« Chère Giulia,

Il paraît que formuler correctement les choses, c’est en général le premier pas pour pouvoir les résoudre. Alors je vous écris. D’un côté, il y a Claire, mon amoureuse depuis cinq ans, avec qui tout va bien. Et je lui dois beaucoup : si j’ai pris un CDI, si je me suis mise à gagner ma vie, si j’ai réussi devenir propriétaire (co-propriétaire), c’est grâce à elle. Elle m’a « posée ».

De l’autre, il y a Anaïs, ses dix ans de moins, sa folie… Et mes vieux démons. Je l’ai rencontrée il y a quelques semaines. Claire était en déplacement, j’en ai profité pour sortir dans un bar où j’avais mes habitudes, avant ma mise en couple. J’ai vu Anaïs danser, presque en transe, en tous cas totalement indifférente au reste du monde : elle m’a subjuguée. Une heure après, elle était dans mes bras. Notre nuit volée fut incendiaire, et depuis, elle m’obsède. Je crois que c’est ça, le coup de foudre… Sauf que maintenant : j’en fais quoi ? Le choix de la raison, ou celui de la passion, je crois que c’est un peu ça… Vous en pensez quoi ? »

« Chère Juliette,

J’en pense que je me méfie toujours des équations trop vite posées, des démons qui sortent tous seuls du placard, et d’une binarité un peu trop évidente pour être honnête : raison et passion ne s’opposent pas forcément. On peut vivre un amour avec les tripes ET avec la tête. Certaines relations peuvent être brûlantes à certains moments, avant de s’apaiser, et puis de flamber à nouveau, etc.

En revanche, là où je vous rejoins, c’est que mettre des mots sur ce qu’on vit est toujours une étape assez salutaire, quand on veut sortir le pied de l’ornière. Vous êtes-vous relue ? Parce que vous parlez de « mise en couple », comme vous parleriez de « mise à mort ». Vous « profitez » du fait que Claire ne soit pas là pour sortir, vous amuser, vibrer, enfin vivre… Est-ce qu’elle vous en empêche ? Est-ce qu’elle vous flique ? Est-ce qu’elle a mis un double verrou sur la porte d’entrée au moment où vous avez acheté votre appartement ?

Elle vous a tout donné, vous lui devez tout

Évidemment non. Mais c’est comme ça que vous le vivez. Comme vous vivez votre relation à votre conjointe : elle vous a tout donné, vous lui devez tout. Là, oui, il y aurait de quoi se sentir légèrement asphyxiée… À moins de décoller le nez de la vitre pour reprendre un peu l’air : pourquoi, au fond, vous a-t-il été si compliqué de vous poser ? Qu’est-ce que la stabilité, géographique, personnelle, professionnelle, vous évoquait, avant Claire ? Que cherchiez-vous dans cette « folie » que vous semblez avoir retrouvé au contact de d’Anaïs ? Vous l’aurez compris, Juliette, c’est vous qui m’intéressez. Plus qu’Anaïs, ou plus que Claire – ne serait-ce que c’est parce que c’est vous qui m’écrivez…

Concentrez-vous sur vous, et prenez le temps de vous observer, de vous interroger, avant de « faire » quoi que ce soit. Ces réponses, vous les trouverez. Ce jour-là, elles vous aideront à faire vos choix. »