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François Pinault : « Je suis toujours passionné par la découverte de nouveaux talents »

Francois Pinault pose devant Les nouvelles oeuvres de la fondation Pinault exposes lors de l'exposition Le monde comme il va a la Bourse de Commerce. Paris, FRANCE-15/03/2024
Dans la rotonde de la Bourse de commerce, où l’artiste coréenne Kimsooja a installé son œuvre «To Breathe – Constellation», 2024. Paris, le 19 mars. © Vincent Capman / Paris Match
Par Marie-Laure Delorme , Mis à jour le

À la Bourse de commerce, le collectionneur passionné expose des œuvres inédites et engagées. Son trésor rassemblerait plus de 10 000 pièces. Installées à la Bourse de commerce, quelques-unes d’entre elles composent jusqu’au 2 septembre « Le monde comme il va », radioscopie à vif de notre société.

Pense-t-il parfois au tableau de Paul Sérusier, acheté en 1972 ? Depuis son coup de cœur d’amateur, ­François Pinault est devenu l’un des plus grands collectionneurs au monde. Ses goûts se sont portés vers la radicalité et le minimalisme. Il a bâti, au début des années 1990, une collection d’art moderne et contemporain, et mis en chantier la construction, à Venise, du Palazzo Grassi et de la Punta della Dogana, ouverts respectivement en 2006 et 2009. La Bourse de commerce, au centre de Paris, dans le quartier des Halles, a été inaugurée en 2021. Les aménagements ont, à chaque fois, été conçus par l’architecte japonais Tadao Ando.

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 L’art nous élève au-dessus des limites des certitudes et des préjugés. C’est le chemin vers la liberté 

François Pinault

La collection de l’homme d’affaires compte plus de 10 000 œuvres et 600 artistes. ­François Pinault nous confie : « L’art nous élève au-dessus des limites des certitudes et des préjugés. C’est le chemin vers la liberté. » Il a fait toute confiance, pour « Le monde comme il va », au ­commissaire Jean-Marie Gallais. L’exposition ­s’appuie uniquement sur les ressources artistiques de la collection Pinault. La moitié des œuvres est exposée pour la première fois. Un exemple parmi d’autres : on ne savait pas que la « Lanterne pour ivrogne », de ­l’Allemand Martin Kippenberger (1953-1997), faisait partie de sa collection.

Les nouvelles oeuvres de la fondation Pinault exposes lors de l'exposition Le monde comme il va a la Bouirse de Commerce. Paris, FRANCE-15/03/2024
«Balloon Dog (Magenta) », 1994-2000 et «Moon (Light Blue) », 1995-2000, Jeff Koons. Paris Match / © Vincent Capman


« Le monde comme il va » emprunte son titre à un conte de Voltaire. La collection dessine la volonté de François Pinault de témoigner, de manière engagée, des évolutions souterraines de la société. Révolte contre l’injustice, luttes raciales, émancipation des femmes, combats contre ­l’homophobie, préoccupations écologiques. À travers ses déclinaisons et ses inclinations, François Pinault se montre, à 87 ans, anticonformiste, tolérant, provocateur. Fidèle. L’homme d’affaires précise : « S’agissant de la collection, je parlerai davantage de compagnonnage avec les artistes. Il y a des artistes que je suis depuis longtemps, comme David Hammons ou Marlene Dumas pour ne citer qu’eux. Dans le même temps, je suis toujours passionné par la découverte de nouveaux talents. »

Figures célèbres et artistes méconnus

Les pièces sont choisies à l’enthousiasme. Le fils de paysans ­bretons devenu milliardaire privilégie le contact singulier et sensible au discours théorique et intellectuel. Il faut suivre le chemin de l’émotion pour pénétrer dans le cœur de ses œuvres. Sa préoccupation du grand public est constante. Dans « Le monde comme il va », on se confronte à des figures célèbres (Maurizio Cattelan, Damien Hirst, Jeff Koons, Cindy Sherman…) et à des artistes méconnus (Anne Imhof, ­Mohammed Sami, Pol Taburet, Salman Toor…).

