Le témoignage de Laurène*, 46 ans   

Je suis en couple depuis 23 ans, mariée presque autant d’années et notre relation se passe parfaitement bien. J’aime mon mari et je suis convaincue que c’est réciproque. Nous avons eu trois enfants, non sans galères. Le parcours pour tomber enceinte a été très dur : nous avons traversé dix ans de procréation médicale assistée, beaucoup de rendez-vous à l’hôpital, sept FIV… Les rendez-vous chez le gynécologue devenaient aussi insupportables à cause de ce parcours médical. Mon corps disait : « Foutez-moi la paix, tous ! ».   

Notre sexualité m’a toujours plu et satisfaite. Et puis j’ai traversé toutes ces épreuves, auxquelles s’ajoute une endométriose qui rend les rapports douloureux. Trois grossesses, un travail hyper prenant,  la charge mentale du quotidien, ça érode la libido. J’ai ma vie de femme, d’amie, de maman présente auprès de mes enfants… je fais les devoirs, à manger, je les dépose à peine à l’école que je dois faire les courses, puis enchaîner avec une réunion même pas douchée. Je suis fatiguée et m’a libido, elle, s’est éteinte. 

Depuis cinq ans, notre sexualité n’est pas satisfaisante et je ressens un décalage dans nos envies. Ma libido est en berne mais pas la sienne. Il a souvent envie de faire l’amour, tous les jours s’il pouvait ! Alors une frustration et une incompréhension s’installent chez lui, qui me met inconsciemment la pression à coup d’allusions sexuelles ou de SMS libidineux… Moi je suis de plus en plus mal à l’aise.  

Le soir, je suis embêtée à l’idée d’aller me coucher, je ne me sens pas tranquille. Je crains de lui dire que non, je n’ai pas envie. Ça m’agace qu’il insiste ! Je me refuse à accepter le sexe par dépit, le devoir conjugal n’existe plus. Le problème, c’est qu’il prend mes refus comme un manque de désir et d’amour. Les frustrations augmentent, et avec elles le ressentiment. Lors de nos discussions un peu stériles, il semble comprendre tout en se montrant défaitiste. Lui, il a dépassé les conséquences du parcours médical et reste convaincu que mon désir ne reviendra jamais. S’il faut qu’on soit en weekend prolongé, avec deux verres de vin dans le nez et sans les enfants pour qu’il se passe quelque chose, on est dans une sacrée impasse ! Moi, je suis de plus en plus en colère et cela m’inquiète, je me surprends à lui en vouloir.  

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Les réponses de Chloé Duval, sexologue 

Les blocages sexuels peuvent être liés à une sexualité qui ne correspondrait pas à ce qu’une personne aime et attend. Mais aussi à des tensions au niveau de la relation qui se cristallisent sexuellement. Souvent, la charge mentale et le déséquilibre dans le partage des tâches à la maison, ou une mauvaise entente dans le couple créent un ressentiment. Il peut être inconscient ou pas, et se manifester sous forme de colère. On peut aussi ne pas avoir envie de sexe si on est déconnectés physiquement l’un de l’autre, qu’il n’y a plus d’attention physique ou érotique. Le corps n’a pas de bouton on/off. Notre batterie érotique a besoin d’être nourrie de façon régulière.  

Nous sommes pétris de croyances, d’injonctions, comme : « S'il n’y a pas de pénétration, il n’y a pas de sexualité ni d’amour ». Pour certaines personnes, le scénario conventionnel des préliminaires, de la pénétration, et de l’éjaculation qui termine l’acte devient répétitif et ennuyant. Il ne convient pas non plus à une sexualité féminine, qui est riche en dehors de la pénétration. L’injonction à être vite excitée, alors qu’un corps féminin a besoin de temps (parfois autour de vingt minutes), pousse beaucoup de femmes à faire des compromis et à vivre des pénétrations qui arrivent trop tôt.  

Autant de raisons qui poussent à avoir une sexualité dont on n’a pas envie et à rendre les moments intimes désagréables. On en vient alors à redouter cette proximité, par exemple dans le lit conjugal (hors d’un contexte de violences physiques, N.D.L.R.). L’autre ne s’en rend pas compte parce que les choses ne sont pas dites et que l’on peut avoir du mal à voir au-delà de nos propres questionnements.   

Blocages et stratégies d’évitement 

On se retrouve coincé dans une sexualité qui ne nous convient pas, parce que l’on ne se pose pas toujours la question de notre propre plaisir. Dans cet oubli de soi, on se crée des blocages. On finit par ne jamais avoir envie. Entrent alors en jeu les stratégies d’évitement. Quand l’autre vient vers nous, on se demande comment l’éviter. On fuit le contact physique, ce qui instaure un cercle vicieux de non-contact. On ne va pas se coucher aux mêmes heures, on travaille beaucoup… Le rituel autour du coucher et de la sexualité est associé à cet évitement, il va devenir stressant, angoissant.   

Le corps peut montrer des signes de blocage. Des douleurs, brûlures, du vaginisme, de la vestibulodynie, une vulvodynie. Certains symptômes de mycoses peuvent être psychosomatiques, même si ce n’est pas toujours le cas. Mais cela peut signifier que des limites ont été déplacées, que notre territoire n’est pas respecté.  

Une impasse ou une occasion de réinventer sa sexualité ?  

Nous passons tous et toutes par des cycles du désir. La motivation sexuelle vient de l’envie de revivre un moment qui nous a plu et qui va nous plaire, qui génère de l’adrénaline. Si on vit quelque chose qui dépasse nos limites, que nos besoins ne sont pas écoutés, le corps va se fermer et le désir s’éteindre. Il ne tient qu’à nous de changer ce rituel redouté, on peut tout à fait relancer le désir. La fermeture, le dégoût et l’évitement ne sont pas nécessairement des signes d’une relation vouée à l’échec. Cela peut simplement être un message de plus en plus fort du corps, qui exprime qu’il ne supporte plus la situation. Plutôt qu’un signal de fin, c’est un message de recommencement, plein de promesses et de possibles. On peut apporter de nouvelles choses au menu et le rendre appétissant !  

Ces actions dépendent de chaque couple. Le sexe, c’est une dynamique entre deux personnes, il faut donc être capable de se remettre en cause, d’accepter sa part de responsabilité. En thérapie, on apprend à communiquer sur sa sexualité, mais aussi ses ressentis, à se mettre à la place de l’autre. À partir du moment où la communication circule à nouveau, on voit et on entend l’autre comme on avait oublié que c’était possible. Le sexologue est une personne neutre va expliquer que dire « non », ce n’est pas agresser ou rejeter l’autre. Il remet les choses dans un contexte qui n’est pas menaçant.  

* Le prénom a été modifié