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Le manuel de riposte de "Marianne" : non, Jean-Claude, les riches ne sont pas martyrisés en France
Sur les trois milliards d’euros de dividendes qu’il a gagnés en 2022, Bernard Arnault a payé, d’après le rapport 2024 d’Oxfam, aux alentours de… 0% d’impôt.
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Le manuel de riposte de "Marianne" : non, Jean-Claude, les riches ne sont pas martyrisés en France

Christelle et Jean-Claude Mytho

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« La France est un enfer pour les riches », « Redistribuer plus, ce serait du communisme ! » Votre oncle Jean-Claude martèle cet argument à longueur de dîners ? « Marianne » vous aide à rétorquer le plus habilement possible à ces inepties.

« La France est un enfer pour les riches », « Redistribuer plus serait du communisme », « A-t-on encore le droit de réussir ? » Votre oncle Jean-Claude passe son temps à se plaindre du traitement réservé aux riches sur le territoire national ? Sans doute répète-t-il un discours bien rodé, notamment à droite. Dernier exemple en date : l’avocat Charles Consigny, soutien de Valérie Pécresse à l’élection présidentielle 2022, qui déclarait sur le plateau de l'émission C ce soir le 17 avril : « C’est très difficile de gagner de l’argent en France. Il appartient d’abord à l’État qui, dès qu’on s’emmerde à gagner 1 euro, nous en prend 70 centimes. » Retour sur les pires clichés autour du traitement des riches en France.

Jean-Claude : « C’est très difficile de gagner de l’argent »

En France, en 2022, 2 881 000 personnes possédaient une fortune supérieure à l'équivalent d'un million de dollars, soit 915 000 euros, selon un rapport mondial de la banque suisse UBS. Cela signifie que 4,25 % de la population nationale est millionnaire. C’est moins qu’aux États-Unis, où le chiffre s’élève à 6,84 % de la population, mais plus qu’en Allemagne (3,16 %), au Royaume-Uni (3,8 %) ou encore au Japon (2,19 %). S'enrichir en France ne semble donc guère plus dur qu'ailleurs (doux euphémisme, quand tu nous tiens).

La France arrive par ailleurs 11e au classement des nations par nombre de milliardaires, avec 65 individus, d’après une étude du Billionaire Census 2023 de Wealth-X (Altrata). En fortune cumulée, la France fait même mieux, par exemple, que le Royaume-Uni, avec 266 milliards de dollars, contre 256 pour nos amis britanniques, pourtant quatrième.

Si le podium de ce classement est occupé par l’Allemagne, la Chine et les États-Unis, la situation des plus grandes fortunes mondiales est différente : la première place est occupée par un Français, en la personne de Bernard Arnault. Avec ses 229,8 milliards de dollars de fortune estimée, le patron du groupe de luxe LVMH devance Elon Musk et Jeff Bezos.

Jean-Claude : « Les temps sont durs pour les riches »

À en croire les dires de Jean-Claude, les riches Français doivent être sacrément talentueux pour tutoyer les sommets de la sorte, malgré tous les obstacles qui leur font face ! À vrai dire, c’est plutôt l’exact opposé.

Dans son rapport 2024 sur les fortunes françaises, l’ONG Oxfam montre que les quatre milliardaires français les plus riches et leurs familles ont vu leur fortune augmenter de 87 %, entre 2020 et 2023. La seule fortune de Bernard Arnault a, elle, plus que doublé sur la période, passant de 83,7 milliards d’euros à 176,8 milliards d’euros. « Dans le même temps, la richesse cumulée de 90 % des Français a baissé », souligne Oxfam.

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Le ciel est tout aussi bleu du côté des millionnaires français. Dans son rapport 2023, l’ONG nous apprend que 122 500 Français possèdent un patrimoine supérieur à cinq millions de dollars. Un chiffre en hausse de 10 % sur un an.

Jean-Claude : « Les riches sont matraqués par le fisc »

Encore raté, J-C. Sur les 3 milliards d’euros de dividendes qu’il a gagnés en 2022, Bernard Arnault a payé, d’après le rapport 2024 d’Oxfam, aux alentours de… 0 % d’impôt. « Soucieux d’éviter une fuite à l’étranger des sièges sociaux des entreprises, l’État met à la disposition des contribuables les plus aisés toute une gamme de niches fiscales leur permettant de diminuer leur impôt », peut-on lire. « Le revenu fiscal des milliardaires est infime par rapport à leur vrai revenu économique, c'est-à-dire les dividendes qu'ils touchent des compagnies », déclare l’économiste Gabriel Zucman à France Info.

