire Fourniret" - c'est comme ça qu'il parlait - "personne n'en sortira indemne".
Sur le coup, j'avais mis ça sur le compte de sa mégalomanie délirante mais je me suis aperçu assez rapidement qu'il ne s'était pas trompé. Mais mon traumatisme est bien peu de chose par rapport naturellement à la douleur, à la tragédie qu'ont vécues les victimes et leurs familles.

« Je ne regrette pas ce terme de monstre »

Vous avez utilisé le terme de monstres pour les qualifier, des propos qui vous ont été reprochés...

F. N. : Je ne regrette absolument pas ce terme. J'ai 41 ans de carrière. J'ai connu beaucoup d'affaires criminelles. J'ai toujours trouvé chez les pires criminels, à un moment au moins, même de manière fugace, quelque chose d'humain. Chez Fourniret et Olivier, il n'y a véritablement rien d'humain.
Un psychiatre disait que Fourniret éradiquait le genre humain, c'est l'expression qu'il utilisait. Effectivement, ils ne sont pas monstrueux au sens physique du terme mais au sens de leur perversité, de leur méchanceté, de leur cruauté, de la manière dont ils racontaient leurs crimes, les mises à mort de ces petites filles, jeunes filles, jeunes femmes. Il n'y a aucun sentiment d'humanité.

« J’avais deux obsessions »

Pourquoi avoir écrit ce livre près de 15 ans après le procès ?

F. N. : Au sortir du procès d'Assises en 2008, cela faisait quatre ans que je tenais à bras le corps cette affaire dans laquelle je m'étais investi totalement, car j'avais une double obsession. En réalité, je voulais retrouver le corps de toutes leurs victimes qu'ils ont avouées. Grâce à mon entêtement, on en a quand même retrouvé trois.
Et une deuxième obsession que j'avais, c'était d'identifier le plus possible des victimes de ce couple, au cours de 15 ans de parcours criminel.
En 2008, j'ai été nommé procureur de la République au Havre et là je me suis totalement investi dans ces fonctions passionnantes avec une activité pénale importante, et c'était trop tôt pour écrire ce livre.

« Il me testait aussi de manière horrible »

Vous avez passé plus d'une centaine d'heures à parler avec Michel Fourniret, comment avez-vous fait pour dépasser l'horreur des faits ?

F. N. : J'ai passé des jours et même quasiment des nuits complètes à discuter avec lui en interrogatoires diligentés par les autorités belges, mais c'était surtout les conversations informelles que je pouvais avoir lui qui étaient intéressantes.
J'ai pris sur moi de l'écouter et ça m'a coûté beaucoup. C'est aussi une partie du traumatisme que j'ai pu subir. Il était flatté qu'un procureur s'adresse à lui sans répulsion, sans colère. Parler à la fois de son travail d'écriture, de sa condition ouvrière dont il était très fier. Je l'écoutais et en même temps j'essayais évidemment d'avoir des indices, des éléments. C'est là qu'il me testait aussi de manière horrible. Quand il me racontait les derniers instants d'une petite fille qu'il étouffait dans un sac plastique transparent, il fallait prendre sur soi, l'écouter avec la même froideur que celle qu'il utilisait en racontant ses détails absolument terribles.
Si je n'avais pas fait, je serai passé pour un faible à ses yeux et j'aurais mis encore quelques mois avant de pouvoir récupérer la situation. Et effectivement, il y a eu quelques éléments qui nous ont permis d'obtenir des résultats très positifs.

Et toujours dans le souci de pouvoir donner des réponses aux familles...

F. N. : Toujours. C'est cette obsession qui me tenait. C'est aussi une des raisons pour lesquelles je reste très affecté par cette affaire, c'est que je revois encore aujourd'hui les visages des familles, des victimes. Il y avait une telle dignité et en même temps une telle détresse.

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Dans le livre, vous racontez en détails chaque agression, chaque meurtre... n'est-ce pas difficile pour elles ?

F. N. : J'ai bien conscience, qu'en écrivant ce livre, je ravive en quelque sorte les douleurs des victimes mais j'ai toujours pris la précaution de rien ajouter de plus que ce qu'elles avaient lu ou entendu.

« Ils ne se sont jamais arrêtés pendant dix ans »

Depuis 2008, Monique Olivier a de nouveau été condamnée à la réclusion à perpétuité, fin 2023, pour complicité dans trois meurtres commis par Michel Fourniret.

F. N. : Pour Marie-Angèle Domèce et Joanna Parrish, on avait commencé à s'y intéresser et à en parler avec Fourniret. Pour Estelle Mouzin, je n'ai jamais connu ce dossier car il était inscrit à Meaux mais la manière dont Fourniret m'en parlait, j'ai rapidement été convaincu de sa culpabilité.
À tel point qu'en 2006, j'ai envoyé un courrier de trois pages au ministère de la Justice. Ce courrier a été totalement ignoré j'imagine puisque moi je n'en ai pas eu de nouvelles et il a fallu attendre 2019 et les aveux de Fourniret et Olivier pour enfin envoyer uniquement Monique Olivier - car Michel Fourniret était décédé [NDLR : il est mort en 2021] devant une cour d'Assises et la faire condamner à perpétuité.

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Par ailleurs, Monique Olivier a été entendue début mars 2024 au sujet de la disparition de Lydie Logé dans l'Orne en 1993. Pensez-vous que le couple a fait d'autres victimes ?

F. N. : Dans mon livre, je parle de cette fameuse période blanche et qui est tout sauf blanche car je dénombre quand même 17 faits et il y en a pas loin d'une vingtaine à mon avis qui sont soit des meurtres identifiés, soit des tentatives, soit des projets qui n'ont pas abouti. Ils ne se sont jamais arrêté pendant dix ans.
Fourniret m'a dit "vous savez monsieur le procureur, je partais à la chasse deux fois par an" - c'est comme ça qu'il appelait ces activités criminelles - "c'était très rare que je revienne bredouille". Lui-même a envoyé un tableau à un ancien co-détenu avec 35 cases...

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Vous avez été nommé procureur de la République au Havre entre 2008 et 2015, que retenez-vous de cette période ?

F. N. : C'est pour moi le poste de procureur de la République le plus passionnant que j'ai exercé en 41 ans parce qu'il y avait une activité pénale importante, un grand port, parce qu'on travaillait en étroite collaboration avec la mairie, la sous-préfecture, le rectorat... On faisait vraiment des réunions très précises tous les 15 jours. Il y avait une co-production en matière de lutte contre la délinquance et de prévention de la délinquance qui était remarquable. On a obtenu des résultats positifs dans une ville qui n'est pas forcément facile à gérer sur le plan de la sécurité.
Il y a eu des affaires marquantes... Je ne me suis pas ennuyé !
C'est une expérience passionnante dans une ville que mon épouse et moi avons beaucoup apprécié pendant sept ans, à la fois l'architecture que nous trouvons très belle et le qualité de l'accueil car les Havrais sont des gens particulièrement hospitaliers.

Infos pratiques :
« Ma rencontre avec le mal » (Mareuil Éditions) de Francis Nachbar, 180 pages, 20 euros.

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