QAnon, Pizzagate, Christchurch... Comment le forum 4Chan est devenu aussi détesté qu'adulé

Remis dans la lumière après les émeutes du 6 janvier 2020 au Capitole, le célèbre forum 4Chan est connu pour avoir être l'une des plateformes les plus prisées des conspirationnistes, mais aussi des suprémacistes blancs, au sein de laquelle s'échangent des photos, vidéos et propos frôlant avec la légalité, voire la dépassant largement.

Une liberté d'expression quasi totale revendiquée dès sa création en 2003 par Christopher "Moot" Poole, entrepreneur passé ensuite chez Google, qui s'est inspiré du populaire forum 2Channel, imaginé par Hiroyuki Nishimura à la fin des années 90. Ce dernier a depuis repris les rênes du forum de tous les scandales.

4Chan doit aussi son succès à l'anonymat qu'il offre à ses membres. Sans inscription, il ouvre la voie à la démesure et à tous les abus. Redoutable, craint, mais aussi objet de fascination, 4Chan a marqué de son empreinte la culture internet, comme le souligne le documentaire de Netflix, The Antisocial Network: Mèmes à retardement, mis en ligne ce 5 avril 2024 sur la plateforme.

Mais derrière une façade de forum géant où se confondent fans de pop culture et gamins en manque de sensations fortes, 4Chan devient rapidement un nid à problèmes pour son créateur, confronté aux raids d'une communauté qu'il n'arrive plus à gérer, au grand dam des autorités. Au fil des années, les scandales se multiplient et deviennent parfois de véritables tragédies internationales.

Si 4Chan n'a pas été la seule plateforme mise en cause - on compte aussi sur Reddit, Twitter et 8Chan - elle a néanmoins participé activement à une vaste campagne de harcèlement sexiste envers des femmes journalistes et des développeuses de jeux vidéo, en 2014.

Raids numériques, mais aussi doxing, menaces de morts ou de viol... les actions ont été nombreuses et cherchaient à mettre en avant une problématique déontologique, notamment en raison des messages féministes et progressistes de plus en plus présent dans les jeux vidéo. Selon les auteurs de ce harcèlement, les femmes journalistes ou au sein de studio, poussaient vers des idées excluant les hommes. Des affabulations qui ont mené plusieurs personnalités féminines à quitter le monde du jeu vidéo, voire les réseaux sociaux.

L'une des personnalités les plus mise en avant durant le Gamergate, et accusée de tous les maux de l'industrie, fut Zoë Quinn. Les membres de 4Chan la soupçonnent alors d'être de mèche avec un journaliste avec lequel elle était en couple pour ne pas que ce dernier ne publie de critiques négatives sur ses projets - contre toutes évidences. Elle subit pendant plusieurs années des attaques et menaces. A contrario, le Gamergate a également eu comme effet une libération de la parole, notamment au sein des studios de jeux vidéo.

En septembre 2014, des photos sensibles et intimes se sont retrouvées sur le forum 4Chan, partagées par plusieurs internautes anonymes. Celles-ci s'avéraient être des clichés nus de personnalités du cinéma, de la télévision et de la musique. Parmi eux, Jennifer Lawrence, Kirsten Dunst, mais aussi Scarlett Johansson et Rihanna.

En cause, une faille d'iCloud démentie par Apple, qui permettait, via un script Python diffusé sur GitHub, d'attaquer par force brute la plateforme, et donc de retrouver les mots de passe des utilisateurs concernés.

Plusieurs autres piratages, orchestrés par les membres de 4Chan - comme les données de sauvegarde de Hunter Biden, fils du président américain Joe Biden, avaient poussé Apple à proposer une nouvelle fonctionnalité dédiée aux personnalités sensibles à l'été 2022. Celle-ci permet de verrouiller complètement son compte Apple et les appareils associés.

Tout n'est toutefois pas que polémique sur 4Chan. Le mouvement Anonymous, qui a notamment lancé des campagnes contre des groupes sectaires - comme la scientologie, ou contre le capitalisme, via les actions "Occupation Wall Street', est né sur cette plateforme. L'idée du "rickroll", consistant à faire croire à un internaute qu'une information se trouve sur une page renvoyant vers un clip de Rick Astley, a vu le jour sur 4Chan.