Les nouvelles oeuvres de la fondation Pinault exposes lors de l'exposition Le monde comme il va a la Bouirse de Commerce. Paris, FRANCE-15/03/2024
«Untitled », Maurizio Cattelan, 1998. Paris Match / © Vincent Capman

Le regardeur peut observer aussi bien « Balloon Dog » de la série « Celebration » de l’Américain Jeff Koons (né en 1955), représentant un ballon en forme de chien, que « Dino », la ­Ferrari rouge accidentée sur un socle blanc du Français Bertrand Lavier (né en 1949). La Coréenne Kimsooja (née en 1957) a créé une nouvelle installation dans la rotonde du musée. Elle est un vertige. Les artistes nous font comprendre notre environnement : son instabilité, son impermanence.

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Chaque visiteur ressent ses propres émotions et irritations


Parmi la centaine de pièces, principalement réalisées entre les années 1980 et aujourd’hui, chaque visiteur ressent ses propres émotions et irritations. Le peintre Mohammed Sami, né à Bagdad en 1984, a immigré en Suède, en 2007, avant de s’installer à Londres. Son tableau « One Thousand and One Nights » stupéfie par sa poésie et sa noirceur. Est-on dans une légende orientale ou en pleine guerre ? Les missiles ont remplacé les missives. Des fantômes flottent dans un ciel coloré comme pour nous rappeler qu’il n’y a aucun salut à attendre de l’au-delà. Le vert ne ­charrie pas l’espoir. Le bleu ne délivre aucun apaisement.

Les nouvelles oeuvres de la fondation Pinault exposes lors de l'exposition Le monde comme il va a la Bouirse de Commerce. Paris, FRANCE-15/03/2024
«Him», Maurizio Cattelan, 2001. Paris Match / © Vincent Capman

Les artistes chinois Sun Yuan et Peng Yu (nés respectivement en 1972 et 1974) parodient une séance au Conseil de sécurité de l’Onu. Le duo montre des vieillards de cire assoupis dans des chaises roulantes automatisées. On est terrifié à l’idée que le sort de l’humanité dépende de leurs ­cerveaux séniles. Ils ne se parlent pas, ils ne se regardent pas. Ils sont dans l’incapacité d’agir et d’interagir.

L’exposition revendique la provocation

« Tabula Rasa » est une série de sculptures de la Colombienne Doris Salcedo (née en 1958). La plasticienne rend compte des morts, des viols, des disparitions. Une œuvre bouleversante. L’artiste a pulvérisé une table, avant de la faire reconstruire par des architectes. Elle a été recollée morceau par morceau. Des tiges d’acier ont été incorporées à la structure de la table afin de la stabiliser. Peut-on réellement être réparé après avoir subi un traumatisme ? Les blessures persistent et on les voit à l’œil nu. L’artiste dénonce la violence quotidienne des vies dans des pays comme la Colombie.

Les nouvelles oeuvres de la fondation Pinault exposes lors de l'exposition Le monde comme il va a la Bouirse de Commerce. Paris, FRANCE-15/03/2024
«Dino », Bertrand Lavier, 1993. Au mur, «Untitled », Anne Imhof, 2022. Paris Match / © Vincent Capman


Salman Toor, Pakistanais naturalisé américain, né en 1983, a peint dans « Ghost Ball » des clowns, des arlequins, des marionnettes. Ils tourbillonnent, jusqu’à faire du voguing, sur un fond vert inquiétant. Ils s’aiment, se cachent, s’exhibent. N’ont-ils pas peur de tomber ? Ne voient-ils pas la tête de mort dissimulée ? Dans une époque marquée par un retour au puritanisme, l’exposition revendique la provocation. Le ­collectif ­d’artistes canadiens ­General Idea (1969-1994) – Felix Partz, Jorge Zontal et AA Bronson – s’affiche serré dans un lit avec de faux airs d’enfants sages.

L’arme de l’humour pour parasiter les codes et les clichés

La collection laisse une large place à la peinture figurative, plus évidente à ­appréhender que l’art conceptuel. La grande artiste sud-africaine Marlene Dumas (née en 1953) a conçu « Losing (her meaning) », où elle s’interroge sur la manière dont on donne à voir le corps féminin. On est ici confronté à une masse sans visage, enfouie dans les eaux. L’Allemande Rosemarie Trockel (née en 1952) transforme des plaques chauffantes en un tableau abstrait et conceptuel adoptant la couleur genrée des tâches domestiques. Des artistes utilisent l’arme de l’humour, de l’ironie pour parasiter les codes et les clichés.

