L’affaire dite de la Taxe Lidl initiée par le ministre de l’Économie à l’encontre du Groupement d’Achat E. Leclerc (le "Galec"), sur le fondement de l’avantage sans contrepartie, a connu une issue inattendue devant la cour d’appel de Paris, dans un arrêt rendu le 25 octobre 2023. Le Galec évite ainsi une condamnation de 113 millions d’euros.

Dans cette affaire, le ministre reprochait au Galec d’avoir imposé aux grands fournisseurs multinationaux une remise inconditionnelle de 10 % lorsque leurs produits étaient commercialisés à la fois dans les magasins Leclerc et dans les magasins Lidl. En réponse, le Galec opposait le "principe de la libre négociation du prix" et alléguait que cette remise avait été ­acceptée par les fournisseurs.

Une action mal fondée sur le terrain de l’avantage sans contrepartie

Le tribunal de commerce de Paris1 a jugé mal fondée l’action du ministre, visant exclusivement l’article L.442-6 I 1° du Code de commerce, au motif que cet article renvoie à l’absence de "service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné" alors qu’en l’espèce aucun service commercial n’a été convenu entre les parties en contrepartie de la réduction de prix litigieuse.

Soulignons à cet égard que l’ancien article L.442-6 I 1°du Code de commerce ne visait pas la notion de "contrepartie" mais de "service commercial", ce qui n’est plus le cas du nouvel article L.442-1 du Code de commerce2 qui vise plus largement le fait "d’obtenir ou de tenter d’obtenir (…) un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné".

Le tribunal de commerce de Paris s’est inscrit vraisemblablement dans la lignée de l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 4 novembre 2020 dans lequel la cour a jugé qu’"en raison du principe de la libre négociation du prix, le contrôle judiciaire du prix demeure exceptionnel en matière de pratiques restrictives de concurrence. Ce contrôle ne s’effectue pas en dehors d’un déséquilibre significatif (…) Dès lors, les dispositions de l’article L.442-6, I, 1° précité ne s’appliquent pas à la réduction de prix obtenue d’un partenaire commercial"3, en rupture avec la jurisprudence antérieure de la cour et l’avis de la CEPC sollicité par le tribunal de commerce de Bordeaux dans cette affaire4.

"Au nom de la libre négociabilité du prix, le maintien d'un flux d'affaires justifie l'obtention d'une remise" 

Un résultat identique en appel mais un raisonnement sensiblement différent

Mais l’arrêt du 4 novembre 2020 ayant été cassé par la Cour de cassation, le 11 janvier 20235, la cour d’appel de Paris a modifié sa solution en retenant que "par la généralité de ses termes, l’application de ce texte peut être étendue au-delà des seuls services de coopération commerciale (“service commercial”) et à un avantage de toute ­nature".

Après avoir caractérisé l’existence de la remise spécifique de 10 % demandée par le Galec que les fournisseurs ne pouvaient pas négocier, la cour d’appel de Paris considère que le ministre ne démontre pas le "caractère manifestement disproportionné" de la remise qui "faisait partie intégrante de la négociation", quand bien même certains fournisseurs ont été contraints de "faire le choix entre l’une ou l’autre des enseignes" ou de "limiter [leur] volume d’affaires avec Lidl".

La cour retient également que cette remise "n’avait pas d’autre contrepartie que celle de pouvoir maintenir le référencement de leur produit chez le Galec" et de maintenir le "flux d’affaires entre les parties dans un contexte de tension concurrentielle entre les distributeurs Leclerc et Lidl". Précisons que la remise a été demandée par le Galec pour "sécuriser » sa politique commerciale et "contrer l’offensive" de Lidl, enseigne de hard discount, qui avait décidé de faire entrer des articles de grandes marques dans ses rayons. La cour semble donc trouver légitime le fait d’exiger et d’obtenir une remise spécifique pour préserver sa rentabilité et son positionnement prix.

Un recentrage jurisprudentiel sur la libre négociabilité du prix

Reprenant le principe de libre négociabilité du prix retenu dans son arrêt du 1er juillet 2015 concernant le Galec6, la cour d’appel de Paris adopte cependant une solution différente. Alors que "préserver" ses "marges" constitue une contrepartie ­fictive, sur le fondement du déséquilibre significatif, dans l’affaire du 1er juillet 2015, demander une remise pour contrer l’offensive d’un concurrent est une réelle contrepartie, dans l’affaire du 25 octobre 2023.

On soulignera toutefois que, dans son arrêt du 25 octobre 2023, la cour d’appel de Paris a considéré au surplus que le ministre "ne procède à aucune démonstration du caractère manifestement disproportionné de la remise ainsi obtenue de chacun des fournisseurs sur les produits litigieux au regard des gains escomptés par ces derniers du référencement de leur gamme de produits dans les magasins de l’enseigne Leclerc", ce qui laisse penser que le ministre aurait également été débouté de sa demande sur le terrain du déséquilibre significatif.

Si ce recentrage est heureux en ce qu’il redonne pleine force à la négociation du prix entre distributeur et fournisseur, reste que la décision de la cour d’appel de Paris n’est pas sans poser un certain nombre d’interrogations au regard notamment de la prohibition de la rupture brutale des relations commerciales établies, prévue par l’article L.442-1 du Code de commerce, ou de l’interdiction d’obtenir un avantage préalable à la passation de commande prévue par l’ancien article L.442-6 I 3° du Code de commerce et désormais sanctionnable sur le terrain du déséquilibre significatif.

1 Tribunal de commerce de Paris, 11 mai 2021, n°2018014864.

2 Introduit par l’ordonnance n°2019-359 du 24 avril 2019.

3 CA Paris, 4 novembre 2020, n°19/09129, affaire OC Résidences.1.

4 CA Paris, 13 septembre 2017, n°15/24117 et avis CEPC n°18-6.1.

5 Cass. Com. 11 janvier 2023, n°21-11.163.

6 CA Paris, 1er juillet 2015, n°13/19251 confirmé par Cass. Com. 25 janvier 2017, n°15-23.547.

 

LES POINTS CLÉS

  •  La cour a jugé licite une remise inconditionnelle de 10 % demandée par le Galec aux fournisseurs pour préserver
    sa rentabilité face à l’offensive concurrentielle de Lidl.
  •  La cour a considéré que le maintien du référencement des produits par le Galec était une contrepartie réelle
    à cette remise qui n’était pas disproportionnée.
  •  L’arrêt de la cour semble s’inscrire dans un courant jurisprudentiel restaurant une place primordiale au principe
    de libre négociabilité du prix.

 

SUR LES AUTEURS

Violaine Ayrole est avocate associée et Aurore Buquet avocate au sein du cabinet Renaudier, qui est dédié exclusivement au droit économique et qui est l’un des cabinets d’avocats français les plus actifs dans ses principaux domaines d’activité – distribution, concurrence, concentrations – tant en conseil qu’en contentieux.

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