Mais pour ses détracteurs, de fabricants de mèmes aux idées progressistes, 4Chan est devenu un moyen pour certains internautes de professionnaliser le harcèlement en ligne, offrant au passage une plateforme sans limite pour les conspirationnistes, les suprémacistes blancs et la misogynie.

· QAnon: le groupuscule derrière Donald Trump

Porté par Donald Trump, le mouvement QAnon a connu son heure de gloire sur 4Chan. Un mystérieux individu (baptisé "Q"), voire même plusieurs selon le documentaire de Netflix, a ainsi distillé des messages laissant penser à un "état profond" dont aurait été victime Donald Trump, alors que ce dernier était justement vu comme un président cherchant à l'endiguer.

Plus généralement, la mouvance s'articule autour de nombreuses théories du complot, dont la plus utilisée, y compris par l'ancien président américain, s'avère être le trucage des élections ayant mené à l'arrivée de Joe Biden à la Maison Blanche. Une nouvelle qui avait d'ailleurs mis un coup à QAnon, qui annonçait pourtant des événements permettant de l'éviter.

Certes moins actif, le mouvement QAnon reste néanmoins présent, notamment en cette année d'élection américaine. On l'a également vu lors de la crise du COVID-19 et les vaccins, associés par les sympathisants de QAnon comme un moyen de contrôler la population mondiale.

· Le Pizzagate

Lié par effet d'aubaine au mouvement QAnon, la théorie conspirationniste du Pizzagate a d'abord fait ses armes sur 4Chan en 2016 avant de s'étendre sur d'autres plateformes comme Twitter et Reddit, notamment grâce à des militants pro-Trump. Selon eux, des personnalités politiques ou du showbusiness seraient impliquées dans un vaste réseau pédophile révélé par des mails diffusés sur Wikileaks, où l'ancien directeur de la campagne de Hillary Clinton y mentionne plusieurs fois les termes "pizza" et "fromage".

Il n'en faut pas plus pour qu'un membre de 4Chan y voit un message codé - pour lui, l'acronyme CP de Cheese Pizza (Pizza aux fromages en français) est utilisé pour parler de pornographie infantile (Child Pornography en anglais, soit CP). Le tout, au sein d'une pizzeria cachant ces crimes.

Cette théorie, relayée ensuite par l'animateur d'extrême-droite Alex Jones, prend de l'ampleur, au point qu'un utilisateur va alors faire la route jusqu'à la pizzeria où se dérouleraient les faits supposés, et tirer à l'arme automatique sans faire de victimes. Malgré l'invraisemblance de l'affaire et les preuves que tout cela n'est qu'une vaste supercherie, la rumeur autour d'un réseau pédophile et sataniste continue de prospérer aux Etats-Unis.

· La tuerie de Christchurch

En mars 2019, la ville de Christchurch en Nouvelle-Zélande est victime d'une attaque à caractère raciste dans deux mosquées, tuant 51 personnes. L'auteur des faits, Brenton Tarrant, a fait les gros titres, notamment lorsque les autorités se sont rendues compte qu'il avait fait part de ses projets meurtriers un an avant les événements sur 4Chan, comme le raconte TheConversation, qui diffusait alors les conclusions d'un rapport parlementaire.

Plusieurs mois après l'attaque, 4Chan a de nouveau fait l'objet d'une polémique lorsqu'une lettre du tueur a été diffusée sur la plateforme alors qu'il se trouvait en détention.

· L'IA utilisée pour des messages racistes

Que ce soit pour éviter la censure en inventant des codes, ou pour diffuser massivement des messages racistes, 4Chan est connu pour être la terre d'accueil, avec 8Chan, une plateforme encore plus extrémiste, des nationalistes blancs. De fait, la modération quasi-inexistante leur permet d'y pulluler.

Depuis quelques mois, comme l'a repéré le media 404 en octobre dernier, 4Chan est mis en cause dans une vaste campagne utilisant l'intelligence artificielle générative de Bing, DALL-E 3 pour créer des images à caractère raciste. Le site précise que les auteurs de ces images s'organisent afin de contourner les limitations dictées par Microsoft et OpenAi afin de générer des résultats qu'ils s'empresseront par la suite de poster sur les réseaux sociaux, via des raids numériques.