Emmanuel Macron, lors d'un évènement dédié à la French Tech, au palais de l'Elysée, en février 2023.

Le (mauvais) exemple vient d’en haut, quand Emmanuel Macron croit du dernier chic de présenter notre pays comme une start-up nation et promeut un Pass culture en prenant soin d’écrire pass à l’anglo-saxonne…

Michel Euler / POOL / AFP

Nous sommes au Ve siècle après Jésus-Christ. Homme politique, évêque et écrivain, le Lyonnais Sidoine Apollinaire maîtrise magnifiquement le latin. Et il ne cache pas sa satisfaction. Il aura fallu des siècles d’occupation romaine, mais le résultat est là, se félicite-t-il : la noblesse arverne s’est enfin débarrassée de "la crasse du gaulois". "La crasse du gaulois" ! Qu’en termes élégants ces choses-là sont dites… (1).

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C’est ce que l’on appelle un invariant de l’Histoire. Quand un peuple change de langue après avoir été conquis par plus puissant que lui, ce sont en général les élites locales qui abandonnent les premières leur ancienne culture et adoptent celle du nouveau pouvoir. Un comportement "logique", à défaut d’être moral : ses membres comprennent généralement avant les autres qu’il y va de leur intérêt. La France en offre une excellente illustration.

Avant-hier, le gaulois face au latin. Nos "ancêtres" se sont-ils convertis à la langue de Cicéron parce que les Romains les auraient empêchés de parler gaulois sous peine d’amende ou de prison ? Pas du tout. Ces derniers ont employé une méthode plus douce en apparence, mais redoutablement efficace, en faisant du latin la langue officielle de l’Empire. C’est tout ? C’est tout, mais cela a suffi car, ipso facto, ils l’ont érigé en idiome de la promotion sociale. Comme notre Sidoine Apollinaire, les plus ambitieux des Gaulois n’ont pas tardé à saisir cette nouvelle réalité. Très vite, ils ont appris le parler du vainqueur et l’ont transmis à leurs enfants, en envoyant si besoin leur progéniture dans les écoles de Rome, de Marseille ou d’Autun, voies royales pour entrer dans l’administration et grimper les degrés de l’échelle du pouvoir.

La suite était écrite. Le latin, devenu marqueur de distinction sociale, a gagné au fil du temps les classes moyennes, comme on ne disait pas encore, puis les habitants des campagnes. Quant à l'infortuné gaulois, désormais connoté négativement, il aurait totalement disparu au V siècle après Jésus-Christ.

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Hier, les langues dites régionales face au français. Les langues dites régionales ont subi le même déclassement à partir du moment où l’Etat a fait du français la seule langue des diplômes et de l'accès aux meilleurs emplois. A ceci près que, là encore, les "élites" provinciales avaient été les plus promptes à "trahir".

En veut-on des exemples ? Dès la fin du Moyen-Age, les membres des parlements de Toulouse, de Bordeaux et d’Aix décident d’eux-mêmes de tenir leurs registres en français. La langue d’oc est pourtant riche d’une littérature prestigieuse et d’une solide tradition administrative ? Qu’importe : ces messieurs sont d’abord soucieux de plaire au souverain et de se distinguer du peuple.

En Bretagne, aussi, la noblesse est passée très tôt au français. Le duc Alain IV de Bretagne (1060-1119) est réputé être le dernier à avoir parlé breton, indique l’historienne Rozenn Milin (2). A la suite de l'aristocratie, la bourgeoisie, les commerçants puis les agriculteurs aisés adopteront tour à tour la langue de Paris. Tous l’ont compris : l’ascension sociale est à ce prix.

Un processus semblable a pu être réservé dans les colonies, poursuit Rozenn Milin. En Afrique subsaharienne, les "écoles des fils de chefs" apprenaient – en français – à leurs élèves à devenir de précieux intermédiaires entre le pouvoir et les communautés locales. La bonne maîtrise de la langue de la puissance dominante leur octroyait tout à la fois "prestige et avantages matériels."

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Demain, le français face à l’anglais ? Ce n’est sans doute pas avec cette information que je décrocherai le prix Albert-Londres, mais rappelons-le néanmoins : voilà plusieurs décennies que les anglicismes se multiplient en France. Et bien sûr, les publicitaires, les communicants, les journalistes et les hommes d’affaires sont les premiers à promouvoir ce globish, à grand recours de fashion weeks, de live et de benchmark. Il est vrai que le (mauvais) exemple vient d’en haut, quand Emmanuel Macron croit du dernier chic de présenter notre pays comme une start-up nation, de vanter la French Tech et de promouvoir un Pass culture en prenant soin d’écrire pass à l’anglo-saxonne…

Notons cependant qu’ici, ce comportement s’effectue sans qu’il y ait eu de conquête militaire. Les "élites" se convertissent à l’anglais de leur plein gré. Cela signifie qu’elles ont basculé dans une forme d’hégémonie linguistique qui les conduit à verser dans l’autodénigrement et à juger ringard lpar principee lexique francophone.

Le parallèle s’impose. Comme les chefs gaulois se sont empressés de passer au latin puis, plus tard, les notables provinciaux au français, les classes supérieures embrassent aujourd’hui l’anglais pour les mêmes raisons : paraître "modernes", occuper les meilleures places, se distinguer du peuple. En linguistique, ce comportement porte un nom : la "honte de soi". Une attitude typique des groupes culturellement dominés.

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(1) Anecdote rapportée par Claude Duneton dans Parler croquant, Editions Lo Chamin de Sent Jaume.

(2) Du sabot au crâne de singe. Histoire, modalités et conséquences de l’imposition d’une langue dominante. Bretagne, Sénégal et autres territoires, par Rozenn Milin. Thèse de doctorat en sociologie (Université Rennes 2), dirigée par Ronan Le Coadic et Ibrahima Thioub.

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Sauvons les langues régionales, par Michel Feltin-Palas, Editions Héliopoles

Cultivons la langue française, par Michel Feltin-Palas, Editions Héliopoles

Je suis catalan, mais je me soigne, par Juan Milhau-Blay, Editions Héliopoles

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