Un flot d'insultes en 72 heures : l'épisode de froid déchaine la haine en ligne contre des scientifiques

Publié le 24 avril 2024 à 17h38, mis à jour le 24 avril 2024 à 17h46

Source : Sujet TF1 Info

La France est confrontée, depuis plusieurs jours, à un épisode de froid qui a vu descendre les températures bien en dessous des normales de saison.
L'occasion pour de nombreux climatosceptiques de remettre en cause le changement climatique dû à l'activité humaine.
Plusieurs d'entre eux s'en sont même violemment pris à des scientifiques qui ont tenté d'expliquer la situation, comme Serge Zaka.

Une avalanche d'insultes et de menaces. Depuis plusieurs jours, l'agroclimatologue Serge Zaka est au cœur d'une importante vague de haine sur les réseaux sociaux. La raison ? Il s'est rendu sur les plateaux de télévision, a expliqué sur les plateformes pourquoi la vague de fraîcheur qui touche la France et l'épisode de gel qui a frappé les agriculteurs ne remettait pas en cause le changement climatique, qui avait même contribué à augmenter les dégâts engendrés par cet épisode.

Problème : comme pour chaque chute des températures, cette baisse du mercure est l'occasion pour la sphère climatosceptique de remettre en cause le changement climatique dû aux activités humaines et de cibler les scientifiques les plus exposés pour les décrédibiliser. Et avec les gelées, Serge Zaka a été particulièrement ciblé ces derniers jours.  

En 72 heures, celui qui vulgarise et explique les conséquences du changement climatique pour les agriculteurs et les végétaux, a reçu plusieurs milliers de messages de haine. "On a passé 85% des jours au-dessus des normes de saison depuis le début de l'année. Mais dès qu'on a un jour en dessous des normes, on reçoit des menaces, des insultes racistes, misogynes...", dénonce-t-il auprès de TF1info. 

Message d'insulte reçu par Serge Zaka après l'une de ses apparitions sur un plateau de télévision
Message d'insulte reçu par Serge Zaka après l'une de ses apparitions sur un plateau de télévision - Capture X

Critiques physiques, remise en cause de ses compétences, insultes... L'expert exprime un ras-le-bol partagé par de nombreux spécialistes de ces questions. "C'est une fatigue générale des scientifiques d'être critiqués et jugés sur des faits, qui sont juste des faits, alors que notre objectif est de prévenir des impacts du changement climatique sur l'agriculture", déplore-t-il. 

On remet mes compétences en cause parce que je porte un chapeau !
Serge Zaka

Des messages d'insultes qu'ont aussi reçus de nombreux comptes traitant de cet épisode de froid. Et Etienne Farget, passionné de météo-climat et qui travaille à vulgariser la parole scientifique sur les réseaux sociaux, n'a pas été épargné. "Il y a souvent un effet de vague, où parfois, on n'en entend plus parler pendant plusieurs semaines. Et puis, dès qu'il y a une occasion, un épisode de froid ou un sujet climatique discuté, on reçoit ces insultes très rapidement", explique-t-il à TF1info. 

Des invectives qui dérivent rapidement sur le physique. Serge Zaka a ainsi vu ses compétences remises en cause... pour avoir porté un chapeau sur un plateau de télévision. "On remet en cause mes compétences parce que je porte un chapeau ! Mais c'est ma personnalité, je n'ai pas à m'expliquer dessus", dénonce-t-il, pointant le fait que certaines de ses collègues voient leurs qualités de scientifiques remises en cause au seul motif "que ce sont des femmes". 

Insultes reçues par Serge Zaka après un passage dans une émission de télévision où il a porté son chapeau
Insultes reçues par Serge Zaka après un passage dans une émission de télévision où il a porté son chapeau - Capture X

Ces dernières années, en plus des messages de haine diffusés par des comptes anonymes ou des citoyens lambda, Serge Zaka est également visé par des personnalités plus exposées. "Quand on voit la portée de certains messages, publiés par des personnalités politiques ou dont les noms sont connus, cela participe à la haine des scientifiques en ligne [...] surtout quand ils ne réagissent pas quand il y a des insultes sous leur publication, qu'ils ne font rien, ne disent rien", déplore l'agroclimatologue, en référence à un virulent échange avec Emmanuel De Villiers sur l'épisode de gel.

"On se retrouve face à des personnes qui n'en ont rien à faire de la science, qui ne sont là que pour faire des blagues sur des écolos, sur le climat, comme si c'était un sujet de blague alors que nos agriculteurs passent, en ce moment, des nuits sur le terrain pour protéger les végétaux du gel", souligne-t-il encore. 

Si on leur laisse la place grande ouverte, on peut entrer dans quelque chose de dangereux où on leur laisse le terrain libre.
Etienne Farget

Face à ces déferlements de haine, plusieurs scientifiques ont décidé de quitter, définitivement ou pour un temps, les plateformes. Ce fût le cas du climatologue et membre du Giec Christophe Cassou, lors de la canicule d'août 2023. Après avoir reçu des centaines d'insultes et de menaces, il avait suspendu son compte X pendant un temps, assurant sur France 3 ne plus supporter les "attaques ad hominem". "C'est ça qui est compliqué et lourd à gérer : de nous faire passer pour malhonnêtes, corrompus, manipulés dans un esprit complotiste et nauséabond, avec qui il est impossible de discuter". 

Serge Zaka et Etienne Farget, eux, ont décidé de rester coûte que coûte. Ce dernier assure même que la haine en ligne est "une motivation". "Si on leur laisse la place grande ouverte, on peut entrer dans quelque chose de dangereux où on leur laisse le terrain libre". Serge Zaka, lui, explique que "c'est un choix, quitte à être exposé à la haine". "Je trouve que ça fait partie de mon métier d'apporter des chiffres pour contredire les personnes, pour éviter que certains, qui ne sont pas du milieu, puissent adhérer à leur discours". 

Et l'agroclimatologue de conclure, philosophe : "On a une minorité qui ne peut exister par le clash, que par l’incompétence, parce qu’ils remarquent de plus en plus que leurs arguments antiscientifiques et climatosceptiques sont de moins en moins valables, puisqu’on observe de plus en plus ce climat qui change. Et par conséquent, n’ayant plus d’argument, ils s’attaquent à nos scientifiques. C’est leur dernière carte à jouer avant qu’on les oublie éternellement". 


Annick BERGER

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