La passion selon...

Ernest Chausson et les légendes arthuriennes : les amours enchanteurs de Merlin et Viviane

The beguiling of Merlin, peinture d’Edward Burne-Jones

© DE AGOSTINI PICTURE LIBRARY / De Agostini via Getty Images

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Par Xavier Falques

En forêt de Brocéliande, dans la Bretagne française, vit la fée Viviane ou Nimué, une fée que l’on connaît surtout sous le nom de "Dame du Lac". Celle qui enlèvera et élèvera le fils du défunt Ban de Benoïc, le futur Lancelot du Lac.

Selon des écrits récents, Viviane aurait élevé Lancelot dans son palais de cristal, un palais prenant pour les hommes la forme d’un lac, celui qui se trouve à côté du château de Comper. Or, toujours d’après ces écrits, le palais serait le fruit d’un enchantement réalisé par le Merlin l’enchanteur, celui qui s’occupe de l’éducation du jeune Arthus ou Arthur Pendragon.

Si l’histoire du palais est plus récente, celle de Merlin et Viviane, elle ne l’est pas tant. On la retrouve déjà dans le Lancelot-Graal des manuscrits du cycle de la Vulgate, une série de manuscrits du XIIIe et du XIVe siècle dont certains sont d’ailleurs numérisés par la Bibliothèque nationale de France et par la British Library. Dans ce cycle, repris et popularisé par Thomas Mallory au XVe siècle, Merlin est pris d’une passion amoureuse irrépressible pour la fée Viviane. Celle-ci, peu à même de se laisser séduire, demande à Merlin de lui apprendre ses enchantements. Merlin accepte, tout en sachant que sa passion signera sa perte. Viviane, pour se protéger de Merlin qui est le fils d’un incube enchante l’enchanteur et l’enferme à jamais.

L’épisode est souvent repris en peinture, mais il refait clairement surface à la fin XIXe siècle chez les préraphaélites anglais, et particulièrement chez Edward Burne-Jones. Viviane, comme toutes les autres grandes figures féminines et mythologiques, prend, pour les préraphaélites et les symbolistes, une dimension qui transcende l’image de la femme pour l’ériger en symbole.

En musique, alors que beaucoup de compositeurs s’attellent à mettre en œuvre des légendes d’inspiration germanique, Ernest Chausson, lui, se concentre sur les légendes arthuriennes. Il en fera deux œuvres majeures : son poème symphonique Viviane et l’opéra qui l’occupera une grande partie de sa vie, son Roi Arthus.

Le programme du Viviane de Chausson est intentionnellement assez flou que pour permettre aux auditeurs et aux musiciens de se laisser guider par le texte, sans pour autant brider leur imagination. Voici ce que l’on trouve au début de la partition : "Viviane et Merlin dans la forêt de Brocéliande – Scène d’amour / Appels de trompette – des envoyés du Roi Arthus parcourent la forêt à la recherche de l’enchanteur / Merlin se rappelle sa mission ; il veut fuir et s’échapper des bras de Viviane. / Scène de l’enchantement – pour le retenir, Viviane endort Merlin et l’entoure d’aubépines en fleurs."

La scène d’amour met en musique un thème magnifique qui va être interrompu par l’appel des trompettes. Là, Chausson va exprimer le doute qui s’empare de Merlin, pris entre le devoir et l’amour en confrontant de manière expressive l’appel des chevaliers au thème de l’amour exposé plus tôt. Peu à peu, la tension va s’effacer sous les coups de l’enchantement de Viviane au son de la harpe, laissant s’évanouir, comme on tombe dans le sommeil le son des trompettes de plus en plus lointaines. Ce sera finalement l’amour qui prendra tout l’espace sonore, mais cet amour n’est plus aussi pur qu’au départ, il est le fruit d’un enchantement…

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