L’abonnement à l’Humanité que vous ne regretterez jamais !

J'en profite

Histoire. Pestes, fièvres, et religion... Quand l'opium du peuple se repait des pandémies.

Depuis l’Antiquité, les peurs liées aux épidémies génèrent des flambées d’exaltation religieuse. Opium du peuple quand tu nous tiens…

Châtiments divins ou signes annonciateurs de la fin des temps, les grandes épidémies furent dès l’Antiquité tenues pour des fatalités relevant d’un ordre surnaturel. Pestilentia romaine et loimos grec venaient pour les anciens signaler une faute commise à la guerre ou dans la cité : le fléau manifestait un désordre dans le rapport que la communauté des hommes entretenait avec son panthéon. Hippocrate de Cos (au IVe siècle av. J.-C.) puis à sa suite Galien de Pergame (au IIe siècle), illustres médecins grecs de leurs temps, l’un exerçant en Thessalie, le second à Rome, voyaient tous deux dans la « peste » une manifestation de la colère des dieux.

Contemporain d’Hippocrate, Sophocle la mit ainsi en scène dans sa tragédie « Œdipe roi », en faisant de l’assassinat de Laïos par Œdipe l’origine du fléau ravageant Thèbes. D’où les invocations des prêtres à Apollon (« Que Phébus, qui nous a dépêché ses oracles, / vienne en sauveur mettre fin à ce mal ») et les lamentations du chœur implorant Athéna, fille de Zeus. À la même époque, loin de tout mysticisme, Thucydide constatait au contraire, dans son « Histoire de la guerre du Péloponnèse », les désordres semés par la grande peste d’Athènes (qui fut plus sûrement une épidémie de typhus ou de fièvre typhoïde) : les oracles impuissants devant le mal, l’hécatombe des populations réfugiées dans les temples, les comportements de débauche et de sacrilège encouragés par le chaos.

Plus tard, les deux premières grandes pandémies de Yersinia pestis, la peste de Justinien, partie en 541 du port égyptien de Péluse, et celle qui débuta à la fin des années 1330 en Asie centrale donnèrent lieu à des flambées d’exaltation religieuse autrement plus irrationnelles. Si le médecin persan Avicenne pressentit dès le début du XIe siècle dans son « Qanûn » le rôle des rats dans la propagation de la maladie (« Et, parmi ces signes annonciateurs, tu vois des rats fuir vers la surface et souffrir »), on ignorait encore tout du principe de la contagion et des moyens de s’en préserver. Aussi cherchait-on à conjurer le sort par de vains procédés magico-religieux, de prières en élixirs, d’amulettes en phylactères. Peu avant que la maladie ne l’emporte à Alep, en 1349, Ibn Al Wardi se désespérait de la mort semée par la peste dans les murs de Jérusalem : « Elle saisit le peuple qui cherchait refuge dans la mosquée al-Aqsa près du Dôme du Rocher. Si la porte de la miséricorde ne s’était pas ouverte alors, la fin du monde serait survenue à ce moment. »

Les mêmes visions d’apocalypse hantaient au même moment l’Occident chrétien, toujours habité par les fièvres millénaristes. Tandis que s’amoncelaient les cadavres, l’Église veillait à cultiver les peurs pour mieux rallier les âmes en déshérence et les communautés en ruine se cherchaient des boucs émissaires : étrangers, juifs, marginaux, lépreux ou sorcières. Les rumeurs couraient, curés et médecins traquaient débordements sexuels et conduites licencieuses, on pendait les « semeurs de peste » et les pogroms se déchaînaient.

Longtemps, les épidémies firent prospérer tous les trafiquants de remèdes miraculeux comme les marchands de salut et billevesées, religieux en tête. En 1889, Aristide Bruant moquait encore ceux-là, dans une ritournelle malicieuse intitulée « Vl’à l’choléra qu’arrive » : « Les sacristains et les abbés / Répètent des cantiques / Pour attirer les macchabées / Dans leurs sacrées boutiques. » Un siècle et demi plus tard, télévangélistes, intégristes juifs et prêcheurs islamistes bazardent les mêmes sornettes.


à lire aussi

Guerre en Ukraine : Emmanuel Macron évoque à nouveau la possibilité d’envoyer des troupes au sol

Monde

Publié le 2.05.24 à 14:07

« Les Russes ont une absence de confiance dans l’avenir », analyse le sociologue Lev Goudkov

En débat

Publié le 2.05.24 à 14:06

Jain à la Fête de l’Humanité 2024 : « Mon but est de faire danser au maximum »

Culture et savoir

Publié le 2.05.24 à 14:05

Vidéos les plus vues

#Meetoo hôpital : un étudiant en médecine condamné pour agressions sexuelles

Publié le 30.04.24 à 16:36

Rassemblement pour Rima Hassan et Mathilde Panot, entendues pour « apologie du terrorisme »

Publié le 30.04.24 à 13:37

Occupation de la Sorbonne : à la rencontre de ces étudiants qui se mobilisent pour un cessez-le-feu à Gaza

Publié le 29.04.24 à 19:31

L’Union des juifs pour la Résistance et l’Entraide prend la parole sur Gaza

Publié le 29.04.24 à 17:23

Europe : les raisons d'y croire.

Publié le 28.04.24 à 12:00

Mumia Abu Jamal, prisonnier politiques depuis 42 ans

Publié le 27.04.24 à 11:00