(Kyiv) Le parlement ukrainien a voté jeudi une loi controversée pour mobiliser plus d’hommes face aux assauts de la Russie qui a, quant à elle, effectué de nouveaux bombardements massifs afin de détruire les infrastructures énergétiques de l’Ukraine.  

Une fois encore, une quarantaine de missiles et autant de drones ont visé le réseau électrique ukrainien, si bien que le président Volodymyr Zelensky a imploré ses alliés occidentaux de fournir au plus vite à son pays des systèmes de défense antiaérienne.

Le président russe Vladimir Poutine a déclaré jeudi que les bombardements meurtriers visant le réseau énergétique ukrainien, qui ont entraîné d’importantes coupures de courant, suivaient l’objectif de «  démilitarisation » de l’Ukraine fixé par le Kremlin.

« Nous partons du principe que de cette manière nous avons une influence sur le complexe militaro-industriel de l’Ukraine », a déclaré le président russe, lors d’une rencontre au Kremlin avec son homologue biélorusse Alexandre Loukachenko.

Dans le même temps, M. Poutine a affirmé que ces bombardements étaient une réponse aux récentes attaques ukrainiennes ayant ciblé des infrastructures énergétiques en Russie, notamment des raffineries.

« Nous avons observé ces derniers temps une série de frappes sur nos sites énergétiques et nous étions obligés de répondre », a-t-il dit.

M. Poutine a aussi assuré que l’armée russe n’avait pas frappé d’installations électriques ukrainiennes cet hiver « pour des raisons humanitaires ». « Nous ne voulions pas priver d’électricité des infrastructures sociales, des hôpitaux, etc », selon le président russe.

« Nous partons du principe que de cette manière nous avons une influence sur le complexe militaro-industriel de l’Ukraine », a déclaré le président russe, tout en affirmant que ces bombardements étaient aussi une réponse aux attaques ukrainiennes sur des infrastructures énergétiques russes.

Parallèlement, confrontée à de multiples attaques terrestres sur la ligne de front, l’Ukraine, qui souffre d’une pénurie de soldats volontaires, s’est finalement dotée d’une nouvelle loi sur la mobilisation, après des mois de débats houleux au sein d’une société meurtrie par deux ans d’invasion russe.

« C’est fait !! La loi sur la mobilisation est adoptée. 283 [députés ont voté] pour », s’est félicité sur Telegram le député Oleksiï Gontcharenko.

Le président de la Rada, le parlement monocaméral, doit désormais la remettre à Volodymyr Zelensky pour promulgation afin qu’elle entre en vigueur.  

Ce texte, qui accroît notamment les sanctions contre les réfractaires, a fait scandale en raison de la suppression à la dernière minute d’une clause prévoyant la démobilisation des soldats ayant servi 36 mois, un coup dur pour les militaires présents sur le front depuis plus de deux ans.

« Très injuste »

Cette décision a donc immédiatement suscité la controverse, d’autant que le système d’enrôlement actuel est jugé par de nombreux Ukrainiens injuste, inefficace et souvent corrompu.

« 99 % des hommes veulent se reposer », expliquait Iévguén, un parachutiste de 39 ans basé dans la région orientale de Donetsk.

« Il y a des militaires qui ne sont pas rentrés chez eux depuis un an. C’est très injuste ».

PHOTO ALINA SMUTKO, REUTERS

Des proches de militaires ukrainiens participent à un rassemblement pour demander aux législateurs d’ajouter des conditions de démobilisation à un nouveau projet de loi adopté jeudi.

À la place, le gouvernement sera chargé de prochainement rédiger un autre projet de loi sur « l’amélioration des mécanismes de rotation du personnel militaire ».

Pour Volodymyr Zelensky, l’important, disait-il récemment, est de ne pas perdre en compétences militaires au moment des remplacements des soldats engagés sur le front depuis des mois par de nouveaux arrivants.

Reste toutefois que l’armée ukrainienne, affaiblie par une contre-offensive avortée à l’été 2023 et une aide occidentale qui s’épuise, doit renouveler ses troupes, déjà en sous-effectifs face à une armée russe qui engrange les volontaires et forte d’une économie tournée vers l’effort de guerre.

À cette fin, M. Zelensky avait déjà entériné début avril l’abaissement de 27 à 25 ans de l’âge de mobilisation.

« Objectifs atteints »

Sur le terrain, la Russie a tiré dans la nuit de mercredi à jeudi plus de 40 missiles et 40 drones contre des infrastructures énergétiques ukrainiennes.

Le ministère russe de la Défense a qualifié ces bombardements de « réponse » aux frappes ukrainiennes des dernières semaines sur le territoire russe, en particulier sur des raffineries. L’Ukraine a déclaré que ses attaques étaient elles-mêmes des représailles face à celles, quotidiennes, des Russes.  

« Les objectifs ont été atteints. Toutes les cibles ont été frappées », a affirmé le ministère russe.  

PHOTO FOURNIE PAR L’ADMINISTRATION RÉGIONALE MILITAIRE DE MYKOLAÏV, VIA REUTERS

Des gens regardent à travers la vitre brisée d’une maison après une frappe russe à Mykolaïv, le 11 avril 2024.

