Portrait

Rendez-vous avec Anaïs Quemener : « J’ai abordé mon cancer comme un marathon »

Aide-soignante la nuit et marathonienne le jour, à 33 ans, Anaïs Quemener a vaincu un cancer du sein. Elle raconte au « Point » ce combat qu’elle a mené grâce à sa passion pour la course.

Par

Anaïs Quemener
Anaïs Quemener © Margaux Le Map

Temps de lecture : 8 min

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Après quoi court-elle ? Le temps, évidemment. Lorsque nous la rencontrons, la marathonienne est en pleine promo de son livre Tout ce que je voulais, c'était courir (Flammarion)*. Ce jeudi, un créneau s'est libéré entre son entraînement du matin et une interview à France Télévisions. Rendez-vous est donc pris avec Anaïs Quemener au Terminus Balard, un café situé à quelques mètres des studios de la chaîne – et opportunément de nos propres locaux – pour un entretien de quarante-cinq minutes chrono.

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Jean, baskets, col roulé noir, piercings discrets et longs cheveux noirs lâchés, la jeune femme de 33 ans se présente en toute simplicité. Qui pourrait croire que ce petit bout de femme de 1,52 m pour 48 kg, réunionnaise par sa mère, bretonne par son père, est deux fois championne de France de marathon ? Qu'elle a été capable de parcourir les 42,195 km de l'épreuve reine des coureurs de fond en moins de 2 heures et 30 minutes – ce qui la classe parmi les dix meilleures coureuses de l'Hexagone ? Et qu'elle a réussi à se propulser à ce niveau tout en se battant contre un cancer du sein repéré un peu trop tardivement ?

À LIRE AUSSI Rendez-vous avec Fabrice Rose : « J'ai vécu en prison comme un mec libre, grâce à la littérature et à mon mental C'était en 2015. La jeune femme de 24 ans, aide-soignante de nuit à l'hôpital de Bondy (Seine-Saint-Denis), sent « un truc bizarre » dans son sein gauche. Les médecins lui disent de ne pas s'inquiéter : elle est jeune, n'a pas d'antécédents familiaux, une bonne hygiène de vie. Ce n'est qu'un kyste à surveiller, rien de plus. Au fil des mois, pourtant, la petite sphère se métamorphose en une grosse boule. « Elle déformait mon sein. Je la voyais même au travers de mes vêtements. Elle était devenue embarrassante », dit-elle, sans jamais se défaire de son immense sourire, si communicatif.

Elle retourne voir un médecin. Le 7 août, le diagnostic tombe : cancer triple négatif de stade 3 sur 4. Autrement dit, très agressif. La jeune femme, qui a en ligne de mire les Championnats de France de marathon à Rennes quatre mois plus tard, ne comprend pas l'urgence de la situation. « J'ai demandé à démarrer les traitements après la compétition. Le médecin, je m'en souviendrai toujours, m'a répondu que, si je ne commençais pas immédiatement la chimio, je ferais une excellente championne… mais en cercueil. »

« Vaincre l'adversaire »

La suite ? Ce sont huit cures de chimiothérapie, espacées de vingt et un jours, et deux mois de radiothérapie. « J'ai abordé mon cancer comme un marathon », nous explique-t-elle. Et de préciser dans son livre : « Je connaissais l'échéance, les étapes pour y parvenir. Il suffisait de tout donner, respecter les consignes, suivre le plan. Si je voulais vaincre l'adversaire qui m'attaque de l'intérieur, je devais être aussi rigoureuse et déterminée que lors d'une préparation à un marathon », écrit-elle dans son livre.

