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La Chine ouvre des camps d’endoctrinement

Le président chinois, Xi Jinping
Le président chinois, Xi Jinping Photo: Naohiko Hatta / The Associated Press

ALMATY, Kazakhstan — Jour après jour, Omir Bekali et les autres détenus incarcérés dans les nouveaux camps d’endoctrinement qui ont poussé dans l’ouest profond de la Chine devaient renoncer à leur foi islamique, se critiquer et critiquer leurs proches, et remercier le Parti communiste au pouvoir.

Quand M. Bekali, un musulman kazakh, a refusé, on l’a obligé à se tenir debout contre un mur pendant des périodes de cinq heures. Une semaine plus tard, il a été envoyé en isolement et privé de nourriture pendant 24 heures. Au bout de 20 jours, il voulait se suicider.

«La pression psychologique est énorme, quand il faut se critiquer, critiquer sa pensée — son propre groupe ethnique, a raconté l’homme de 42 ans, qui s’effondre en larmes en décrivant le camp. J’y pense encore toutes les nuits, jusqu’au lever du soleil.»

Depuis le printemps dernier, les dirigeants chinois du Xinjiang, une région fortement musulmane, ont envoyé des dizaines, et possiblement des centaines de milliers de Chinois musulmans — et même des étrangers — vers ces camps d’endoctrinement. Les États-Unis ont dénoncé «la plus importante campagne d’incarcération de masse d’une minorité de la planète».

Le programme d’internement essaie de reconfigurer la pensée politique des détenus, d’effacer leurs croyances islamiques et de refaçonner l’essence même de leur identité. Les responsables chinois évitent pour la plupart de commenter, mais certains ont déclaré à la presse officielle que des changements idéologiques sont requis pour combattre le séparatisme et l’islamisme.

Des musulmans ouïghours radicaux ont tué des centaines de Chinois au fil des ans.

Trois autres anciens détenus et un instructeur ont corroboré le récit de M. Bekali. Mis ensemble, leurs propos brossent le portrait le plus complet jamais assemblé de la vie derrière les murs.

Ce programme témoigne de la nouvelle confiance de forces de l’ordre stimulées par le règne impitoyable et profondément nationaliste du président Xi Jinping. Il s’inspire en partie de la tradition chinoise de la transformation par l’éducation — qui a déjà atteint des sommets terrifiants lors des campagnes réformistes de Mao Zedong, le leader chinois parfois invoqué par M. Xi.

«Le nettoyage culturel est une tentative de la part de Pékin pour trouver une solution finale au problème du Xinjiang», a dit James Millward, un sinologue de l’Université Georgetown.

Le programme d’endoctrinement est entouré de secret et aucune donnée n’est disponible. Le département d’État des États-Unis estime qu’«à tout le moins» des dizaines de milliers de personnes sont détenues.

Une station de télévision turque gérée par des exilés du Xinjiang évoque 900 000 prisonniers, selon des documents gouvernements qui auraient coulé. Adrian Zenz, de l’École européenne de culture et de théologie, croit quant à lui que plus d’un million de personnes ont possiblement été incarcérées.

Des contrats gouvernementaux permettent de conclure que d’autres camps sont en construction.

Questionné à ce sujet, le ministère chinois des Affaires étrangères a dit «ne rien avoir entendu» de la situation. Les dirigeants chinois du Xinjiang n’ont pas répondu à une demande de commentaires. Toutefois, le procureur en chef de la Chine, Zhang Jun, a incité ces dirigeants, plus tôt ce mois-ci, à donner beaucoup plus d’ampleur à ce que le gouvernement appelle «la transformation par l’éducation» dans le cadre «d’un effort sans retenue» pour combattre l’extrémisme.

M. Bekali a déménagé au Kazakhstan en 2006 et a reçu sa citoyenneté trois ans plus tard. Il a été arrêté le 25 mars 2017, à l’occasion d’une visite chez ses parents, dans le Xinjiang.

Il a raconté avoir été placé sur une chaise qui immobilisait ses poignets et ses chevilles. Il aurait été suspendu par les poignets contre un mur. On lui aurait demandé pourquoi il incitait les Chinois à demander un visa pour aller visiter le Kazakhstan.

«Je n’ai commis aucun crime!», a-t-il crié.

Sept mois plus tard, il a été tiré de sa cellule et on lui a remis des papiers, mais il n’était pas libre. On l’a conduit vers un camp clôturé où se trouvaient un millier d’autres personnes entassées dans trois édifices.

On les réveillait tous ensemble pour chanter l’hymne national chinois et saluer le drapeau chinois à 7 h 30. On leur faisait chanter des chansons louangeant le Parti communiste et ils devaient étudier la langue et l’histoire chinoises. On leur racontait que les bergers du Xinjiang étaient des «attardés» avant d’être «libérés» par le Parti communiste dans les années 1950.

Avant un repas de légumes et de pain, ils devaient scander: «Merci au Parti! Merci à la mère patrie! Merci au président Xi!»

M. Bekali était enfermé dans une pièce pratiquement en permanence avec huit autres détenus, avec qui il partageait des lits et une toilette insalubre. Les bains étaient rares, tout comme le lavage des mains et des pieds, que l’on associait à l’hygiène islamique.

Lors de sessions de quatre heures, les instructeurs les sermonnaient au sujet des dangers de l’islam. Ils bombardaient les détenus de questions auxquelles ils devaient répondre correctement, sinon on les envoyait se tenir contre un mur pendant des heures.

«Obéissez-vous à la loi chinoise ou à la charia?, hurlaient les instructeurs. Comprenez-vous pourquoi la religion est dangereuse?»

Les détenus devaient critiquer leurs pairs et être critiqués par eux. À tour de rôle, ils devaient se présenter devant un groupe de 60 prisonniers pour critiquer leur propre histoire religieuse.

«Mon père m’a enseigné le Coran et je l’ai appris parce que je ne connaissais rien, a entendu M. Bekali. J’ai voyagé à l’extérieur de la Chine sans réaliser que je pourrais être exposé à une pensée extrémiste. Maintenant, je sais.»

M. Bekali a été envoyé en isolement après une semaine. Il a alors crié à un responsable qui visitait: «Amenez-moi quelque part et tuez-moi. Je n’en peux plus d’être ici.»

Après un autre isolement de 24 heures, il a soudainement été libéré le 24 novembre.

Il a tout d’abord hésité à raconter son histoire à l’Associated Press, pour ne pas nuire à sa mère et à sa soeur qui sont toujours en Chine. Mais le 10 mars, la police a arrêté sa soeur, Adila Bekali. Une semaine plus tard, ce fut au tour de sa mère, Amina Sadik. Puis, le 24 avril, son père Ebrayem.

«Les choses sont déjà rendues tellement loin, a-t-il dit. Je n’ai plus rien à perdre.»

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