Au total, l’armée de l’air ukrainienne a assuré avoir abattu 39 drones et 18 missiles.

Mais les dégâts sont là. Selon le ministre de l’Énergie, Guerman Galouchtchenko, « des installations de production et des systèmes de transmission » ont été visés dans les régions de Kyiv, Kharkiv (nord-est), Zaporijjia (sud-est) et Lviv (ouest).

Une grande centrale thermique près de la capitale a été « complètement détruite », a dit un représentant de l’entreprise gérante.

En outre, quatre personnes ont été tuées et cinq autres blessés à Mykolaïv, dans le sud, « en pleine journée » jeudi au cours d’une attaque aérienne russe, a fait savoir l’armée ukrainienne. « Des bâtiments résidentiels et des voitures privées ont été endommagés. Des dégâts dans des installations industrielles ont également été constatés », a-t-elle ajouté.  

Face à des soldats russes à l’offensive, Volodymyr Zelensky réclame à ses partenaires occidentaux plus de munitions et surtout des systèmes de défense antiaérienne, à commencer par des Patriot américains.

« L’essentiel est maintenant de tout faire afin de renforcer notre défense antiaérienne, pour répondre aux besoins urgents […] ainsi que pour consolider le soutien international afin de vaincre la terreur russe », a écrit M. Zelensky sur les réseaux sociaux à l’occasion d’un déplacement en Lituanie.

Le chef de l’État ukrainien a en outre annoncé la signature d’un accord décennal avec la Lettonie qui inclut un soutien militaire annuel de ce pays à l’Ukraine « à hauteur de 0,25 % du PIB ».

Le Kremlin a, de son côté, jugé jeudi que des pourparlers sur l’Ukraine sans la Russie n’avaient « aucun sens », après que la Suisse a déclaré la veille organiser une telle conférence pour la mi-juin sans représentation russe, mais en présence d’une centaine d’autres pays.

L’ONU condamne les doubles frappes en Ukraine

L’ONU a condamné jeudi les attaques « cruelles et inacceptables » contre les services de secours et les blessés en Ukraine, en décrivant un « schéma troublant » de recours à des doubles frappes.

« Nous avons vu ces dernières semaines un schéma particulièrement troublant dans la séquence des attaques », a déclaré lors d’une réunion du Conseil de sécurité de l’ONU Edem Wosornu, au nom du chef du bureau des Affaires humanitaires de l’ONU (OCHA) Martin Griffiths.

« Alors que les premiers secours ou les services d’urgence se précipitent sur les lieux d’une attaque, une deuxième vague frappe le même endroit, tuant les blessés et provoquant morts et blessures des membres des services de secours », a-t-elle décrit.

« Cela aggrave la souffrance des blessés et empêche les secours de faire leur travail ».

« Les attaques visant les blessés et ceux qui leur viennent en aide sont interdites par le droit humanitaire international. Elles sont cruelles, inadmissibles et doivent cesser », a-t-elle insisté.

L’Ukraine a accusé plusieurs fois ces dernières semaines la Russie d’avoir mené de telles attaques, appelées « doubles frappes », qui consistent à bombarder un endroit une première fois, puis une deuxième quand les services d’urgence sont arrivés sur place.

L’AIEA craint « le début d’un nouveau front de guerre »

Les récentes attaques sur la centrale nucléaire ukrainienne de Zaporijjia peuvent « marquer le début d’un nouveau front de guerre extrêmement dangereux », s’est alarmé jeudi le directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA).

Elles « nous ont fait entrer dans une phase cruciale » du conflit, a déclaré Rafael Grossi à l’ouverture d’une réunion à Vienne des 35 membres du Conseil des gouverneurs, convoquée en urgence à l’appel de la Russie et de l’Ukraine.

Le site de Zaporijjia (ZNPP), occupé depuis mars 2022 par la Russie dans le sud de l’Ukraine, a subi une série d’attaques de drones depuis dimanche, Moscou et Kyiv se rejetant mutuellement la responsabilité.

Il s’agissait des « premières depuis novembre 2022 à cibler directement la centrale », la plus grande d’Europe, selon l’instance onusienne qui dispose d’experts sur place.

« Les frappes doivent cesser », attaquer une installation nucléaire « n’est absolument pas une option », a insisté M. Grossi, appelant de nouveau à « la retenue maximale ».

À la sortie de la réunion, qui a duré trois heures et demie, l’ambassadeur russe auprès de l’AIEA Mikhaïl Oulyanov s’est dit « satisfait par la discussion », espérant qu’elle incitera les Ukrainiens « à cesser ces actions dangereuses, quasi quotidiennes ».

L’Ukraine a de son côté fustigé « une campagne de désinformation » de Moscou, accusé de simuler des frappes pour « discréditer » Kyiv, selon un communiqué de la mission permanente à Vienne.

Devant le Conseil, l’Union européenne a estimé que ces développements « très inquiétants » venaient rappeler « les risques que font peser l’occupation illégale par la Russie » du site.

Moscou « doit immédiatement, sans condition et complètement retirer toutes ses forces et l’équipement militaire », a insisté l’UE. « C’est la seule solution pour minimiser le risque d’un accident nucléaire ».