Anaïs Quenemer, le 3 octobre 2022 - La Voie royale Stade de France Saint-Denis.
©  STADION-ACTU / MAXPPP / STADION ACTU/MAXPPP
Anaïs Quenemer, le 3 octobre 2022 - La Voie royale Stade de France Saint-Denis. © STADION-ACTU / MAXPPP / STADION ACTU/MAXPPP

Si elle a accepté de raconter son histoire, c'est d'abord « pour encourager les femmes à se faire dépister avant 45 ans et ainsi éviter des retards de diagnostic préjudiciables », mais aussi « pour leur donner des conseils », dit celle qui se rêve « psycho-socio-esthéticienne », un métier consacré à l'aide aux personnes fragilisées par les traitements. « J'aurais aimé que quelqu'un me dise comment me maquiller, comment mettre mon foulard sur la tête ou que mes urines allaient devenir jaune fluo », dit-elle, précisant qu'on n'a pas toujours le courage d'aller chercher l'information soi-même. C'est pour cela aussi qu'elle a décidé de tout documenter sur Instagram, où près de 80 000 personnes la suivent.

Heureusement, dit-elle, « les choses changent ». La maladie est moins taboue. « Touchée », forcément, par les révélations récentes de Kate Middleton sur son cancer, elle a suivi avec admiration le parcours de l'influenceuse Caroline Receveur, qui a elle aussi raconté son combat contre la maladie sur les réseaux sociaux. « J'ai aimé la voir si belle, si féminine, si active aussi malgré ses traitements », dit-elle. Si la coureuse ne devait donner qu'un conseil, ce serait celui-là : « Continuez à faire ce que vous aimez. » « Si, pour vous, c'est le chant lyrique ou la pâtisserie, allez-y, sortez et surtout voyez des gens ! Ne restez pas isolé. Car c'est cela qui vous donnera envie de vous battre », martèle-t-elle.

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Son club, sa « meute »

Pour Anaïs, qui a commencé à courir à l'âge de 7 ans, sur les traces de son père et de son grand-père – tous deux amateurs de courses de fond –, tout passe par la course. Même « aux pires moments », lorsque la fatigue, les nausées et les frissons la mettent littéralement « à plat », lorsqu'elle n'a plus un cheveu sur la tête, lorsque ses défenses immunitaires sont au plus bas, lorsque les aphtes ont envahi sa bouche et que ses ongles se cassent comme du verre…, elle s'accorde une heure de sport par jour. Une heure durant laquelle elle est dehors, au stade Jules-Ladoumègue de Mitry-Mory (Seine-et-Marne), juste à côté de son «  9.3  » chéri, à courir, à rigoler avec les copains de son club, le Meute Running Club, qu'elle a fondé avec son père et qui rassemble des amateurs de courses de fond de tous âges et de tous niveaux. « Une vraie thérapie », dit-elle.

SON DIMANCHE IDÉAL : Le matin, évidemment, elle… court ! Deux à trois heures, seule ou avec son père. Ensuite, Anaïs passe voir ses grands-parents maternels, dans le Val-de-Marne. « Mon grand-père cuisine du rougail réunionnais, du curry indien, des “bonbons piment” – de petits beignets épicés que l'on mange avec les doigts, dans des feuilles de bananier. J'adore ça ! En général, il y a toujours un oncle, une tante, des cousins… Et on traîne tous ensemble, dans les odeurs d'épices, jusqu'à la fin de l'après-midi. Un vrai moment d'évasion. »

Son père, justement, pompier de formation, et devenu son entraîneur personnel, veille. Jean-Yves Quemener le sait : si la pratique d'une activité physique régulière permet de réduire de manière assez spectaculaire les risques de décès et de récidive d'un cancer du sein, le sport pratiqué à un haut niveau peut être dangereux. Le traitement d'Anaïs comporte des cardiotoxiques, substances potentiellement dangereuses pour son cœur. Le père et la fille passent un pacte : « OK pour la course, mais à condition de rester sur piste. » Ainsi, Jean-Yves peut garder un œil sur sa fille et intervenir en cas de malaise. Le week-end, ils parcourent également de longues distances à vélo. Sans oublier leurs longues marches le long du canal de l'Ourcq. Mais Anaïs trépigne. Dès la fin de son traitement, juste après une première mastectomie, elle demande à reprendre les entraînements. Vite. Elle a tant de temps à rattraper.