Les nouvelles oeuvres de la fondation Pinault exposes lors de l'exposition Le monde comme il va a la Bouirse de Commerce. Paris, FRANCE-15/03/2024
«Old People’s Home », Sun Yuan et Peng Yu, 2007. Paris Match / © Vincent Capman


Quelle histoire ont souhaité raconter le collectionneur François Pinault et le commissaire Jean-Marie Gallais ? Ils ont donné la parole à des œuvres ancrées dans le temps et, après la tragédie du 7 octobre 2023, acté que les hommes n’en auront jamais fini avec la folie meurtrière. L’art engagé a été préféré à l’art minimal. Le corps nié, libéré, exploité, dévasté, soigné, aimé est omniprésent. « Le monde comme il va » est sans doute l’une des expositions les plus politiques de François Pinault. Comme s’il y avait urgence.

Les nouvelles oeuvres de la fondation Pinault exposes lors de l'exposition Le monde comme il va a la Bouirse de Commerce. Paris, FRANCE-15/03/2024
«To Breathe – Constellation », de Kimsooja, accueille les visiteurs dans la rotonde. Paris Match / © Vincent Capman

Le regardeur ne s’arrête pas pour contempler mais pour comprendre. Les œuvres parlent de l’instabilité, de la difficile acceptation de l’autre, de l’inattendu. François Pinault revendique la défense de certaines valeurs : « Il y a dans ma collection des lignes de force qui expriment les questions qui me taraudent ; celle du temps qui passe, celle de la vanité des choses, celle de la violence. »

Éviter l’avenir du pire et le pire de l’avenir

Toutes préoccupations rassemblées dans « Zirkusfiguren » de l’Allemand Sigmar Polke (1941-2010). Cet enfant de la guerre sait que nous vivons dans un théâtre d’ombres, où l’équilibre reste une illusion dangereuse. De quoi le monde de demain sera-t-il fait ? Les femmes des années 1920 et 1930 de la photographe américaine Cindy Sherman (née en 1954) sont enfermées dans les corsets de leur époque comme autant de clichés. Figures grotesques et touchantes. Elles ne voient rien venir. Les artistes sont souvent doués de prémonition et montrent du doigt notre aveuglement.

Les nouvelles oeuvres de la fondation Pinault exposes lors de l'exposition Le monde comme il va a la Bouirse de Commerce. Paris, FRANCE-15/03/2024
«One Thousand and One Night », Mohammed Samir, 2022. Paris Match / © Vincent Capman


On entre dans la Bourse de commerce. Les pigeons migrateurs de Maurizio Cattelan (né en 1960) nous y attendent en nombre et brisent en miettes l’idée que l’on pénètre dans un temple sacré. Un vautour placé dans l’encadrement d’une fenêtre intérieure du musée examine les visiteurs. Il est fait de fibres de verre, de silicone, de plumes. L’oiseau de Sun Yuan et Peng Yu symbolise la vanité et la cruauté de ­l’expérience humaine. Les hommes vivent à la merci des charognards, sans pour autant ralentir leur course vers le vide. On passe son chemin en toute fragilité et la beauté de l’art semble d’autant plus éclairante.

Les nouvelles oeuvres de la fondation Pinault exposes lors de l'exposition Le monde comme il va a la Bouirse de Commerce. Paris, FRANCE-15/03/2024
Vérification du bon emplacement d’une œuvre signée Kimsooja. Paris Match / © Vincent Capman

« ­Eternity », du Belge Luc Tuymans (né en 1958), pourrait être l’œuvre métonymique du « Monde comme il va ». Une joyeuse boule orange de loin ; une bombe à hydrogène de près. C’est toute la force de ­l’exposition. Elle nous enjoint à regarder, observer, penser pour éviter l’avenir du pire et le pire de l’avenir.

Un tableau talisman

Comment garder un point fixe et ne pas se laisser emporter par le flux ? Dans la performance vidéo « A Needle Woman », ­Kimsooja est filmée de dos, aux quatre coins du monde, immobile parmi une multitude de gens. Elle est avec la foule et sans la foule. La fidélité peut être une ancre dans la mer. François Pinault conserve chez lui « Cour de ferme en Bretagne » de Paul ­Sérusier. Le tableau est devenu son talisman. C’est avec lui que tout a commencé.

« Le monde comme il va », Bourse de Commerce-Pinault Collection, Paris Ier, jusqu’au 2 septembre. boursedecommerce.fr.

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