Cela s’explique d’après lui par « le recours systématique aux sociétés holding – de simples sociétés-écrans – au sein desquelles les très grandes fortunes françaises logent leur revenu pour se soustraire à l'impôt ». « Ils ne paieraient pas plus d'impôts s'ils déménageaient demain aux Bermudes ! », résume-t-il.

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Selon une étude de l'Institut des politiques publiques (IPP) publiée en juin 2023, les 378 ménages les plus riches sont en moyenne imposés, via l’impôt sur les sociétés, à hauteur de 28 %. Un chiffre bien en deçà des impôts sur le revenu que paient de nombreux Français. Et encore plus en dessous des 70 centimes d’impôt pour chaque euro gagné, avancé par Charles Consigny.

Cette même étude de l'IPP indique que les 37 800 foyers les plus fortunés, ceux qui touchent plus de 627 000 euros par an, ont un taux d'imposition moyen de 46 %. Si les amis millionnaires de Jean-Claude semblent moins à la pointe de ces procédés d’optimisation fiscale, « les 10 % plus pauvres paient plus d’impôts en proportion de leurs revenus (TVA, CSG…) que les 10 % les plus riches », note Oxfam. « La fiscalité environnementale pèse même quatre fois plus lourd, en proportion, sur les 20 % de ménages les plus modestes, en comparaison aux 20 % de ménages les plus aisés », ajoute l’ONG.

Jean-Claude : « Ce pays de communistes »

Faux, faux et encore faux. Car tous les éléments accumulés jusqu’alors, qui font état de la très bonne santé des riches et ultrariches français, ne tombent pas du ciel. « Il n’y a pas d’argent magique », comme le dit si bien Emmanuel Macron.

Le locataire de l’Élysée n'a de cesse, depuis le début de sa présidence, d'alléger la fiscalité des plus riches : mise en place dès 2017 d’un prélèvement forfaitaire unique (PFU ou « flat tax ») à 30 % sur les revenus concernés ; abaissement progressif du taux d'impôt sur les sociétés de 33,3 à 25 %, entre 2017 et 2022 ; suppression de l’ISF, remplacée en 2018 par le plus réduit impôt sur la fortune immobilière (IFI). Voilà sept ans que celui que l’on surnomme « le président des riches » mène une politique fiscale aux antipodes de la tyrannie s'exerçant sur les riches décrite par Jean-Claude.

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Cela changera-t-il d’ici 2027 ? Rien n’est moins sûr. En décembre 2023, le gouvernement s’est aidé de l’article 49.3 pour supprimer un amendement introduit par la Commission des finances visant à taxer les « superdividendes » des grandes entreprises. Une décision en accord avec la déclaration du ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, lors de l’université du Medef en 2022 : « Je ne sais pas ce que c’est qu’un superprofit. »

Fin mars 2024, la présidente de l'Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, relançait le débat dans Le Figaro, en évoquant « la possibilité de taxer les superprofits dans les grandes entreprises ou les rachats d'actions ». Une idée rapidement balayée d’un revers de main par Bruno Le Maire : « Les impôts n’augmenteront pas ».

Jean-Claude : « C’est à la fraude sociale qu’il faut s’attaquer »

Jean-Claude a beau dire, tandis que la fraude aux prestations sociales est, elle, évaluée entre 6 et 8 milliards d’euros par la Cour des comptes, celle de ses amis représente, à vrai dire, des pertes nettement plus importantes pour l’État. Son montant est estimé entre 60 et 80 milliards d’euros par an, voire jusqu’à 100 milliards selon les chiffres du syndicat Solidaires Finances publiques.

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Début mai 2023, le gouvernement semblait admettre que la fraude fiscale était, au moins en proportion, majoritairement le fait des riches et des ultrariches. Gabriel Attal, à l’époque ministre délégué aux Comptes publics, annonçait dans une interview au Monde vouloir augmenter de 25 % les contrôles fiscaux des « plus gros patrimoines » d'ici la fin du quinquennat et contrôler « tous les deux ans » les cent plus grandes capitalisations boursières.

« Notre priorité : faire payer ce qu'ils doivent aux ultrariches et aux multinationales qui fraudent », a-t-il expliqué. « Je ne dis pas qu'ils fraudent davantage, mais quand cela arrive, les montants sont importants », ajoutait l’actuel Premier ministre. Des montants obtenus grâce à la politique fiscale française, bien éloignée des clichés idéologiques de Jean-Claude.

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne