Blocus de Sciences-Po : « Une jeunesse déterminée à virer les sionistes »
RÉCIT. L’essayiste et journaliste Noémie Halioua s’est infiltrée parmi les étudiants de la rue Saint-Guillaume. Elle raconte les propos qu’elle a entendus, la haine antijuive qui s’y exprime et la mobilisation des députés de La France insoumise, venus s’opposer aux forces de l’ordre.
26 avril 2024, Paris, Quartier latin. C’est un vendredi frisquet où dénotent quelques rayons de soleil. Depuis plusieurs jours, une poignée d’étudiants de Sciences Po Paris usent de la réputation de la célèbre école de formation des élites pour engager une croisade contre Israël. L’établissement de la rue Saint-Guillaume est pris en otage par des militants virulents qui veulent importer la guerre Israël-Hamas qui coure depuis le pogrom du 7 octobre. Ils veulent notamment que l’école coupe ses partenariats en cours avec les universités israéliennes. Aidés par des « camarades » venus de l’extérieur, ils ont d’abord tenté d’investir durablement les locaux avant de bloquer les portes de l’établissement avec des poubelles et des sommiers de lit. Leur action est retransmise en direct sur les chaînes d’informations en continu que certains ne lâchent pas des yeux depuis leur téléphone. Les éditorialistes commentent quand les protagonistes se regardent agir en se disant peut-être : nous écrivons l’histoire.
Au cœur de l’après-midi, la militante franco-syrienne Rima Hassan débarque avec, comme toujours, le sourire belliqueux de celui qui croit en son destin. Elle est accueillie comme une rock star, aux cris de « Rima, Sciences Po est avec toi » et appelle sur Twitter le public à rejoindre ce « soulèvement », dans une publication vue plus de 800 000 fois. Elle danse, rit en frappant des mains, reprend le slogan palestinien « From the river to the sea », « de la rivière à la mer », une injonction à jeter 6 millions de Juifs israéliens dans la Méditerranée. Personne ne s’en émeut, les « sionistes » sont perçus comme le cancer de l’humanité traditionnellement dans le monde arabe, mais aussi ici, au cœur de Paris. J’entends une fille qui s’exaspère, elle n’en peut plus d’eux, il est urgent de combattre « les sionistes », usant de ce substitut de langage qui désigne les Juifs.
Quelques heures plus tôt, quelques rues avant d’arriver sur place, je croisais justement deux jeunes juifs qui, après m’avoir reconnue, étaient venus me raconter qu’ils avaient été agressés puis virés par des filles extrêmement agressives, qu’ils avaient eu peur. Je repense à cette conversation avec un officiel des organisations juives, le matin même, qui me confiait son intuition (peut-être son espoir), que cette minorité embrigadée ne changerait pas le monde. Je pensais déjà qu’il se trompait. Ici, les rues sont bouclées à plusieurs centaines de mètres la Police nationale.
Servitude volontaire
Ainsi, tout le monde n’est pas le bienvenu à ce rassemblement. Une jeune journaliste de CNews, malgré son micro neutre et sa discrétion, tente d’interviewer le député Aymeric Caron qui fait remarquer aux manifestants son intrusion : elle se fait sortir manu militari aux cris de « pas de fachos dans nos rues » ; « CNews ici on les dégage », « Cassez-vous, vous n’êtes pas les bienvenus ici ». J’enfile un bandana sur la bouche et flanque mon blouson d’un autocollant pro-Palestine : tout cela me donne un air de zadiste ridicule, mais je n’ai pas envie d’être privée du spectacle moi aussi.
Comment l’élite de la jeunesse française, européenne, bourgeoise et éduquée, peut-elle porter la voix des pires islamistes de la planète ?
J’essaie de résoudre un problème intellectuel qui me paraît insoluble : comment l’élite de la jeunesse française, européenne, bourgeoise et éduquée, peut-elle porter la voix des pires islamistes de la planète ? Il y a dans leur démarche, bien sûr une sensibilité au sort des Gazaouis en souffrance, indéniablement, mais son engagement fiévreux, son expression radicale, la passion qu’elle met en embrassant cette cause, la défense ouverte de sa « résistance » armée, dit bien davantage de sa tentation totalitaire.
Il y a parmi cette foule qui s’affermit au fil des heures, des filles aux cheveux courts à peine vêtues et des hommes qui se tiennent la main. Des spécimens qui se verraient jetés du haut des toits par les islamistes qu’ils défendent, dès qu’ils franchiraient la frontière de Gaza. À mon sens, cette manifestation est une illustration de ce que La Boétie appelle la servitude volontaire : elle dit le désir de soumission de ceux qui n’ont jamais rien connu d’autre que la liberté.
