À un rythme quasi-mensuel, M. Konno parcourt plus de 100 kilomètres entre son logement d'évacuation et son ancienne ville natale, dans la préfecture de Fukushima. Cet homme de 77 ans dirige la communauté d'Akogi, l'une des zones les plus contaminées dans laquelle le retour a été qualifié de « difficile » par le gouvernement.
Chaque visite nécessite donc une autorisation gouvernementale et il n'est pas autorisé à passer la nuit sur place.
M. Konno s'est fixé pour mission d’informer les résidents déplacés sur les niveaux de radiation, dans leurs voisinages. Dosimètre en main, il visite chacun des 80 foyers concernés et communique les relevés aux propriétaires.
Les relevés varient fortement d'une maison à l'autre, mais la plupart sont encore trop élevés pour que le gouvernement lève l'ordre d'évacuation.
« Un grand nombre de personnes s'inquiètent pour leur maison », explique M. Konno. « Je réalise que les informer sur les niveaux de radiation ne leur donnera pas la tranquillité d'esprit, mais j’estime qu'il vaut mieux savoir qu’ignorer. »
L' « espace vide »
Certaines parties des zones « au retour difficile » ont été déclarées « bases de reconstruction » et subissent des travaux de décontamination. Le gouvernement compte lever les ordres d'évacuation de ces zones cette année, ou l'année prochaine. En d’autres endroits, cependant, très peu de progrès sont enregistrés. Par dérision, les riverains qualifient ces zones « d’espaces vides ». Le district de M. Konno en fait notamment partie.
L'année dernière, le gouvernement a fixé un nouvel objectif pour permettre aux gens de réintégrer ces « espaces vides » : la fin de la décennie en cours. Pour autant, même si l’échéance est respectée, les villes et les villages ne reviendront par forcément à la vie. Les autorités ne comptent décontaminer que les zones spécifiques dans lesquelles les gens prévoient de retourner, et les riverains déplacés craignent que les disparités consécutives ne leur permettent pas de s'y installer à nouveau.
Documenter une ville natale
Dès après l'accident nucléaire, un officiel du gouvernement a tenu des propos qui hantent encore M. Konno :
« Si rien n'est fait, un retour à la normale ne sera peut-être pas possible avant une centaine d’années. »
Il craignait que la lenteur du gouvernement fasse tout simplement disparaître la ville des cartes - et des mémoires. C'est la raison pour laquelle, il y a huit ans, il a entamé le travail d’enregistrement de son district pour la postérité.
Il a commencé par rassembler les témoignages des résidents déplacés, y compris leurs expériences après l'accident nucléaire.
« Je voulais montrer mon travail à tout le monde, lorsqu’il serait terminé », nous explique M. Konno. « Mais certains sont déjà partis ».
Ayant invité d'autres habitants à explorer l'histoire d'Akogi, une chose découverte l'a incité à réfléchir.
La région a subi plusieurs famines suite à des catastrophes naturelles, la pire ayant eu lieu au XVIIIe siècle.
« Les gens ont survécu à ces famines », explique un des collègues chercheurs de M. Konno. « Mais personne n’est resté à Akogi depuis la catastrophe nucléaire. Je n’arrive pas à comprendre l’écart entre ces deux événements. C'est tout simplement absurde. »
Aux futurs descendants
M. Konno consignera ses recherches dans un livre, courant 2022. Plus de 700 pages de données de surveillance des radiations, des témoignages de résidents et l'histoire du district.
Il a choisi pour titre : « À nos descendants dans 100 ans ».
« Ma génération ne pourra peut-être pas retourner à domicile. Nous sommes maintenant trop âgés. Mais j'espère que nos descendants, les futurs lecteurs de cet ouvrage, reviendront dans notre belle région pour à nouveau en cultiver la terre. »
Les bourgeons des pruniers annoncent le printemps. M. Konno espère que ses chroniques ouvriront un nouveau chapitre de l'histoire d'Akogi.
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