SUICIDE - Un moment de télévision qui restera dans les annales. Ce dimanche 9 janvier 2022 au journal de 20 heures de TF1 est survenu un évènement rare, rare par la mise en scène, rare par la teneur du propos et l’émotion délivrée. La journaliste Anne-Claire Coudray reçoit ce soir-là le très populaire chanteur Stromae pour la promotion de son nouvel album après une absence médiatique de plusieurs années. Elle demande “Vous avez pendant 7 ans lutté contre un certain mal-être, vous en parlez d’ailleurs sans détour. Dans vos chansons, vous parlez beaucoup de solitude. Est-ce que la musique vous a aidé à vous en libérer”? La réponse de Stromae démarre alors, surprenante, sur une musique lancinante. La caméra se fixe sur le chanteur, le visage sombre et grave, les yeux rivés vers le spectateur. Il interprète son titre “L’enfer”, dévoilant et partageant un vécu personnel d’expérience de dépression et de pensées suicidaires.
Cette séquence devient rapidement virale, et ce n’est pas un hasard. Au-delà de l’émotion délivrée par l’artiste, combien de personnes ont été touchées, ont pu se retrouver, s’identifier aux paroles de Stromae ? 7 millions l’ont vu en direct au journal télévisé, depuis les commentaires sur les réseaux sociaux majoritairement positifs s’engrènent par millions. Même le Dr Tedros Adhanom Guebreysesus, directeur de l’OMS, salue la performance. Il faut dire que sont évoquées sans fard la santé mentale et la souffrance psychique, sujet tabou et peu abordé. Qu’un artiste aussi connu et reconnu pour la qualité de ses propositions musicales et rencontrant le succès puisse connaitre et reconnaitre un mal-être est assez inédit, du moins en France. Ces révélations heurtent, et peut-être brisent le tabou et les idées reçues autour de la dépression. Combien de personnes ne demandent pas d’aide, par culpabilité, par honte de ne pas être assez fort, par crainte d’être jugé?
Le suicide et la culpabilité sont étroitement liés
En effet, quelle difficulté que de reconnaitre souffrir psychiquement, et quelle culpabilité d’en prendre douloureusement conscience ! La culpabilité fait partie des signes pouvant se retrouver dans la dépression. Ceux qui le vivent en parlent mieux que quiconque dans nos consultations. Elle peut prendre la forme d’un mal-être insurmontable, souvent identifié à tort comme une marque de faiblesse de caractère car pouvant nécessiter une prise de médicament. Elle peut se révéler derrière le sentiment de laisser-aller, les pensées de ne pas être à la hauteur ou d’être un poids pour soi et les autres. Parfois la souffrance est si violente qu’elle peut conduire aux pensées suicidaires. Le suicide et la culpabilité sont également étroitement liés. Contre nature et moralement non admissible dans la culture chrétienne, désavouée dans la plupart des autres religions, les pensées suicidaires peuvent générer peur, incompréhension, rejet, jugement. Stromae le dit bien « j’ai eu parfois des pensées suicidaires, et j’en suis peu fier ».
La solitude qu’entraine la souffrance est souvent exprimée avec le sentiment tenace d’être seul à la vivre, et qu’elle ne peut être comprise par autrui. Pourtant, la souffrance psychique concerne énormément de personnes en particulier dans cette période de crise sanitaire. En décembre 2021, selon Santé Publique France, 18% des français rapportent une dépression, 23% des troubles anxieux. Les chiffres se rapportant au suicide sont alarmants. 1 personne sur 10 déclare avoir eu des idées suicidaires. 9000 en décèdent annuellement (3 fois le nombre de tués sur la route). Le suicide est un fléau chez les jeunes (1ème cause de mortalité chez les 25-34 ans). Près de 200000 français tentent chaque année de mettre fin à leurs jours.
Parler de santé mentale et du suicide devrait être une nécessité de santé publique
Ces quelques chiffres montrent que nous pouvons tous être concernés, qu’en conséquence parler de santé mentale et du suicide devrait être une nécessité de santé publique. Cela reste malheureusement peu traité dans les médias ou par les politiques. Un sujet trop difficile, malaisant, éloigné des préoccupations des français, pouvant faire fuir le public ? Pourtant, à une heure de grande écoute, Stromae prouve magistralement le contraire. En 3 minutes, Il déclenche une onde de choc extraordinaire mettant en lumière la santé mentale, d’une puissance telle qu’elle ne pourra jamais être produite en une vie par aucun professionnel de santé. Le champ de la psychiatrie s’appuie d’ailleurs de plus en plus sur le potentiel de la connaissance intime de la souffrance psychique par les personnes concernées. La polémique journalistique qui a suivi n’enlève rien au coup de force de Stromae. La pandémie et ses conséquences avait permis d’entrouvrir la porte de l’importance de la santé mentale au grand public. Cette porte, l’artiste la pulvérise littéralement avec sa prestation. C’est un cadeau aussi inattendu qu’extraordinaire, aux professionnels de psychiatrie pour promouvoir une discipline en mal de vocations, mais surtout aux personnes en situation de souffrance psychique les autorisant à demander de l’aide. Nous assistons à une magnifique illustration de l’effet « Papageno », un message porteur d’espoir qui a le pouvoir de prévenir le suicide. Sans aucun doute, cet évènement sauvera des vies.
Aider, c’est oser demander sans détour si la personne a des pensées suicidaires.
Pourtant, tout aussi remarquable que fut ce moment, quel dommage ne pas avoir saisi l’occasion d’informer sur les actions, des moyens, des ressources pour agir devant la souffrance psychique et les idées suicidaires. Par exemple, que faire si vous présentez un mal-être ? Ne restez pas seul. Consultez un spécialiste, un « psy » peut prendre en charge votre mal-être. Parlez également avec un proche peut vous aider à trouver écoute, réconfort et soulagement. Parfois, la souffrance peut être si intense, si désespérante qu’elle peut rendre aveugle à toute alternative. La mort peut sembler alors être la seule issue, qu’il n’y aurait pas d’autre choix. Ayez à l’esprit que ce n’est qu’une impression. Appelez alors sans attendre le 3114, le numéro national souffrance et prévention du suicide. Un professionnel vous répondra 24h/24, 7 jours sur 7.
Parler suicide n’augmente pas le risque de passage à l’acte
Nous pouvons tous être amenés à rencontrer quelqu’un en souffrance psychique. Comment l’aider? Aider, c’est oser demander sans détour si la personne a des pensées suicidaires. Il faut savoir que, contrairement à l’idée reçue, parler suicide n’augmente pas le risque de passage à l’acte. Au contraire, cela peut apporter soulagement, diminution du sentiment de solitude et de culpabilité. Elle permet d’apporter secours. Elle donne aussi des indices sur l’urgence à agir. Ces pensées occupent-elles tout l’esprit ? Existe-t-il un scénario défini de passage à l’acte avec un moment et un moyen choisi ? La personne a-t-elle écrit une lettre? Perçoit-elle encore des ressources mobilisables et des facteurs de protection ? Aider, c’est aussi pouvoir orienter vers des professionnels de santé formés à la gestion d’une crise suicidaire, vers le médecin traitant ou vers un service d’urgences. Vous pouvez également trouver écoute et conseils au 3114.
Parce que les pensées suicidaires, ce ne sont pas une fatalité.
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