Ce qui frappe aussi, c’est l’âge des militants mobilisés. Certains sont étudiants, mais d’autres sans doute plutôt lycéens. Ils sont souvent entre amis, par petits groupes. À cette jeunesse se mêlent des touristes curieux, quelques journalistes relativement discrets, quelques marginaux aux allures de clochards, quelques grands-mères enturbannées dans des keffiehs palestiniens qui veulent aussi porter leur pierre à l’édifice. La foule scande par intermittence différents slogans en frappant des mains. « Free Gaza », « Israël Assassin », « Libérez la Palestine », « Libérez Gaza » et le traditionnel « Antifascista », rythmé par des applaudissements saccadés. Plus surprenant, peut-être, une chanson d’Indochine : c’est bien une jeunesse imbibée de la culture française qui s’exprime ici. La solution pour qu’ils comprennent les enjeux dont ils parlent serait sans doute de leur payer un billet d’avion pour Tel Aviv (mais peut-être suis-je optimiste).
Dispersion et réquisitionnement
Face à eux, une autre manifestation prend timidement place, à l’appel de plusieurs organisations, dont le collectif Nous Vivrons et le collectif 7 octobre. Une poignée de pro-israéliens brandissent quelques pancartes avec des drapeaux israéliens et palestiniens et appellent à la libération des otages détenus par le Hamas. Moins nombreux, moins virulents, moins audibles, pièce rapportée au mouvement « sciencepiste » et ses alliés, ils sont rapidement dispersés à la demande des policiers. Épiphénomène monté en épingle dans quelques reportages, prêtant à croire que les deux mouvements se répondaient mutuellement. Il n’en fut rien.
Sur place, la conviction de défendre le bien décuple les forces. Certains appartements ont été réquisitionnés par des organisateurs du mouvement. Des vivres sont apportés à ceux qui occupent les chambres dans les bâtiments en face de l’école. Certains traversent la rue avec des tentes Quechua, ils s’organisent pour avoir des ressources, de quoi tenir plusieurs jours sur place si besoin. En nouant plusieurs keffiehs palestiniens des militants de la rue font remonter des sacs de courses à ceux qui occupent les appartements. Une fanfare s’active pour jouer le chant révolutionnaire italien Bella Ciao, un drone passe dans le ciel et stagne au-dessus de la rue Saint-Guillaume : un militant le fait remarquer. Tout le monde fait coucou à la caméra volante d’une façon très adolescente. Peut-on s’amuser comme un enfant tout en portant la voix de pogromistes, de ceux qui veulent la mort du peuple israélien et jeter en pâture les juifs aux islamistes ? Apparemment, oui.
Les députés LFI feront face, avec leur écharpe tricolore bien visible, à des rangées de CRS
Une solidarité s’organise. Des masques de l’ère covidienne sont distribués à ceux qui le souhaitent et des boîtes de sérum physiologique passent de main en main : il y a un risque pour que les policiers « chargent », c’est-à-dire qu’ils tirent du gaz lacrymogène pour disperser la foule et que la situation dégénère. Il faut se préparer. Une fille avec un mégaphone dans la main donne des instructions à l’assemblée qui l’écoute. Elle demande à tout le monde de s’asseoir par terre, de ne pas avoir peur, de rester assis quoiqu’il arrive, quoiqu’il advienne. L’assemblée s’exécute sans broncher. Puis, elle demande s’il y a des journalistes présents qui peuvent se placer au centre du sit-in, cela les aiderait (car si un journaliste est touché, ce ne sera plus la révolte étudiante qui sera visée, mais la liberté d’expression, un symbole qui peut être exploité différemment).
Ce seront finalement, à la tombée de la nuit, des députés La France insoumise qui viendront faire office de boucliers. Ils feront face, avec leur écharpe tricolore bien visible, à des rangées de CRS bouclant le périmètre autour de la rue Saint-Guillaume dans l’attente d’instruction de la part de leur hiérarchie. Je remarque une alliance sur la main de l’un de ces agents. Je pense à sa famille, au courage qu’il faut pour défendre l’État face à des révoltés prêts à tout pour le mettre à bas, et le tout pour un salaire de misère. Finalement, ce sera la direction de l’école elle-même qui se pliera aux revendications des protestataires, le soir même, mettant fin au blocus propalestinien. L’administration de l’une des écoles les plus prestigieuses du pays aura plié, notamment en blanchissant les protestataires des blâmes prévus, par peur d’une montée en tension. Une décision pleutre qui permettra seulement de gagner du temps avant le prochain bras de fer.
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