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Prélèvement à la source : l'oraison funèbre du tiers provisionnel, par l'académicien Marc Lambron

Avec la réforme du prélèvement à la source, le tiers provisionnel n’a plus que quelques heures devant lui. Pour le JDD, l'académicien Marc Lambron en écrit l’oraison.

Marc Lambron , Mis à jour le
L'académicien Marc Lambron.
L'académicien Marc Lambron. © Sipa Press

Voici un nouveau mort tombé au champ d'honneur des pratiques obsolètes : le paiement par tiers de l'impôt sur le revenu va ­disparaître en janvier 2019. Il rejoindra ainsi, dans la rouille du Temps perdu, le nouveau franc, les vespasiennes, la Séquence du spectateur, la bouteille de lait devant la porte, le Minitel, le standard VHS, Yvette Horner. Certes, seuls 46% des foyers fiscaux français s'acquittent de l'IRPP*. Il serait d'ailleurs plus civique de taxer tout le monde, ­fût-ce de quelques euros ­symboliques par an, afin d'augmenter encore les raisons légitimes que nous avons de râler contre l'Etat spoliateur. Le Gaulois pousse sa charrue mais n'aime pas que l'on confisque son blé.

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D'autant que, ces derniers temps, un sombre nuage fiscal nous pourrissait l'humeur : les acrobaties comptables du sournois Cahuzac, la "phobie administrative" du ministricule ­Thévenoud, les Paradise Papers et autres niches d'évasion tropicale, tout cela ne contribue guère à nous réjouir quand un ordinateur de Bercy pratique une impitoyable endoscopie sur le contenu de nos poches trouées. Le gabelou est devenu électronique, mais c'est toujours chez nous l'allergie immémoriale au percepteur chafouin, au polyvalent sadique, aux impôts sur les portes et fenêtres, à cette débauche de taxes iniques qui ne furent pas pour rien dans la chute de l'Ancien Régime : puisque Louis XVI confisquait les louis des misérables, on lui rendit la monnaie de sa pièce en raccourcissant le Louis d'une tête.

Le prélèvement par tiers, c'était la saignée trisannuelle

Bref, l'affaire du prélèvement à la source, métaphore champêtre pour désigner une opération peu urbaine, se tient dans cette question : préfère-t-on jouir momentanément d'une fiche de paie gonflée en trompe-l'œil (c'était avant), ou s'épargner la douleur de voir nos gains aspirés trois fois l'an par une sanglante succion du vampire étatique (ce sera demain)? Le prélèvement par tiers, c'était la saignée trisannuelle, l'assèchement brutal de nos relevés bancaires, quelque chose comme le saut de la mort depuis les falaises d'Acapulco. Cela évoquait assez le titre d'un célèbre blues, Meet Me at the Bottom, rendez-vous au fond du gouffre. Dépouillé, failli, on devenait Job sur un fumier d'emprunts et de crédits. En bas de la pente, il fallait remonter. Cela donnait de la besogne, en contraignant chacun à pousser de plus belle le rocher de Sisyphe de son labeur quotidien.

Certains contribuables avaient déjà opté pour la mensualisation. C'était comme une sorte d'horoscope fiscal, où l'on choisissait de neutraliser les mauvais présages en les traitant au mois le mois, plutôt que d'essuyer d'un coup la tempête des prédictions assassines. Le président Hollande engagea la réforme, et fit travailler les services de Bercy sur des projections complexes. Il s'agissait aussi, sur le mode socialiste, d'égaliser les peines en les répartissant sur chaque mois du calendrier, ­plutôt que de les concentrer en trois ponctions brutales évoquant le bon plaisir cruel des anciens rois. Chaque mois aurait son ­prélèvement, il n'y aurait pas de jaloux. Quant aux contribuables, ils paieraient la même chose, ce qui reste le plus important dans un pays dont les finances sont ­calamiteuses. L'Etat s'endette, mais vous enjolivez sa dette, à la façon d'une faveur accrochée sur la tête d'un mouton. Nous sommes de braves moutons.

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Là-dessus, le ministre Darmanin polit sa copie et annonça une nouvelle époque de taxations euphoriques. On sait qu'il y eut toutefois, au début du mois de septembre, une sorte de valse-­hésitation malencontreusement rendue ­publique. Le bon président Macron semblait tergiverser, mais, après tout, comme le chante Mick Jagger dans Sympathy for the Devil : "I was ‘round when Jesus Christ had his moments of doubt and pain." En français, "j'étais là quand Jésus-Christ traversait ses moments de doute et de souffrance". Les Ponce Pilate de Bercy ne s'en lavèrent pas les mains, mais affinèrent encore leur copie pour la rendre parfaite. Notre président aime la perfection. La réforme fut lancée.

A l'aube d'une nouvelle ère

Nous voici donc à l'aube d'une nouvelle ère. Désormais, le choc sera asséné sur coussinets, la ponction régulée, la douloureuse chloroformée. Le prélèvement à la source s'accorde avec une promesse dont rêve l'époque, celle d'une existence lisse, d'une anesthésie des tracas : médecines douces, sophrologies relaxantes, derme épuré, croisières clés en main, guidage par GPS, centrisme macronien. Une sorte d'univers "feel good" à base de calmants balsamiques et d'amortisseurs cléments. Approuvé par une majorité de nos concitoyens, le prélèvement à la source consonne ainsi avec un désir de vie maternisée, comme le lait du même nom : une prise en charge indolore, diluée, arrondissant optiquement les angles de la nécessité, transformant le cruel percepteur en sage-femme tutélaire pratiquant une bienveillante ponction mensuelle comme on surveille un taux de cholestérol. L'Etat était un méchant père, on aimerait tellement qu'il devienne une bonne mère. Adieu les à-coups, les sauts à l'élastique, les spasmes du portefeuille. Bonjour la cuisine moléculaire, le tourisme assisté, l'accouchement sans douleur. Le montant de l'impôt ne variera pas, mais on invente une fiscalité ­airbag. De toute façon, personne n'y coupera : avec le prélèvement à la source, le doux somnifère fiscal restera sournoisement administré par cette Big Mother gourmande que l'on nomme l'Etat. 

* IRPP, ou impôt sur le revenu des personnes physiques, remplacé depuis la loi de finances pour 1971 par l'impôt sur le revenu (IR), mais le terme reste en vigueur dans le langage courant.

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