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Cicatrices, paillettes et rubans

Un certificat médical finit par l'y autoriser. Le 18 septembre 2016, presque un an, jour pour jour, après le début de sa chimio, elle devient championne de France de marathon, à Tours (Indre-et-Loire). La jeune femme a même amélioré son chrono par rapport à la période précédant sa maladie, et commence à penser à la suite : améliorer ses performances, faire évoluer sa carrière, avoir une vie amoureuse…

Mais un nouveau coup du sort la ralentit : une analyse génétique montre le caractère héréditaire de son cancer. Début 2017, elle doit retourner au bloc opératoire pour une double opération : l'ablation de son sein droit, en prévention, et une reconstruction de l'ensemble de sa poitrine. « Le médecin avait insisté. Moi, je n'avais que 26 ans, je l'ai écouté. Mais mon corps ne supportait pas les prothèses. C'était douloureux, inconfortable, inutile, cela me gênait pour courir », dit-elle. Après cinq rejets sur les cinq prothèses reçues et de multiples complications, elle finit par dire stop. La « meilleure décision » de sa vie. Sur Instagram, désormais, elle affiche fièrement ses cicatrices. « Je les trouve belles, confie-t-elle. Elles sont le signe que j'ai été plus forte que ce qui a essayé de me blesser. »

Quant à sa féminité, elle est ailleurs : dans son maquillage qu'elle aime forcer les jours de compétition, dans les paillettes dorées qu'elle pose sur ses pommettes, ou dans les rubans qu'elle met dans ses cheveux, toujours assortis à sa tenue. Un « habit de scène et de fête » qui lui permet de se sentir belle et confiante, en parfaite condition pour gagner.

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Los Angeles en ligne de mire

La jeune femme se connaît. En 2022, enfin « libérée » des soins, elle remporte un deuxième titre national, à Deauville. Et 2023 est l'année de son vrai retour. Désormais sponsorisée par la marque Salomon, elle brille sur le parcours mythique de Berlin, où elle parvient à baisser son chrono sous la barre des 2 heures et 30 minutes. La jeune femme figure désormais sur la « liste ministérielle », qui recense tous les sportifs français de haut niveau. Cela lui permet de négocier un mi-temps avec sa direction. « J'ai de la chance », souligne-t-elle, peu prolixe sur les difficultés traversées par l'hôpital public, son manque de personnel, la démultiplication des tâches administratives et la pression des usagers.

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Dans son viseur ? Les Jeux olympiques de 2028, à Los Angeles. Elle s'entraîne quinze à vingt heures par semaine pour cela. Parfois avec son père, parfois avec son chien Django, parfois seule. Plus rien désormais ne peut l'arrêter. Pas même le retour de la maladie. « Si elle devait refaire surface, je l'affronterais exactement de la même manière : avec mon sport, ma “meute” et ma détermination. »

* Tout ce que je voulais, c'était courir, d'Anaïs Quemener, avec la collaboration de Franck Berteau (Flammarion).

Chaque dimanche, « Le Point » a rendez-vous avec des personnalités connues et moins connues du monde de la culture, de la télé, du cinéma, de la gastronomie, du sport, de l'entreprise… Ils et elles se prêtent au jeu de l'entretien intime, nous racontent leur parcours, parfois semé d'embûches, nous livrent quelques confidences et nous donnent leur vision de la société.

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Commentaires (4)

  • JimCH68

    Ne pas se tromper, le moral ne guerit pas, la médecine guerit, mais sans un bon moral la medecine peut ne pas suffire

  • pafoufou

    Informez-vous ! Merci

  • fiolasse

    Moins de 2 heures et trente secondes, soit le record du monde masculin sur marathon... Encore un effort, le point et elle passera sous les 2 h !